Fin de la «pitoune»: Christian Comeau tourne la page

TRANSPORT. La fin des transports du bois de quatre pieds (pitoune) dans l’industrie forestière est une étape importante dans l’évolution de plusieurs entreprises de la région. Christian Comeau de Sainte-Claire est de ceux-là, celui-ci ayant effectué sa dernière livraison du genre le 5 novembre dernier chez l’entreprise Kruger à Trois-Rivières.

M. Comeau opère l’entreprise familiale (Transport Yvon Comeau à Saint-Malachie) depuis 20 ans, lui qui a succédé à son père Yvon, dont l’entreprise porte le nom, et à son grand-père Edmond. Il transporte aujourd’hui des billots de huit pieds destinés au sciage mais a longtemps gagné sa vie grâce à la «pitoune», à l’image de plusieurs familles de la région. «La «pitoune» était un symbole. Quand j’étais petit et que je voyais des camions passer, il y avait une fierté autour de cela. Les gars de «pitoune» avaient la réputation de bien gagner leur vie et avaient de beaux camions. Je suis seul maintenant, mais nous avons déjà eu jusqu’à trois camions et une demi-douzaine d’employés, quelques-uns à temps partiel. Ce temps-là est malheureusement fini.»

Ce volet de l’industrie forestière a été le pain et le beurre des Comeau pendant quelques décennies, à l’image de plusieurs familles de la région. «Mon père n’a fait que ça, des voyages de «pitoune» à l’année, jusqu’à deux transports par jour dans les grosses périodes. Il m’a raconté avoir fait des billots (8 pieds) occasionnellement le vendredi, mais sommairement, c’était son transport principal. Il a déjà eu jusqu’à 3 000 cordes de «pitoune» en inventaire.»

Dans le contexte actuel, il était prêt à tourner la page, même s’il a été élevé avec ce volet important de l’industrie forestière. «Je suis venu au monde là-dedans, mon père aussi. Mon grand-père a parti son entreprise alors qu’il était propriétaire aussi d’une boucherie. Il achetait aussi du bois, car c’était aussi un commerçant. Il achetait la «pitoune» et transigeait directement avec les papetières à l’époque. Les producteurs se sont regroupés à un moment donné pour créer les syndicats. C’est comme ça que ça fonctionnait pour le bois de pâtes dans le temps.»

Christian Comeau, à gauche et accompagné de son père Yvon, à droite, a effectué son dernier transport de «pitoune» le 5 novembre dernier à Trois-Rivières.

Une transition nécessaire

Le nombre de transporteurs n’a pas baissé, lui, remarque Christian Comeau, ce qui a eu pour conséquence que pour un seul transport, il fallait avoir plus d’un client. «Avec un peu de recul, il faut réaliser que cette façon de faire n’était plus rentable. Les règles ont aussi beaucoup changé. Certains se sont lancés dans les train-routiers, les charges possibles sont devenues limitées, les coûts sont beaucoup plus élevés, alors ça devenait de plus en plus compliqué.»

L’industrie n’est plus ce qu’elle était. «Les jeunes qui se lancent là-dedans pensent que c’est une bonne idée d’investir dans ce type de transport, car il se coupe encore beaucoup de billots. Mais attention, ce n’est qu’un cycle. Certains s’investissent beaucoup et pourraient trouver cela difficile un jour.

La fin de la «pitoune» n’est pas la fin du monde estime Christian Comeau. «C’est une transition vers autre chose et nous sommes dedans. Avant, nous étions un peu un transport spécialisé, car ce n’est pas tous les transporteurs qui étaient équipés de remorques pouvant assurer le transport du bois de quatre pieds.»

Il y avait une structure autour de la «pitoune», insiste-t-il. «On avait une clientèle qui était attachée à nous. Nous n’avons tout simplement plus le volume que nous avions. Mon entreprise a perdu une certaine valeur pour cette raison, mais ce n’est pas la fin.»

Christian Comeau devant sa place d’affaires de Saint-Malachie

Beaucoup de chance

Maintenant au début de la cinquantaine, Christian Comeau indique que son entreprise n’est pas en danger malgré la chose. «J’ai l’expérience du passé et je suis peut-être un peu plus sur les freins. Disons que cela m’amène à être prudent.»

La contribution de son épouse fut l’un des gages de succès de son entreprise avec le temps indique-t-il. «Une chance que j’ai eu mon épouse (Ginette Roy). Les heures que je faisais à l’extérieur, elle s’occupait de la famille et assurait tout le côté paperasse, quotas et quand les clients appelaient à la maison, il y avait quelqu’un pour répondre. Les gens appréciaient cela. C’est elle au début qui m’a encouragé à solliciter mon père pour acquérir l’entreprise.»

Malgré les turbulences de l’industrie, il s’estime encore heureux d’avoir choisi ce métier. «Ce n’est pas facile, mais valorisant et gratifiant. J’ai travaillé avec mon père au début et il a toujours été là pour me supporter. Il m’a donné une chance pour me partir. C’est un peu grâce à lui que je fais cela et il dirait possiblement la même chose du sien.»

Celui-ci était d’ailleurs aux côtés de son fils quand il a effectué sa dernière livraison de «pitoune». «Le dernier voyage que j’ai fait le 5 novembre, mon père était avec moi et c’était important. On l’a vécu ensemble. Quand j’étais p’tit gars, il fallait que je me cache dans le fond du camion pour passer la barrière aux usines. C’était lui qui était sur le siège du conducteur dans le temps et là c’était moi», raconte Christian Comeau en riant.

Les gens qui ont des boisés sont aujourd’hui moins nombreux à s’en occuper, alors être en équipe avec des gens lui permet de toujours avoir du travail devant lui, illustre-t-il. «Je travaille avec des propriétaires de multifonctionnelles qui sont mes partenaires pour ainsi dire. Ce n’est pas la fin de l’entreprise. C’est la fin d’une époque. C’est une transformation, une évolution et il pourrait y en avoir d’autres dans le futur.»