Mise en marché du bois: le conflit demeure entier

FORÊT. Impliqués dans un bras de fer avec le Syndicat des producteurs forestiers de la Côte-du-Sud, l’Association des propriétaires de boisés privés des Appalaches (PBPA), des représentants de différents groupements forestiers de la région ainsi que de grands propriétaires ont présenté, mardi dernier, un modèle type de convention d’achat estimant qu’il s’agit d’une solution devant assurer une mise en marché moderne des bois et permettre d’éviter un litige majeur dans le bois de sciage et de déroulage.

Cette proposition survient alors qu’un règlement de mise en marché collective, souhaité par le Syndicat des producteurs de bois de la Côte-du-Sud et accordé par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ), devait entrer en vigueur ce samedi 1er février, mais a été reporté à une date ultérieure.

Inspiré d’un modèle existant au Bas-St-Laurent, la convention proposée impliquerait que le Syndicat mette en place un regroupement volontaire de producteurs, qui ensuite pourrait négocier un prix de base avec les industries de sciage et les entreprises de déroulage, en collaboration avec les groupements forestiers, les propriétaires et les producteurs. Le choix du transporteur serait aussi laissé à la discrétion du producteur.

« Ceux qui souhaitent passer par le syndicat pourront le faire, ceux qui souhaitent poursuivre avec leur groupement forestier aussi et ceux qui sont habitués de gérer leur propre mise en marché pourront aussi continuer de le faire. On laisse le choix aux producteurs d’aller où ils veulent, et ce, sans contingentement pour garder un côté agile et limiter le côté administratif », a résumé David Chouinard du Groupement forestier Grand-Portage.

Selon le président de l’Association des propriétaires de boisés privés des Appalaches (PBPA), Raynald Nadeau, cette mise en marché volontaire aurait plusieurs avantages. « Nous laissons au syndicat la chance de prouver à ceux qui lui font confiance qu’il peut bien les représenter comme il le prétend. En continuant d’être payés par les industriels, nous pouvons conserver les mêmes taux, car le syndicat n’a pas à investir pour un système informatique coûteux. Aussi, en continuant de choisir notre transporteur, nous évitons le calendrier de 30 jours de livraison, qui représenterait beaucoup de pertes financières pour les propriétaires. »

Directeur général du Groupement forestier Bellechasse-Lévis, Marc-Antoine Therrien estime, pour sa part, que les deux groupes ne sont pas loin de s’entendre. Selon lui, si le syndicat démontrait de l’ouverture, l’épisode de fermeture des sentiers de motoneige pourrait se terminer. « L’entente propose de la souplesse et qui ne vient pas nuire aux petits propriétaires qui ont peut-être moins de connaissances et qui livrent de plus petits volumes de bois aux usines. Dans bien des cas, c’est de père en famille que ça se passe et ils ont toujours fait affaire avec les mêmes personnes. Ils veulent conserver ça. »

Il ajoute qu’une mise en marché collective, comme proposée par le syndicat, pourrait avoir des effets négatifs, alors qu’une épidémie de tordeuses des bourgeons d’épinette est aux portes de la région. « On craint qu’il y ait une imposition de contingent. Si cela se produit, nous aurons besoin de prévisibilité et de souplesse. Être contingenté viendrait nuire aux opérations, à la planification et à la gestion des budgets en aménagement. »

Raynald Nadeau insiste pour dire que les producteurs membres de son association ne sont pas la source du litige. « On ne cherche pas à ralentir ou à bloquer, on veut une solution qui est bonne pour tout le monde. Ce qu’ils veulent, c’est une mise en marché exclusive et nous souhaitons que ce soit volontaire. Le Syndicat dit qu’il a négocié avec tout le monde alors que c’est faux. C’est l’avocat du syndicat qui en est venu à la conclusion qu’une convention unique était la solution pour les propriétaires. On a eu aucun mot à dire. »

M. Nadeau a aussi réitéré que la fermeture de certains sentiers de motoneige, par des propriétaires de boisés, n’était pas une initiative de son association, mais des propriétaires eux-mêmes. « Ce sont les propriétaires qui ont décidé d’exercer une interdiction de droits de passage, parce que nous ne sommes pas capables de nous faire entendre. Le message qu’ils me demandent de passer est que tant qu’il n’y aura rien de concret, que le Syndicat n’aura pas démontré qu’il est prêt à modifier son règlement, les propriétaires continueront d’exercer leur droit. Il faut que les gens respectent ce choix des propriétaires », résume-t-il.

Une fausse solution selon le Syndicat

La réponse du Syndicat ne s’est toutefois pas fait attendre, même si une rencontre du conseil d’administration était prévue le lendemain, soit mercredi dernier. Le président du Syndicat des producteurs de bois de la Côte-du-Sud (SPBCS), Pierre Lemieux, a rapidement critiqué la proposition de l’Association, parlant d’absence de nouveauté par rapport au modèle actuel, d’une fausse solution pour régler le litige puisqu’elle ne fait pas écho aux demandes des producteurs et qu’elle cristallisera l’état d’appauvrissement d’une grande majorité d’entre eux. 

Président de la Fédération des producteurs forestiers du Québec (FPFQ), Gaétan Boudreault rappelle que de laisser au syndicat le soin de négocier collectivement les conditions de mise en marché reflète la volonté démocratique des producteurs. « Depuis le début, cette volonté s’est heurtée aux industriels forestiers et à leur association accréditée pour les représenter, le Conseil de l’industrie forestière (CIFQ), par différentes tactiques dilatoires. Ils ont cherché à bloquer puis à ralentir la mise en application du nouveau règlement de mise en marché. »

Dans une décision rendue le 26 juillet, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec avait donné raison au Syndicat en approuvant le Règlement sur l’agence de vente du bois de sciage et déroulage des producteurs de bois de la Côte-du-Sud et fixait son application au 1er février 2025. Or, le 14 janvier dernier, le Conseil de l’industrie forestière du Québec demandait à la Régie de reporter sa mise en vigueur au 1er juillet 2025.

Pierre Lemieux estime que les producteurs de bois de la Côte-du-Sud ont déjà perdu près de 3 M$ en raison de la baisse des prix causée par le marché et les chablis survenus au Bas-St-Laurent survenus le 23 décembre 2022. Les forestiers prévoyaient alors récupérer, sur une période de deux ans, 3 000 hectares de forêt dévastée, ce qui a naturellement eu un effet sur l’offre et la demande. 

« Les cours des scieurs sont pleines et les prix ne grimpent pas. Une remorque de bois nous donne 1 000 $ de moins que l’an dernier », évalue-t-il en ajoutant que les propriétaires de boisés privés n’ont pas la possibilité d’aller chercher de meilleurs prix pour ces raisons.

« L’offre de bois, ici en Côte-du-Sud, vient de trois endroits. Le marché américain, les boisés privés et les terres publiques. Le seul qui a fait une offre supplémentaire sur les terres publiques, c’est le gouvernement. À l’heure actuelle, nous les propriétaires terriens, nous sommes à peu près au même prix qu’il y a 20 ans. Chaque année, le ministère en vend plus à certains scieurs que ce qu’il accorde en garantie d’approvisionnement, en plus des échanges entre les industriels, ce qui fait que plusieurs producteurs disent bûcher pour rien. »

C’est là où la mise en marché collective entre en jeu, selon sa vision, et que celle-ci a longuement été expliquée à tous les intervenants. « Nous sommes dans une démarche de consultation depuis 2022. C’est là que nous avons bâti nos modèles qui ont été présentés à la Régie. Il y a eu de l’opposition, mais des opposants sont impliqués dans les groupements forestiers et certains groupements ont des parts dans les moulins à scie. Ces gens-là ont des mandats du gouvernement pour faire de l’aménagement. On ne peut se servir de ces mandats pour dire que l’on représente du monde. »

Ses critiques sur la façon de faire des groupements forestiers dans le dossier ne s’arrêtent pas là.  « Je n’ai rien contre les groupements qui peuvent jouer plusieurs rôles comme organisation, mais là, ils ont choisi un camp, celui des acheteurs. L’été, ils vont bûcher sur les terres publiques, grâce aux garanties d’approvisionnement des industriels, ils achètent à l’occasion des volumes du bureau de la mise en marché et alimentent les industries, ils vont chez des propriétaires aussi et occasionnellement, ils œuvrent sur leur propre propriété, en plus d’avoir des privilèges du ministère pour octroyer des subventions aux propriétaires, alors il faut faire attention à l’apparence de conflit d’intérêts aussi. »

Volontaire ou obligatoire

À celles et ceux qui estiment que la mise en marché collective ne peut convenir à tous, Pierre Lemieux répond que le projet présenté à la Régie des marchés agricoles répondait à ces préoccupations. 

« Dans son jugement, la Régie dit justement que cela permet de maintenir le lien entre les producteurs et les acheteurs, en plus de l’implication de certaines organisations dans la production. On reconnait, dans le projet, le rôle joué par les groupements forestiers et les entrepreneurs. On en fait une déclaration particulière dans notre convention de mise en marché. »

Il rejette qu’un problème de communication soit au cœur de la problématique. Pour lui, le ministère des Ressources naturelles devrait en faire plus pour les propriétaires privés. « Ils nous ont aidés à bâtir le projet, qui est copié sur la façon de faire des terres publiques. Le gouvernement nous force à nous regrouper, car lorsqu’il vient pour vendre des volumes additionnels, il consulte les syndicats ayant des contrats et il accorde des volumes aux industriels qui les respectent, ce que nous n’avons pas actuellement. Avec une forme volontaire, on ne pourra garantir de volumes, alors pas de contrat proprement dit. Dans son jugement, la Régie a dit que, pour le bien de la mise en marché, c’est ça la solution. »

Il confirme toutefois que le règlement n’entrera pas en vigueur le 1er février. Le 31 mars prochain pourrait être la prochaine étape. M. Lemieux évoque lui aussi l’obstruction systématique de certains industriels pour expliquer le retard. « On ne peut forcer la main à quelqu’un qui ne veut pas. Ils ont fait des demandes pour étirer le temps. Nous sommes en conciliation avec les scieurs depuis quelques semaines. Nous sommes à l’écoute, mais ils n’ont pas de volonté. Des gens nous ont fait part de certaines préoccupations que l’on étudie. »

Pierre Lemieux insiste pour dire que les producteurs de la région vivent des difficultés en raison de toute la conjoncture actuelle. « Il faut que les gens le comprennent. Les coûts d’opération augmentent, les taxes également. Il n’en reste pas dans les poches des propriétaires. Les moulins de la région sont parmi ceux qui vont chercher le plus d’argent des gouvernements, mais ils n’achètent pas chez les propriétaires privés de la région, car ils n’ont pas d’obligation. Nous sommes à la merci du ministère des Ressources naturelles qui, lui, ne fait pas son travail. »

Il fait le même parallèle entre la situation actuelle et l’arrivée des plans conjoints dans le domaine acéricole. « Ce débat est le même. C’est dommage, car c’est le bon modèle pour apporter plus de richesse chez les propriétaires. Personne ne croyait à cela lorsque nous avons parti le sirop d’érable et aujourd’hui, c’est un secteur vedette et qui a vu croitre le plus grand nombre d’entreprises en agriculture. Il faut provoquer le contexte et le bois a besoin d’un peu de provocation. »