La tordeuse aux portes de nos forêts
FORÊTS. Un visiteur indésirable pourrait faire son arrivée dans la région au cours des prochains mois et causer des dommages importants à nos forêts, soit la tordeuse des bourgeons de l’épinette.
Directeur de l’Agence de mise en valeur des forêts privées des Appalaches, Jean-Pierre Faucher indique que l’année 2020 a montré un bond important de la présence de la tordeuse partout au Québec. C’est son arrivée en Chaudière-Appalaches qui inquiète les aménagistes forestiers de la région.
« Avant, la tordeuse se déployait de l’ouest vers l’est sauf que cette fois-ci, elle a passé plus au nord. Elle est passée de l’Outaouais à l’Abitibi pour se diriger vers la Côte-Nord pour ensuite être soufflée de l’autre côté du fleuve en Gaspésie, puis au Bas-St-Laurent. Elle revient maintenant vers nous. »
Des observateurs auraient décelé sa présence à Notre-Dame-du-Rosaire, près de Montmagny, l’été dernier. On en aurait vu sur plus de 3 300 hectares chez 240 propriétaires dans le comté de L’Islet. « Des larves ont été prélevées l’été dernier et il y en a beaucoup, alors ça risque de cogner chez nous cet été, surtout dans Bellechasse et le secteur du Massif du Sud, avec une défoliation qui risque d’être forte dans le futur », indique M. Faucher qui croit que la Beauce doit aussi s’y préparer. « Ce sera possiblement un peu plus tard, sauf si les vents ne sont pas en notre faveur. »
M. Faucher mentionne que l’arrivée de la tordeuse était prévisible, le tout étant cyclique. « On a une épidémie à peu près tous les 40 ans. La dernière s’est terminée dans les années 80. Ce qui est différent, c’est qu’elle se déploie plus lentement. Elle se rapproche et les chercheurs nous disent que nous allons y goûter et ce sera possiblement dans un avenir rapproché. »
La tordeuse va principalement s’attaquer aux pousses annuelles des résineux, surtout le sapin. Elle va aussi manger les épinettes blanches et l’épinette de Norvège, indique-t-il également.
« L’insecte se transforme en papillon au début du mois de juillet et si nous avons des vents du nord-est, ça risque d’accélérer tout ça. Plus le sapin est vieux, plus il est vulnérable. En cinq ans, le risque que le sapin ne passe pas à travers est grand. »
Le recours aux arrosages et autres
Entomologiste et biologiste au ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs, Pierre Therrien évalue que plus de 3 700 hectares sont touchés en Chaudière-Appalaches. « Toutes les forêts sont vulnérables. Le ministère a une stratégie, car c’est un insecte que l’on connait un peu puisqu’il revient chez nous aux 30-40 ans. Même quand il n’y a pas de tordeuse, on demande aux gestionnaires de diminuer la quantité de sapins dans les peuplements pour s’assurer de réduire la vulnérabilité », mentionne-t-il en ajoutant que des arrosages peuvent être faits, mais uniquement sur des territoires particuliers.
« On n’arrose pas toutes les forêts touchées par la tordeuse. On cible particulièrement des peuplements à haute valeur économique. Si de la mortalité devient inévitable, on peut mettre en place des plans de récupération avant qu’ils ne se détériorent trop. »
À ce sujet, un seul insecticide est utilisé au Québec. Celui-ci est sécuritaire pour les humains et les autres espèces animales. « Il ne cible que les insectes comme la tordeuse. Généralement, ces arrosages se font par la voie des airs. »
Forêt vulnérable
Les superficies de forêts vulnérables sont importantes dans la région, particulièrement pour les régions frontalières au Maine comme Les Etchemins ou Beauce-Sartigan où la présence de peuplements de sapins ou d’épinettes est plus nombreuse. « Plus on s’approche de la frontière américaine, plus il y a de résineux, tandis que plus on se dirige vers le fleuve, moins les forêts seront vulnérables à la tordeuse. Le sapin est l’essence la plus importante dans la région après l’érable à sucre », remarque Jean-Pierre Faucher.
Il ajoute que l’accroissement de la vulnérabilité à la tordeuse de nos boisés est d’ailleurs indéniable, puisque la forêt vieillit. Le 2/3 du couvert forestier de la région est considéré comme étant mature. « C’est environ 27 % du territoire qui est composé de sapins, soit 28 % dans Bellechasse et 42 % dans Les Etchemins par exemple, raison pour laquelle nos forêts sont si vulnérables. Notre forêt avait été balayée par la tordeuse à la fin des années 70 et au début 80. Elle devient donc mature à peu près en même temps partout. Nous n’avons pas une forêt normale, puisqu’elle a été conditionnée. Plus on monte en altitude, plus on trouve du résineux, des conditions sont gagnantes pour la tordeuse. »
Pas de panique
Le message qu’il lance n’est toutefois pas de paniquer, mais de se préparer. Les propriétaires auraient avantage à récolter leurs peuplements mûrs de sapins et de garder les autres essences où cela est possible. « C’est de cette façon que l’on peut inciter les propriétaires à se préparer pour être prêts lorsque le moment sera venu. Un plan d’aménagement est nécessaire pour ceux où un arrosage préventif sera possible. »
Pierre Therrien a, quant à lui, un peu le même discours. « Les superficies touchées sont faibles pour le moment, mais il est temps de se préparer et voir comment nous allons réagir. Notre stratégie est faite et transmise aux régions qui vont disperser le travail pour les interventions nécessaires. »
Moins destructeur, un autre parasite similaire a toutefois été vu dans la région l’été dernier, précise Jean-Pierre Faucher. Il s’agit de l’arpenteuse de la pruche qui s’attaque, elle aussi, au sapin et à l’épinette. Il ne faut pas la confondre avec la tordeuse. Elle a été vue à Armagh, Saint-Damien, Lac-Etchemin et Saint-Malachie notamment, de même qu’en Beauce, du côté de Saint-Joseph ou Notre-Dame-des-Pins. Elle cause toutefois moins de dommages, fort heureusement. »
Des interventions préventives
Les deux intervenants s’entendent pour dire que les interventions se feront selon les mêmes procédés, soit une récolte préventive et des coupes de récupération. « Le programme d’arrosage est à peu près le même. Les efforts risquent d’être faits où il y a eu des investissements sylvicoles. L’arrosage ne sert pas à éliminer l’insecte, mais à maintenir le feuillage pour que l’arbre passe à travers », résume Jean-Pierre Faucher.
Ce dernier observe toutefois que la méthode de lutte n’est pas la même chez nos voisins, notamment au Nouveau-Brunswick et dans le Maine où l’arrosage serait davantage préventif.
« Des chercheurs disent que le Québec aurait eu avantage à faire la même chose, sauf qu’il est trop tard. On va plutôt essayer de sauver les meubles. Il n’y a pas encore d’arrosage qui se fait au Maine », indique pour sa part M. Therrien.
« Le Nouveau-Brunswick a effectivement une stratégie différente de la nôtre, mais c’est un projet de recherche. On parle d’une intervention hâtive visant à empêcher que l’infestation prenne place. Ici au Québec, on arrose environ 5 % de la superficie, tandis qu’eux devront arroser l’ensemble du territoire touché. Ça semble fonctionner, mais on verra dans le temps ce que ça donne et quels auront été les coûts d’une telle démarche », poursuit-il en ajoutant que quelques découvertes ont été faites dans le passé et d’autres plus récemment, sur le phénomène.
« Nous avons découvert, après le début de l’épidémie au Québec, que la tordeuse a de la difficulté à se reproduire lorsque les populations sont faibles. On regarde ce qui se passe au Nouveau-Brunswick, mais on se doit aussi de tenir compte que notre superficie est beaucoup plus grande. »
Un comité régional sera éventuellement mis en place. « Ça devrait impliquer pas mal de monde. Les groupements forestiers, les syndicats de producteurs de bois et le ministère devraient être avec nous aussi, justement pour essayer de cibler les actions. L’arrivée de la tordeuse va éventuellement empêcher la tenue de certains travaux, surtout à grande échelle, question de ne pas mettre de pression sur notre forêt », dit-il en terminant.