Une omission de signature qui coûte cher

RÉGIONAL. Disqualifié en raison d’une signature n’apparaissant pas sur un document produit pour répondre à un appel d’offres, un entrepreneur de Lévis affiche des doutes sur la légitimité de l’octroi d’un contrat pour la construction d’une tour dans le parc Massif du Sud.

Principal dirigeant de l’entreprise Construction Finition, Jérôme Carrier indique que sa soumission de 625 974 $ a été jugée non-conforme, alors que celle de l’entreprise JL Groleau de Saint-Georges, au montant de 788 400 $ est finalement celle qui a été retenue à la suite du résultat des soumissions déposées, dévoilé le 30 janvier dernier.

« Nous étions trois non conformes sur neuf entreprises soumissionnaires. On nous reproche de ne pas avoir signé un bordereau de soumission, mais il n’y avait pas d’endroit indiqué pour le signer et celui qui était sur la plateforme n’avait pas été mis à jour avec la dernière version. Je n’ai jamais travaillé dans un appel d’offres aussi mal fait. C’est pourtant très simple à réaliser comme construction. Je fais ça depuis 15 ans », indique M. Carrier qui doute de la légitimité du processus.

Le projet en question, la reconstruction de la tour du mont Saint-Magloire, bénéficie déjà d’un soutien gouvernemental de 603 000 $, annoncé l’été dernier, et était évalué initialement à 754 000 $, incluant la démolition de la tour existante.

L’ingénieur en tort ?

Selon ses échanges avec la firme responsable de l’appel d’offres, M. Carrier ajoute que l’ingénieur se dégage de tout, prétextant que le bordereau en question devait être signé pour rendre la soumission conforme. « J’aurais dû être considéré conforme, car j’ai pris la dernière version du devis publié sur la plateforme SEAO (Système électronique d’appel d’offres) du gouvernement du Québec. On nous avait prévenu par courriel qu’il y aurait une nouvelle version de publiée, ce qui n’a finalement jamais été fait. Le bordereau nécessaire était dans le courriel, mais pas sur la plateforme qui, elle, est le moyen normal pour la transmission des documents », estime-t-il.

Celui-ci observe également des irrégularités dans les certifications de l’ingénieur ayant approuvé les plans, celui-ci faisant l’objet d’une limitation de son droit d’exercice depuis le 17 septembre 2020. La sanction émise par l’Ordre des ingénieurs du Québec lui interdit de poser des actes professionnels autrement que sous la direction et la surveillance immédiate d’un ingénieur.

« L’Ordre m’a répondu que cet ingénieur a le droit de travailler sur la structure de bois, mais pas dans le sol. Or, il y a des travaux à faire dans le sol pour que la structure demeure en place. Peut-être que le plan a été dessiné par une personne, mais l’ingénieur qui l’a signé et dont le matricule apparaît n’est pas légitime, étant sanctionné par l’Ordre », illustre M. Carrier.

Signataire de documents dans l’appel d’offres, l’ingénieur Alain St-Pierre fait effectivement l’objet d’une limitation d’exercice dans le domaine de la géotechnique, confirme Anne-Marie Beauregard, conseillère séniore en affaires publiques à l’Ordre des ingénieurs du Québec. « Cette limitation vise des actes tels que donner des avis, consultations, faire des mesurages, tracés, préparer des rapports, calculs, études, dessins, plans, devis, cahiers des charges ou d’inspecter ou surveiller des travaux, lorsque ceux-ci portent sur le domaine de la géotechnique », confirme-t-elle lors d’un échange avec le journal.

À la Corporation d’aménagement du Massif du Sud, on nous répond brièvement avoir suivi la recommandation de l’ingénieur, soit d’accepter la soumission du plus bas soumissionnaire conforme et que cette démarche est conforme aux règles. « D’après nos vérifications, les ingénieurs ayant travaillé sur la structure et les éléments au sol ne sont pas les mêmes. Aussi, une correspondance avait été envoyée aux entrepreneurs avec la mise à jour nécessaire », indique le président de la Corporation, Daniel Pouliot.

Fierté et économie

Jérôme Carrier aurait aimé obtenir le contrat pour plusieurs raisons, la première étant de permettre d’économiser l’argent des contribuables. « La différence n’est pas négligeable, c’est plus de 160 000 $. Si j’étais aussi bas, c’est que c’est à 10 minutes de mon chalet à Saint-Magloire. Je n’aurais pas de pension à payer, peu de déplacement et je suis prêt à ne pas avoir de profit parce que c’est un endroit où je vais souvent et où j’aurais aimé mettre ma signature », résume-t-il.

Sa déception vient du fait qu’il ne s’agit plus d’une simple compétition pour obtenir un contrat, mais que tout cela semble cacher autre chose. « Il faut de la compétition. C’est comme ça que les prix sont meilleurs. Il faut que ce soit légal. Il y a trois soumissionnaires qui sont non-conformes et habituellement, lorsqu’il s’agit de documentation, on a dix jours pour l’être. Dans ce cas-ci, on ne nous a jamais offert la possibilité de signer le document. »

L’Autorité des marchés publics et l’Ordre des ingénieurs ont aussi été saisis du dossier et pourraient devoir se prononcer dans un avenir rapproché, indique M. Carrier qui dit avoir interpellé les deux organisations. « Je ne suis pas d’accord que l’on donne 160 000 $ de plus à un entrepreneur à cause d’une erreur qu’ils ont fait. C’est triste de dépenser de l’argent comme ça dans le contexte actuel. Il faut que les gens le sachent et que ça s’arrête », dit-il, en terminant.