Amnistie internationale ne veut pas répéter la maladresse du rapport sur l’Ukraine

MONTRÉAL — Amnistie internationale est toujours à se remettre du choc causé par son rapport du 4 août dernier reprochant à l’Ukraine des violations du droit humanitaire pour avoir placé des troupes dans des infrastructures civiles comme des hôpitaux et des écoles et lancé des attaques à partir de zones habitées par des civils.

En discussion avec La Presse Canadienne et Le Devoir alors qu’elle est de passage à Montréal à l’occasion de la COP15, la secrétaire générale d’Amnistie internationale, Agnès Callamard, a reconnu que l’organisme a été sévèrement ébranlé par la pluie de critiques qui s’est abattue sur lui à la suite de cette publication.

«Ç’a été très pénible pour nous, mais ça doit être une source de réflexion. On doit transformer cette expérience de façon positive pour mieux travailler dans le futur sur des situations comme ça», a-t-elle dit.

«Certainement on va réfléchir sur le format de ce qu’on écrit. Par exemple sur la présentation des faits, sur les discussions qui devraient avoir lieu avec les autorités, tout ça fait partie des réflexions sur lesquelles nous nous penchons à l’heure actuelle.»

Démission fracassante 

La communication à l’interne fait également partie de la réflexion, puisque le rapport avait même mené à la démission fracassante de la responsable ukrainienne d’Amnistie internationale, Oksana Pokaltchouk, qui reprochait à l’organisme de ne pas avoir consulté sa section et d’avoir produit un rapport qui, sans le vouloir, avait servi «la propagande russe».

Agnès Callamard ne s’en fait toutefois pas outre mesure avec le fait que la Russie ait instrumentalisé ce rapport à des fins de propagande. «L’instrumentalisation, on ne va jamais pouvoir l’éviter. On se fait instrumentaliser de part et d’autre tout le temps. Notre travail devrait parler de lui-même, c’est-à-dire par rapport à la Russie, nous avons plus de 300 pages qui dénoncent les exactions russes.»

Elle maintient cependant que les conclusions du rapport étaient exactes et souligne qu’elles avaient d’ailleurs été signalées avant Amnistie internationale par Human Rights Watch et par les Nations unies, sans faire de vagues. Mais le déferlement de critiques provoqué par la sortie d’Amnistie a fait mal, admet-elle.

«Il y a eu une réaction très négative de la part de la population ukrainienne, mais pas que de l’Ukraine; certains gouvernements qui soutiennent l’Ukraine en première ligne ont aussi critiqué Amnistie internationale de façon assez virulente.» 

«Nous avons échoué dans notre travail»

«C’est toujours déplorable pour nous de se faire attaquer par les gens que nous souhaitons protéger», ajoute-t-elle, précisant que l’incident aura au moins mené à une profonde réflexion interne «parce que quand les victimes que nous souhaitons protéger se retournent contre le travail que nous faisons, ça veut dire à un certain niveau que nous avons échoué dans notre travail». 

Et ce travail ne change pas, quel que soit le côté où il est réalisé.

«Il faut aussi que nous restions en osmose avec nos principes d’impartialité, en tant qu’organisation de défense des droits humains. Même si on a pris position très clairement contre l’agression russe, ça ne signifie pas qu’on doive se voiler la face des possibles violations commises par les acteurs ukrainiens. Nous allons continuer de le faire.»

Car c’est là toute l’ironie de la chose: pour la première fois en 61 ans d’existence, Amnistie internationale est sortie du devoir de réserve et de neutralité qui est le propre des organismes de droits humains. 

«Pour la première fois dans son histoire, Amnistie internationale a décidé de prendre position sur la motivation russe, sur le fait que l’invasion russe constitue en elle-même est un crime, sans compter les crimes qui sont commis dans le cadre de cette invasion, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité», dit Mme Callamard.

«Mais l’invasion elle-même, l’agression, c’est un crime d’agression au niveau du droit international. C’est une violation de la charte des Nations unies qui prohibe l’usage de la force contre un pays en paix.»