L’asclépiade: une plante, plusieurs possibilités

AGRICULTURE. Un groupe de producteurs agricoles de Chaudière-Appalaches et d’ailleurs en province regarde les possibilités de développer une filière sur l’asclépiade, une plante dont les propriétés isolantes seraient prometteuses, voire inégalées.

La Coopérative Monark regroupe une quinzaine de membres producteurs, répartis à travers le Québec, qui cultivent près de 135 hectares dans l’espoir que le développement technologique et de produits, de même que la mise en marché des matériaux issus de l’asclépiade, prennent éventuellement leur place. Les producteurs impliqués supportent ensemble le développement de tous les volets du projet, soit de l’agriculture à la transformation.

Si le siège social de la coopérative se trouve au Bas-St-Laurent, la coordination du projet de l’asclépiade québécoise et les essais de culture se font dans Bellechasse, à Saint-Michel. Chargée de projet pour la coopérative depuis quatre ans, Marie-Noël Breton est productrice d’asclépiades depuis 2018. Passionnée par la pollinisation et l’apiculture, c’est là qu’elle s’est intéressée à la plante et ses propriétés. 

Mme Breton a repris la ferme familiale en 2016, après le décès de son père. L’entreprise évoluait alors dans les secteurs du veau de lait et des grandes cultures. Marie-Noël a choisi de conserver la deuxième activité et de chercher d’autres options.

« Au départ, je souhaitais rentabiliser une ferme marginale de 21 hectares en culture, incluant une petite production d’ail. Je suis la 6e génération à y vivre et à y cultiver la terre. Je me suis impliquée en 2021 parce que je me suis dit que ce n’est pas vrai que cette fibre-là, aux propriétés hors du commun, n’atteigne pas le succès auquel elle est destinée, d’autant plus que l’asclépiade est, à ce jour, la plante bio-industrielle québécoise avec la plus grande valeur ajoutée potentielle », estime-t-elle. 

L’asclépiade n’est toutefois pas appréciée de tous, étant même considérée comme nuisible par certains. « C’est une plante indigène vivace et on la retrouve beaucoup en bordure de certaines routes, dont l’autoroute 20, et sur les terrains vagues. Elle pousse un peu partout, mais de la rendre uniforme, dans un champ, est un autre défi. Certains pensent que c’est une mauvaise herbe et plusieurs ne veulent pas l’avoir dans leurs champs. J’ai déjà entendu des producteurs réclamer une loi contre cette plante. »

Sur le sujet, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) confirme que des préoccupations ont été soulevées dans le passé. « C’est notamment en lien avec sa dissémination potentielle dans d’autres cultures. Ces risques soulignent l’importance, pour les producteurs d’asclépiades, d’adopter des pratiques culturales encadrées par des protocoles rigoureux visant à prévenir sa propagation non souhaitée », indique Yohan Dallaire-Boily, relationniste du ministère.

Un potentiel certain

Alors, pourquoi cette plante plutôt qu’une autre ? « C’est très venteux où nous sommes situés et chaque printemps, je remarquais que la terre partait au vent, alors je me suis intéressée à la santé des sols et à comment faire pour les conserver. C’est ce qui m’a amené à d’autres cultures et comme je suis apicultrice de formation, le pollen, les abeilles, c’est là que l’asclépiade m’est apparue pertinent. »

Ce sont surtout ses propriétés qui ont amené Mme Breton à la choisir et vérifier son potentiel, d’autant plus que la plante contribue à la survie des pollinisateurs et du papillon monarque, une espèce en voie de disparition au Canada depuis 2023, selon la Loi sur les espèces en péril.

La plante présente toutefois quelques défis, particulièrement au niveau mécanique, étant volatile. Coopérative Monark a notamment réussi à développer un matelassé isolant d’asclépiade, répondant aux standards de l’industrie, en collaboration avec une équipe de l’Université de Sherbrooke. Le matériau textile est de 30 à 60 % plus léger que les équivalents synthétiques sur le marché pour la même capacité thermique, ce qui intéresse certaines entreprises des domaines de l’automobile, du vêtement technique et de plein air, de la chaussure ou de l’isolation acoustique.

« Le secteur de l’automobile s’y intéresse notamment en raison de ses particularités isolantes et thermiques, mais aussi parce qu’elle est légère, pour alléger éventuellement les véhicules. Les volumes ne sont pas adéquats actuellement, mais il y a un intérêt, même pour l’aviation », explique Mme Breton.

Dr Mathieu Robert, professeur et chercheur à l’Université de Sherbrooke, confirme que des projets du genre sont prometteurs. « Il y a des produits finis qui pourraient mis sur le marché relativement rapidement grâce à des ressources. Il y a un potentiel énorme. On a clairement un matériau hors pair. Il y a toutefois un problème de logistique, car il y a un déficit en termes d’outils technologiques pour faire certaines applications, mais aussi au niveau industriel où nous n’avons pas accès à certains outils, même si l’industrie du textile est toujours bien établie ».

Étape par étape

Selon le Dr Robert, le développement de la filière devra se faire graduellement, en tenant compte de la production disponible, contrairement à ce qui a déjà été vécu dans le passé. « Il ne faut pas voir trop grand, sinon on va se brûler très rapidement, comme plusieurs applications de matériaux biosourcés.

Le défi sera de fédérer les décideurs et les industriels autour d’une chose qui pourrait inclure autre chose que l’asclépiade. » Il faut éviter de portionner ou segmenter la chaîne de valeur. On essaie plutôt de trouver une chaîne intégrée où l’agriculteur sera au cœur de tout. Il faut créer de la valeur pour tout le monde. C’est une vision davantage dirigée vers l’économie circulaire que ce qui s’est fait dans le passé dans les écomatériaux ».

Si le développement de la filière offre ses défis, sa production est l’une des plus chancelantes à l’heure actuelle, le nombre de producteurs ayant chuté au cours des dernières années. Marie-Noël Breton estime toutefois que les choses pourraient bientôt changer.

« À une époque, il y avait une centaine de producteurs, sauf que les choses ont stagné, les gens ont vieilli et vendu leur ferme. On recherche des solutions pour les défis de culture, de la recherche et du développement pour les équipements de récolte et autres, tout comme le développement de produits. »

C’est pourquoi elle estime que le potentiel est réel et ne demande qu’à être développé. « C’est une plante qui n’existe qu’en Amérique du Nord. Ça intéresse des producteurs, sauf que l’on souhaite d’abord régler quelques défis, surtout au niveau de la récolte. Nous n’avons jamais été aussi avancés que nous le sommes. Le développement du matelassé fait que nous avons une relance, car ce qui se faisait avant n’était pas performant. Les fabricants attendent des données techniques qui viendront confirmer son potentiel », assure-t-elle.

Une fois extraite, l’asclépiade ressemble à une ouate qui doit être retravaillée pour être matelassée. « Nous avons une belle équipe de recherche et avons développé un produit résistant qui répond aux standards. Ça a beau être écologique, si le produit s’altère après deux lavages, quel est l’intérêt ? Aussi, nous ne sommes pas encore en mesure d’avoir un produit à 100 % végétal. Il n’y a pas beaucoup de synthétique, mais ça lui permet de se lier et d’être léger. On étudie toutefois quelques options pour avancer davantage. »

Toutes ces possibilités intéressent le MAPAQ qui suit l’évolution des différents projets reliés à l’asclépiade. « Depuis une dizaine d’années, le MAPAQ fournit un accompagnement aux promoteurs intéressés à la culture et à la transformation de l’asclépiade au Québec », explique. M. Dallaire-Boily.

« L’accompagnement fourni par le Ministère a principalement été de la mise en relation avec des partenaires, ministères et organisations pour aider les promoteurs, ainsi que l’intégration de leurs travaux avec d’autres cultures au sein d’un groupe sur les plantes bio-industrielles », résume-t-il.

Près du but

Des prototypes de produits sont actuellement en réflexion et pourraient changer rapidement la donne, si les résultats sont concluants. « On souhaite faire un produit synthétique et un autre à base d’asclépiade pour les comparer. Des bottes, sacs de couchages, bas, semelles et tapis d’autos en sont quelques-uns. Ça intéresse plusieurs joueurs, car tous recherchent des alternatives au synthétique pour toutes les raisons environnementales que l’on entend. La consommation de carburants ou d’énergie, l’enfouissement des déchets et autres », précise Mme Breton.

Elle ajoute que d’autres possibilités pourraient aussi être mises de l’avant. « La plante est utilisable à 100 %. La semence peut l’être, tout comme ses résidus et plus d’une fois. Soins corporels, biomasse, c’est la plante qui a le plus de potentiel à valeur ajoutée », mentionne-t-elle avec conviction.

Entre-temps, elle songe déjà au moment où l’on pourra porter des manteaux à base d’asclépiade, ne sachant toutefois pas quand cela se produira. « On va se retrouver avec des manteaux, des mitaines et des bottes bientôt. Je pense même qu’on aura de la difficulté à fournir un certain temps. Nous sommes en recherche de financement et on commence à avoir de l’ouverture de certaines instances. Le parcours de l’innovation est très difficile et ce n’est toutefois pas toujours la faute des entreprises », explique-t-elle.

Si des produits composés d’asclépiade pourraient être disponibles dès l’hiver prochain, Dr Robert estime qu’il faut toutefois éviter le piège d’aller trop rapidement. Il conseille même aux agriculteurs de suivre le même cheminement. « À court terme, je pense qu’il y a de la place pour élargir la culture. Il y a toutefois beaucoup de monde sur les blocs de départ, mais ils attendent. À l’inverse, si ça va rondement, il va manquer de monde dans les blocs de départ. Est-ce une valeur sûre ? Pour le moment non. Il y a encore des défis agronomiques encore, mais c’est la réalité de toutes nouvelles cultures », observe-t-il en terminant.