Défendre les victimes d’exploitation sexuelle: la mission de Karine Lacroix

PROSTITUTION. Originaire de Montmagny et maintenant résidente de Bellechasse, Karine Lacroix est une policière bien établie, elle qui compte 27 ans de carrière, dont les 20 dernières au sein de la Sûreté du Québec.

Depuis près d’un an, Mme Lacroix embrasse une cause qui est devenue une mission pour elle, soit la défense des victimes d’exploitation sexuelle. À cet égard, elle a reçu le mandat de mettre en place, en avril 2021, le Service de lutte intégrée contre le proxénétisme, structure qui est sous la responsabilité de la Sûreté du Québec et qui, outre la SQ, regroupe cinq corps policiers municipaux (Montréal, Québec, Laval, Longueuil et Gatineau), ainsi que la GRC. Celui-ci est opérationnel depuis octobre dernier.

« Il y avait déjà une équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme qui était coordonnée par le service de police de Montréal, mais après le dépôt du rapport de la commission spéciale d’enquête sur l’exploitation sexuelle des mineurs en décembre 2020, on recommandait de bonifier le nombre de ressources, d’étendre cette couverture à l’ensemble de la province et de créer des équipes qui allaient traiter autant le proxénétisme que la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle et de prostitution juvénile. Vu l’ampleur du projet, il a été décidé que la -Sûreté du -Québec allait prendre la responsabilité de celui-ci », indique Mme Lacroix.

Des équipes de lutte contre le proxénétisme ont donc vu le jour à Gatineau (Équipe de l’Ouest) et à Québec (Équipe de l’Est), alors que le service a été bonifié à Montréal avec trois équipes d’enquêteurs.

« À partir d’avril 2022, une centaine de policiers feront partie de ces escouades, ce qui nous assurera une force de frappe partout au Québec », poursuit-elle en reconnaissant que la création d’un tel service avait demandé beaucoup de travail.

Franchir les étapes

C’est le 21 février 1995 que Karine Lacroix amorçait sa carrière, en tant que policier-pompier à la Sûreté municipale de Montmagny. Le 13 septembre 2002, après que la Ville de Montmagny ait intégré le service de la Sûreté du Québec à son territoire, elle devient patrouilleur au poste de sa ville natale avant de joindre celui de la MRC Robert-Cliche (Saint-Joseph) en 2007, où elle a débuté comme patrouilleur avant de devenir policière-intervenante en milieu scolaire (PIMS), puis enquêteur de poste en 2009.

En 2013, elle passe à la Division des enquêtes sur les crimes majeurs à Québec où elle a œuvré pendant cinq ans, devenant même chef d’équipe intérimaire en 2016. Elle est ensuite devenue coordonnatrice en enquête au crime organisé, puis chef de l’Équipe d’enquête sur le crime organisé (ÉECO) à Québec.

Elle a occupé les deux fonctions jusqu’en 2019, devenant alors responsable de l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ÉNERCO), poste qu’elle a occupé jusqu’en 2021, alors qu’on lui demandait de créer le service de lutte contre le proxénétisme.

« Mon cheminement m’a permis de gravir plusieurs échelons et de relever différents défis et c’est ce que j’aime à la Sûreté du Québec. Tu as beaucoup d’opportunités d’emploi et c’est très diversifié. J’ai eu un parcours qui m’a permis d’évoluer là-dedans tout en continuant à m’occuper de ma famille », précise celle qui est mère de deux garçons, maintenant âgés de 23 et 20 ans.

Karine Lacroix est d’avis que son cheminement à la Sûreté du Québec l’a bien préparé pour le poste qu’elle occupe actuellement. « J’ai touché différentes clientèles et en ce sens, je pense que j’avais un profil intéressant pour la lutte au proxénétisme qui est, de fait, un mélange de crime organisé, de crimes majeurs et de crimes contre la personne. Les victimes d’exploitation sexuelle sont aux prises avec bien des problèmes, surtout de la violence. »

Elle dit d’ailleurs apprécier ses nouvelles fonctions qui, de fait, sont devenues plus qu’un simple travail. « Les gens qui travaillent dans ces équipes-là sont des passionnés, des gens très humains qui ne portent pas de jugement et sont là pour aider, peu importe l’heure du jour ou de la nuit », mentionne-t-elle.

Karine Lacroix amorcera sous peu sa 28e année au sein des forces de l’ordre et ne se dit pas prête pour la retraite, ayant toujours le goût de travailler pour aider les victimes d’exploitation sexuelle.

Être plus présents en régions

L’Opération Scorpion, réalisée en 1998 à Québec a, selon Karine Lacroix, ouvert les yeux à bien des gens à l’époque, car c’était l’une des premières fois qu’on parlait vraiment de prostitution à Québec, surtout de prostitution juvénile. « Avant, c’était vraiment concentré dans les grands centres. On veut être plus présents en régions, car on se rend compte qu’il y en a beaucoup là aussi. Les jeunes filles qui se font recruter ici sont amenées dans d’autres provinces ou dans d’autres pays. »

Elle ajoute que des régions comme Bellechasse-Etchemins ou la Beauce ne sont pas épargnées par le phénomène. « Je me rappelle de l’Opération Spotlight où, dès 2015, on essayait de déceler des victimes de proxénétisme et personnellement, j’avais rencontré une fille de la Beauce qui était prise là-dedans. C’est certain qu’au fil des ans, ça n’a pas diminué. Il y a beaucoup de jeunes filles, certes, mais aussi de jeunes garçons qui vont être victimes de proxénètes. Il y a une clientèle pour à peu près tout », insiste-t-elle.

S’attaquer aux clients et proxénètes

Si les proxénètes sont depuis longtemps dans la mire des policiers, Mme Lacroix ajoute que la SQ et les autres corps policiers impliqués auprès de son service entendent s’attaquer davantage aux clients-abuseurs qui, mentionne-t-elle, sont bien au fait de ce qu’ils font, surtout quand ils paient pour des mineurs.

« L’objectif, c’est de les arrêter eux aussi. On a de bonnes sentences pour les proxénètes, mais on en voit aussi de plus en plus pour les clients. Il nous reste encore du travail en faire comme société, mais on sait que ce type de criminalité nous interpelle de plus en plus en plus comme parent. La loi ne sera jamais assez sévère à ce niveau. Ce sont nos garçons comme nos filles qui peuvent se retrouver là-dedans », poursuit-elle en ajoutant qu’elle et ses équipes d’enquêteurs entendent développer le volet autochtone où le problème est présent également.

Comme une part importante du recrutement se passe par le biais des réseaux sociaux, Karine Lacroix invite les parents à demeurer alertes et à en parler régulièrement à leurs enfants qui, bien souvent, ne se rendent pas toujours compte de ce qui se passe et finissent par tomber dans les filets des proxénètes.

Elle ajoute que le rôle des escouades qui sont sous sa responsabilité est d’accompagner les victimes, dès qu’elles décident de dénoncer leur situation, qu’elles aillent vers le processus judiciaire ou non.

Karine Lacroix rappelle enfin qu’il n’y a pas de profil type de victimes, que celles-ci peuvent provenir autant de milieux aisés que défavorisés, de milieux avec des parents très présents ou peu. « Ces personnes sont victimes de manipulation. Il peut s’agir d’un simple moment de vulnérabilité et cela, les proxénètes le sentent rapidement. Ça ne prend souvent qu’un moment de faiblesse, que la personne soit mineure ou majeure. »