Les relais de motoneige nagent dans l’inconnu

MOTONEIGE. La décision gouvernementale de permettre l’ouverture des sentiers de motoneige et des relais cet hiver n’a pas répondu à toutes les questions des gestionnaires de la région. Plusieurs se demandent si ouvrir en vaudra vraiment la chandelle.

Pour un, le président du Club sportif Mont-Bonnet de Sainte-Sabine, Pierre Mercier, a dit espérer que les organisations comme la sienne pourront aussi opérer leurs services de restauration qui souvent, représentent leur principale source de revenus. Au début de la saison estivale, les dirigeants du Club sportif Mont-Bonnet ont amorcé d’importants travaux d’amélioration de leur relais, un projet qui, en incluant les quelque 700 heures de bénévolat réalisées jusqu’ici, est évalué à près de 150 000 $.

Le président du Club sportif Mont-Bonnet, Pierre Mercier, devant le relais de Sainte-Sabine qui a profité d’une importante cure de rajeunissement au cours des derniers mois.

«Un relais sans nourriture, ce ne sera pas gage de rentabilité pour nous. Il faudra avoir des compensations pour combler le manque à gagner », mentionne M. Mercier qui rappelle qu’il s’agit aussi du gagne-pain des employés en charge du service de restauration.

Afin de limiter la propagation de la COVID-19, les relais de motoneige devront contrôler l’achalandage et tenir fréquemment des opérations de désinfection. Il sera interdit d’offrir des services de restauration et de bar. Les motoneigistes pourront entrer dans ces relais pour aller à la salle de bain ou se réchauffer quelques minutes. La Santé publique permet à ces derniers d’apporter leur lunch et manger sur place, à condition de respecter la distanciation sociale.

« Notre relais est financé grâce au resto-bar et nos activités spéciales. On n’a pas le droit aux deux. Faire un refuge, c’est seulement des dépenses pour nous. On ne peut pas enregistrer juste des pertes pour une saison entière. Il y a des frais fixes à payer. L’argent des cartes de membre, ça sert uniquement à l’entretien des sentiers », rappelle Éric Duval, président du Club de motoneige de Beauceville.

Situé sur la route de la Plée, ce club est un carrefour important pour les motoneigistes circulant en Chaudière-Appalaches, vers l’Estrie ou le Bas-Saint-Laurent. Même avec des conditions hivernales idéales, Éric Duval s’attend à une baisse de circulation dans les sentiers.

« Nous perdons déjà notre clientèle américaine. Des réguliers hésitent à renouveler leur carte de membre. La motoneige, c’est aussi une activité sociale. Les gens aiment se rassembler », dit M. Duval.

Double standard

Gilles Lacroix, président du Club motoneige Bellechasse, est aussi conseiller municipal à Armagh. Il voit un double standard entre le relais à Saint-Vallier et le Parc des Chutes d’Armagh.

Gilles Lacroix est président du club de motoneige Bellechasse

« Saint-Vallier est géré par le club, un organisme à but non lucratif. Le Parc des Chutes appartient à la Municipalité d’Armagh. On ouvrira le parc, car c’est une infrastructure gérée publiquement qui appartient aux citoyens. Avec le relais de Saint-Vallier, le club n’aura aucun revenu si c’est seulement un refuge », explique-t-il.

Selon lui, les clubs de motoneige devraient recevoir des aides financières au même titre que les restaurants, bars et gyms. « D’importants relais, comme celui des Monts-Valin (Saguenay), resteront fermés cet hiver. La motoneige rapporte des millions de dollars à notre économie », affirme M. Lacroix.

Pour Yancie Demers du Club Auto-Neige Ville-Marie de Pintendre, l’opération du club est son gagne-pain principal, puisqu’elle est locataire de l’établissement. Elle emploie une quinzaine de personnes pendant l’hiver. Pour l’instant, elle doute pouvoir opérer. « Je serais déjà ouverte sans cela, même si les sentiers ne sont pas ouverts. J’aurais fait quelque chose à l’Halloween et généralement à la mi-novembre, j’ouvre du jeudi au dimanche parce que c’est aussi un lieu de rencontre pour les gens à proximité. »

Malgré l’annonce de la ministre du Tourisme, elle voit mal comment rentabiliser la chose. Elle avoue toutefois ne pas avoir discuté de la situation avec les dirigeants du club. « On a convenu que l’on allait attendre. Tout ce que cela implique, en plus de maintenir un inventaire, c’est beaucoup d’argent, uniquement pour les frais d’assurances, de permis de bar ou de guichet automatique. Tout cela est à ma charge et ce sont des frais annuels, même si le club n’est ouvert que quelques mois dans l’année. »

Caroline Larochelle, gérante, du Club motoneige et VTT de Saint-Bernard, est formelle. « Il faut ouvrir. Je ne peux pas imaginer que nous n’ayons pas de saison. Si on ne peut ouvrir cet hiver, ça fera mal. On espère que les règles seront assouplies le 23 novembre, sinon ce sera difficile. »

L’établissement appartient au club de motoneige et de VTT et est généralement ouvert à l’année, étant à toute fin pratique le restaurant du village. « Généralement, notre saison commence en décembre, pour se terminer en mars ou avril. Je tombe à 40 employés pendant cette période. Comme nous sommes seulement en commandes pour apporter, nous sommes une quinzaine à l’heure actuelle. »

Yancie Demers s’occupe des activités aux Club Auto-Neige Ville-Marie.

Tellement d’inconnus

Yancie Demers fait partie de celles et ceux qui jugent que la situation actuelle amène beaucoup de questions et peu de réponses. « Je vais pouvoir ouvrir quand et pendant combien de temps ? Avec les mesures actuelles, c’est impossible de faire mes frais. Je suis habituellement en mesure de faire un peu de profit parce que je fais des brunchs, des soirées country, des activités et des rassemblements de motoneigistes. Tout ce que je faisais et qui rendait cela rentable, on me dit que je ne pourrai pas le faire. Autre chose, ce n’est pas un centre de ski où déjà, les gens ont payé pour leur billet de remontée. »

Mme Larochelle avoue elle aussi ne pas savoir sur quel pied danser. « Il est certain que si nous ouvrons, on ne pourra être à 100 %. Il est impensable d’avoir 100 personnes dans le bâtiment en même temps, alors que c’était régulier chez nous, pensons seulement aux brunchs du dimanche. »

Mme Demers a un autre élément qui la retient de se lancer dans l’aventure pour le prochain hiver, soit l’incertitude qui persiste sur ce que pourraient pouvoir faire les relais de motoneige. « Si les restaurants et les bars demeurent fermés et que le relais est ouvert, j’ai peur que plusieurs soient tentés de venir ici pour prendre un café, jouer aux cartes, etc. Va-t-il falloir que je me batte avec le monde pour faire une certaine discipline ou choisir qui peut rester ? C’est un pensez-y-bien. »

Quant à Caroline Larochelle, elle espère également ne pas avoir à revivre le scénario d’une réouverture temporaire, les impacts d’une situation du genre étant non-négligeables. « Ramener les gens une fois qu’ils ont pris d’autres habitudes n’est pas facile. Refermer comme on a dû le faire, ça m’agace, car c’est dur sur notre personnel. Il faudra repartir la roue ensuite et ça aussi demande beaucoup d’effort. »

Attendre encore…

Pierre Mercier croit que la situation est appelée à changer d’ici les prochaines semaines, rappelant que la saison s’amorce rarement avant la période des Fêtes. «Tant que la santé publique n’aura pas donné des balises claires, il est difficile de savoir ce qui se passera. On sera prêts, peu importe ce qui se passera », mentionne-t-il, ajoutant qu’il serait facile, en semaine, de servir des repas tout en devant respecter des restrictions, car l’achalandage est beaucoup moins grand que les week-ends.

« Cela dépendrait du nombre de places que le ministère nous autoriserait. Il serait facile de respecter la distanciation physique de deux mètres, car nous avons beaucoup d’espace à l’intérieur. Si on pouvait avoir accueillir de 25 à 30 personnes à la fois, ce serait acceptable. C’est toutefois difficile de monter une organisation quand on n’a pas de balises claires. »

Rencontre virtuelle

Les responsables des clubs en Chaudière-Appalaches tiendront une rencontre virtuelle avec la Fédération des clubs de motoneige du Québec (FCMQ), le vendredi 20 novembre. « Nous aurons beaucoup de questions à poser. La FCMQ doit faire plus de pression sur le gouvernement. C’est elle qui devra nous rembourser si elle veut qu’on ouvre nos relais », indique Éric Duval.

Stéphane Desroches, directeur général de la FCMQ, réplique que le dossier des relais n’est pas du ressort de l’organisation. « Nous existons pour que les motoneigistes aient accès à de beaux sentiers. Les clubs possédant des relais ont fait le choix de les créer. On ne fera aucune pression sur la Santé publique pour enlever la notion de refuge ou obtenir des compensations financières », dit-il.