Une vie remplie pour Marc Bergeron
ARMÉE. Au cours des deux derniers étés, les visiteurs qui ont assisté à l’événement Sur les traces de La Corrivaux ont certainement aperçu un grand photographe sympathique immortaliser tous les moments de cet événement.
Adepte de la photographie depuis 46 ans, Marc Bergeron a derrière lui un riche passé au sein de l’armée canadienne. Son métier pendant toutes ces années : photographe de combat.
Diplômé en photographie du Cégep de Matane, ce bleuet d’origine (il est né à Alma) décidait de s’inscrire dans l’armée canadienne en 1984, après deux années à travailler dans un laboratoire photo.
« Je suis une personne d’action et je ne me voyais pas passer ma vie à travailler dans un studio photo. Le métier de photographe dans l’armée avait un certain attrait pour un jeune homme comme moi à l’époque. De voir les images militaires qui sont envoyées à toutes les grandes entreprises de presse du monde, c’était attirant. Pour un photographe qui aimait l’action, l’armée canadienne, c’était dur à battre », indique celui qui s’est établi à Saint-Vallier il y a 18 mois à peine.
Premier arrêt : Halifax
C’est à l’âge de 23 ans que Marc Bergeron joint les forces canadiennes. Comme il avait terminé son cours collégial, son intégration au travail a été rapide. Alors à l’emploi de la Marine canadienne, il est mobilisé du côté d’Halifax où il ne restera pas longtemps. « Le Canada était responsable des formes maritimes de l’OTAN. Mon sergent m’a invité à appliquer comme photographe des forces maritimes de l’OTAN. J’ai donc joint la force d’intervention de l’Atlantique qui est basée à Bruxelles, même si nous n’étions jamais là », indique-t-il en précisant que cette unité est constamment en mer.
Le jeune soldat passe donc près de 13 mois en mer comme photographe. « Comme j’étais le seul photographe pour les 16 pays œuvrant au sein de cette force navale, j’avais beaucoup de travail. J’avais mon laboratoire à bord du bateau qui battait pavillon canadien », précise-t-il en ajoutant que son travail, à cette époque, son travail était de suivre les forces de l’OTAN et de rapporter, en photo, ce qu’elles faisaient en mer.
« C’était aussi un travail important pour les services de renseignement. Quand on voyait un bateau au loin, on embarquait dans l’hélicoptère et on allait le photographier, car on était encore à l’époque de la guerre froide contre l’URSS », poursuit-il en ajoutant que cette mission, il a réalisé un reportage photo de quatre pages qui avait été publié dans le prestigieux The Globe & Mail en 1987.
À ce travail avec les forces de l’OTAN s’ajoutait la production de photos pour les affaires publiques qui alimentaient les médias de partout dans le monde.
Apparition du Photo Combat
Après quelques années à Halifax et au service des forces maritimes de l’OTAN, Marc Bergeron est transféré au département MOPIC (Moving Pictures) à Ottawa, service qui allait devenir un peu plus tard le Combat Camera des forces canadiennes.
Au sein de celui-ci, il s’impliquera dans la Guerre du Golfe au début des années 1990, un moment charnière dans sa carrière. Deux officiers de relations publiques et trois photographes, dont lui, ont été acheminés dans cette région du globe pour préparer une série de quatre documentaires sur les opérations qui se déroulaient dans cette partie du monde, durant l’opération « Tempête du Désert ».
« Nous sommes arrivés quatre ou cinq jours avant que les 72 heures de bataille au sol ne commencent. Ça brassait beaucoup, c’est quelque chose que tu ne t’attends jamais à vivre et à voir. Il y avait beaucoup de travail photographique et cinématographique à faire », insiste-t-il en ajoutant qu’à l’hôpital militaire, il prenait des photos des premières victimes de guerre qui arrivaient à coups de 8, 9 ou 10 à la fois dans les salles d’opération, surtout des Iraquiens. « On travaillait entre 20 et 22 heures par jour à photographier et filmer les prisonniers de guerre qui arrivaient. C’était saisissant, car ce sont des êtres humains malgré tout. La majorité ne voulait pas être là. »
Il ajoute que lorsqu’il y avait moins de travail dans l’hôpital militaire, ils se rendaient dans un camp de prisonniers où ceux-ci arrivaient à coups de 200 ou 300 prisonniers à la fois. « On les prenait en photos et on montait des archives, pour montrer qu’ils étaient bien traités, pas mal mieux que dans l’armée de Saddam Hussein. C’était quasiment une bénédiction pour eux, car ils avaient de l’eau et de quoi à manger. »
Apparition du syndrome post-traumatique
Marc Bergeron souligne qu’en tant que membres de l’équipe de Combat Camera, et ses collègues ont vu et vécu des événements difficiles, bien plus que la majorité des gens. « Quand tu reviens de là, tu es marqué psychologiquement et c’est là que j’ai eu mon premier choc post-traumatique. Quand les blessés arrivent, ça pleure, ça crie, ça fait mal, ce sont des blessures importantes qu’ils ont. Tu es dans les salles d’opération et oups, il y en a un qui meurt devant toi, tu ne peux pas être insensible devant cela. »
Une fois sa mission dans cette région terminée, M. Bergeron et son équipe reviennent à Ottawa, où ils réintègrent l’équipe MOPIC. Mais lui, ne va pas mieux. « J’étais sur l’adrénaline et c’est un an plus tard, jour pour jour, que je me suis réellement aperçu que je souffrais d’un choc post-traumatique. Un an jour pour jour, je suis allé à l’hôpital, car je ne me sentais pas bien. J’avais des crises de panique, je me perdais dans le centre d’achat, je ne comprenais plus ce qui m’arrivait », souligne-t-il en précisant qu’il a passé une dizaine de jours à l’hôpital où il a passé une série de tests.
« Ils ont conclu que ça devait être la fatigue accumulée en raison des combats (combat fatigue). Ils n’appelaient pas ça syndrome post-traumatique à ce moment-là. C’était très mal vu, mais j’étais capable de dire quand je ne me sentais pas bien. Ils m’ont donné congé pour les Fêtes en pensant que je serais correct après, ce qui n’était pas le cas. »
Après les Fêtes, il retourne au travail. En 1994, sous le vocable des Casques-Bleus des Nations-Unies, il se rend en Bosnie où sévit une autre guerre. Son syndrome n’était pas passé, mais il a tenu bon. « Ça brassait encore pas mal dans cette région, il y avait passablement de combats entre les Serbes et les musulmans. C’est un conflit ethnique, une guerre où plein de gens perdaient la vie », rappelle-t-il.
Pendant son séjour là-bas, lui et d’autres soldats sont faits prisonniers par les Serbes, à Sarajevo, pendant 16 jours, une expérience traumatisante et difficile, reconnaît-il.
Une fois cet épisode terminé, il s’attendait à retourner chez lui, ce qui n’a pas été le cas. « Trois semaines plus tard, on a reçu l’ordre d’aller chercher des soldats blessés à Sarajevo et pour se rendre là puis les amener à l’hôpital, on devait passer par trois points de contrôle serbes. On est restés coincés trois jours comme otages et on a finalement pu libérer d’autres blessés. »
La fin approche
Il a passé sept mois dans cette région du globe et a pu retourner chez lui. Son choc traumatique était encore plus présent. « J’étais vraiment malade, ça n’allait pas bien dans ma tête. Je ne me levais pas le matin, je buvais beaucoup et le ne voulais pas voir le monde. Ça s’est poursuivi jusqu’à ce que je demande de l’aide à l’armée. Mon patron voyait que ça n’allait pas bien », affirme-t-il en ajoutant toutefois que bien rapidement, il s’est retrouvé à Haïti pour faire un documentaire sur la guerre civile et un camp canadien. Il s’est ensuite rendu en Asie pour réaliser un documentaire sur les blessés de guerre, dans le cadre de la commémoration de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
En août 1996, il est transféré à Bagotville où il devient responsable du département d’imagerie, avant d’être envoyé sur une base américaine en Italie où il devait filmer des chasseurs prenant la route des airs pour aller bombarder le Kosovo. Ce fut sa dernière mission officielle à l’étranger.
Sortir de l’armée
C’est en 2002 que Marc Bergeron sera libéré des Forces armées canadiennes en raison de son état de syndrome post-traumatique. S’amorçait alors un autre combat, soit celui de faire valoir ses droits, de se faire reconnaître comme une victime et d’avoir une pension adéquate à sa situation.
« On était dans les premiers à subir cela, mais aujourd’hui c’est reconnu et nous sommes bien traités », mentionne-t-il en ajoutant que les avancées dans ce domaine, au sein de l’armée, sont redevables au général Roméo Dallaire.