Hausse de la criminalité: nos jeunes dans la mire ?

SOCIÉTÉ. Les événements des derniers mois dans la région, impliquant des groupes criminalisés, ont frappé l’imaginaire de plusieurs, de par leur nature et du fait qu’ils se sont produits dans des localités près de chez-nous.

Si les événements marquants des guerres entre groupes se produisaient généralement dans les milieux urbains, en 2024, ce sont des localités comme Saint-Malachie, Saint-Zacharie, Frampton, Scott, Sainte-Marguerite, Saint-Joseph, Saint-Georges et, plus récemment, Saint-Anselme qui ont fait les manchettes des principaux médias de la province et même du pays.

Autre élément particulier, c’est l’implication d’adolescents et de jeunes adultes au cœur de certains de ces événements qui semble être un phénomène nouveau. S’il a toujours existé, le recrutement de certains groupes criminalisés auprès des jeunes est revenu dans l’actualité au cours des dernières semaines. Certains ont même avancé que certains groupes pouvaient se servir des rassemblements observés dans certaines écoles secondaires de la région pour se mettre en valeur.

Sans confirmer la chose, des intervenants jeunesse de la région font certains constats. T travailleur de rue dans Bellechasse depuis 20 ans, Jérôme Baillargeon ne se dit pas surpris des rumeurs, même que la chose n’est pas nécessairement un nouveau phénomène, à ses yeux. Toutefois, les événements de la dernière année ont peut-être accentué le niveau de sensibilité autour sujet, selon lui.  

« On en avait déjà entendu parler nous-mêmes. Ce sont des échos de la rue que l’on reçoit occasionnellement de la part de partenaires qui osent en parler. Cela n’a rien de surprenant, car le caractère rural de la région, en raison de l’isolement, l’appât du gain et le pouvoir, font que cela peut donner et répondre à un besoin des jeunes de se rallier à un groupe », résume-t-il.

À la Direction de la protection de la jeunesse en Chaudière-Appalaches, cette hausse de la criminalité semble aussi avoir des effets sur l’organisation. « Assurément qu’il y a un impact. On va poindre des situations qu’on ne voyait pas chez nos jeunes avant. Ce n’est pas à la hauteur des grands centres et c’est un volet un peu délicat, mais il faut s’y attaquer. On le voyait venir, c’est un niveau de criminalité différent, mais il faudra s’y attaquer. Des actions au niveau national s’en viennent », résume Caroline Brown, directrice régionale en Chaudière-Appalaches.

Elle ajoute que la prévention doit se faire de façon plus ciblée. « Le recrutement se fait un peu comme l’exploitation sexuelle se fait aujourd’hui. Avant, ça se passait dans les cours d’école et on arrêtait le proxénète. Aujourd’hui, c’est davantage sur les réseaux sociaux, alors que la jeune fille qui demeure en ruralité, une voiture viendra la chercher un soir et l’amènera dans les hôtels de Québec et ainsi de suite. »

D’importantes nuances

À la Sûreté du Québec, le coordonnateur régional en police communautaire, le sergent Frédéric Boutin, rejette toutefois les allégations à l’effet que du maraudage puisse être possible dans certaines écoles secondaires de la région. Il ne nie toutefois pas que la présence de certains groupes criminalisés, dont le Blood Family Mafia (BFM) qui fait les manchettes depuis quelques semaines, puisse amener des éléments nouveaux.

« Effectivement, nous vivons une situation particulière, la clientèle jeunesse est toujours en mouvement et on doit être en vigie constamment. Il faut toutefois faire une distinction entre la crainte, les appréhensions et ce qui se passe réellement sur le terrain. Ce n’est plus tant vrai que ça se passe ainsi. C’est largement par les médias sociaux maintenant. Le coût-bénéfice pour le recruteur est plus avantageux de cette manière », selon lui.

Directrice générale d’Action Jeunesse Côte-Sud, Marjorie Asselin ne nie pas qu’il y ait eu des événements largement médiatisés dans la région au cours des derniers mois. Selon elle, les jeunes n’ont pas un accès supplémentaire à la criminalité aujourd’hui, malgré cela. « Il n’y a pas une étendue. Chez nous, nous n’avons pas de dossier de criminalité lié à un groupe ou un autre. Il y a des méfaits, du vandalisme ou de l’intimidation, mais rien relié à ces réseaux. Nous avons quand même une vigie qui nous permettra de nous mobiliser, si nécessaire. »

Elle ajoute que des choses se font déjà sur le terrain et directement dans les écoles pour prévenir tout changement ou escalade, le cas échéant. « Dans tous les comités de partenaires que nous avons figurent à l’ordre du jour des éléments qui sont soulevées par rapport aux jeunes, des particularités, des enjeux, des actions prises ou à prendre, etc. »

Une observation que partage la sergente Mélanie Côté, coordonnatrice locale en police communautaire dans la région. « Il y a des grandes lignes de pensée qui sont provinciales ou régionales, mais on doit s’arrimer sur les réalités locales. Nous sommes présents physiquement dans les écoles depuis longtemps et notre présence est déjà dissuasive. Il y a par le fait même une coordination naturelle avec les milieux scolaires et les différents intervenants. »

Des intrus peuvent occasionnellement s’infiltrer dans les cours d’école, une chose que ne nie pas Mme Côté qui insiste toutefois pour dire que les écoles sont bien outillées pour réagir au besoin. « Chaque école a de la surveillance sur son terrain, même à l’extérieur. Si un véhicule est jugé suspect, que le conducteur est averti de quitter et que ça ne se fait pas, c’est inscrit dans un cartable et on fait des vérifications. C’est un constat d’infraction d’errer sur un terrain scolaire, ce sont des lieux privés. »

Ces vérifications sont souvent plus simples aujourd’hui, ajoute le sergent Boutin. « Avant c’était un véhicule noir, tel modèle, occasionnellement le numéro de plaque. Aujourd’hui, avec les téléphones intelligents, on reçoit la vidéo avec tous les détails pertinents à la recherche. »

Un attrait certain

Les craintes de voir les jeunes être davantage attirés par certains groupes sont toutefois légitimes, prévient Jérôme Baillargeon, qui ajoute que la médiatisation des événements des derniers mois a pu créer une certaine fascination chez certains. « Le crime organisé fascine des jeunes. Ce besoin d’une appartenance est dans la culture des jeunes. L’esprit de corps, davantage que la franche camaraderie, la loyauté, tout cela fascine les jeunes. Ceux qui ne font pas partie d’un groupe ou qui sont généralement en retrait peuvent être à risque », observe-t-il.

Son collègue Christian Perron ajoute que la marginalité, le rejet, la différence ou l’étiquette sont d’autres facteurs à inclure dans l’équation. « Un jeune qui a son entourage ou qui n’est jamais seul a déjà ses facteurs de protection. L’homophobie, le racisme sont des facteurs de rejets, tout comme l’apparence, mais bien d’autres éléments peuvent causer de l’isolement et rendre quelqu’un vulnérable. »

Les intervenants d’Action Jeunesse Côte-Sud sont aussi d’avis qu’un jeune qui fréquente l’école a déjà une certaine forme de protection. « Il faut voir ce qui s’offre aux jeunes en dehors des heures de classe. Ont-ils accès à des activités de loisirs, à des choses qui les passionnent. Du recrutement peut se faire dans des activités informelles. »

Si les Hells Angels et le Blood Family Mafia (BFM) sont ceux qui attirent généralement l’attention dans l’actualité, la région est généralement composée de vendeurs indépendants, ce qui peut aussi être un élément de querelles potentielles, selon les travailleurs de rue. « Plus ils sont présents et plus ils vont créer des liens, se connaître entre eux, ce qui peut ensuite débouler, car ils ne font pas partie d’un groupe. Pour garder ses acquis, on pourrait lui demander de faire ses preuves avec des petites commandes. »

Intervenant chez Action Jeunesse Côte-Sud, mais aussi maire de Saint-Damien, Sébastien Bourget est de celles et ceux qui observent et entendent des choses, particulièrement après la diffusion médiatique qu’ont engendré différents événements reliés à la criminalité dans la région. Il suggère de remettre en perspective certains éléments, notamment la gravité de la situation actuelle dans la région. « Ce n’est pas tout faux ce qui peut être diffusé, mais on ne doit pas tout prendre pour acquis. »

Loin de vouloir la banaliser, Jérôme Baillargeon insiste toutefois pour dire que la situation n’est pas plus alarmante que par le passé. Certaines mœurs ont toutefois changé, observe-t-il, et l’arrivée de certaines drogues sur le marché y est peut-être reliée.

« Il y a peut-être plus de jeunes anxieux, des jeunes en rupture parce qu’en détresse. Ils sont déjà médicamentés à 12 ou 13 ans. En 1999, il n’y en avait pas tant. Quand tu apprends à quelqu’un à prendre des pilules pour traiter quelque chose, tu conditionnes un réflexe pour tout. La médication a ses bienfaits et est un bon support, mais pour des situations particulières. Dans la vision globale, il y a peut-être une surmédication dans notre société », affirme-t-il.

Ce qui est davantage inquiétant pour nos intervenants est surtout la précocité observée chez les jeunes, notamment dans l’actualité des dernières semaines. « La banalisation est un enjeu, mais le fait que ce soit des plus jeunes dont en entend parler, le fait que ce soit plus tôt qu’il se développe un rapport avec les drogues ou des gestes criminels est inquiétant, tout comme le fait que ça s’est passé dans notre cour », estime Jérôme Baillargeon en terminant.