Avortement: les libéraux se défendent de vouloir embarasser les conservateurs

OTTAWA — À quelques heures du premier débat officiel de la course à la direction du Parti conservateur du Canada, les libéraux de Justin Trudeau nient que l’accent mis sur le sujet de l’avortement vise à mettre en lumière l’inconfort sur la question chez l’opposition officielle.

«Il n’y a absolument aucun lien», s’est défendu mercredi le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, durant une conférence de presse, notant également que le gouvernement remplit «un engagement du budget de 2021».

M. Duclos annonçait un financement de 3,4 millions $ pour des projets visant à renforcer l’accès à l’avortement au pays, soit «ce sur quoi nous devons concentrer nos efforts».

À ses côtés, sa collègue ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, Marci Ien, a renchéri en affirmant que «ce n’est jamais une mauvaise journée pour parler des droits de la femme dans notre pays et du droit de choisir dans notre pays».

L’enjeu de l’avortement a refait surface au Canada après qu’une fuite la semaine dernière a révélé que la Cour suprême des États-Unis pourrait annuler un jugement protégeant le droit à l’avortement.

Lors d’une mêlée de presse avant son entrée à la réunion de son caucus, le premier ministre Justin Trudeau a réitéré qu’il n’exclut pas de légiférer dans l’espoir de renforcer le droit à l’avortement.

«Je n’écarte rien. (…) Je sais qu’il y a des experts qui sont des deux opinions que de légiférer c’est une bonne idée et d’autres qui disent: « non, ce n’est pas nécessaire » ou que ce n’est pas une bonne idée. Nous, on veut comprendre comment on va mieux protéger les droits des femmes pour les années à venir», a-t-il répondu.

Questionné quant à savoir si les annonces du jour sur l’avortement, mais aussi sur les armes à feu, visent à influencer le débat à la direction du Parti conservateur prévu en soirée, M. Trudeau a mentionné que «si les conservateurs veulent discuter de ces choses-là, je pense que ce serait une très bonne idée que les Canadiens sachent où ils se positionnent».

Les deux ministres ont été chargés la semaine dernière par M. Trudeau d’examiner rapidement si le «cadre légal» doit être renforcé pour s’assurer que les droits des femmes soient respectés «pas seulement maintenant, mais sous n’importe quel autre gouvernement dans l’avenir».

M. Duclos a expliqué que les avis sont partagés sur l’idée de légiférer.

«Certains trouvent que ce serait une bonne idée parce qu’il n’y a pas au Canada de protection légale, a-t-il dit. Il y a une protection juridique, mais il n’est pas explicitement dit dans une loi fédérale que le droit à l’avortement est un droit protégé.

«Mais il y en a aussi d’autres qui disent que ça serait possiblement problématique que de le faire puisque (…) un droit enchâssé dans une loi vient toujours avec des considérations qui pourraient pour certains limiter le contexte actuel, qui est un contexte où l’avortement est légal», a également noté le ministre.

Un dossier clos?

Le président du caucus québécois du Parti conservateur, Bernard Généreux, a indiqué aux journalistes qu’il appuierait une quelconque démarche visant à protéger le droit à l’avortement.

«Absolument, a-t-il dit. Je suis pro-choix. Je l’ai toujours été. Je le serai toujours, comme l’ensemble des membres de mon caucus, de notre caucus.»

Son collègue Pierre Paul-Hus a déclaré qu’il trouve «fascinant» que les libéraux veuillent discuter d’avortement, un dossier «qui était clos» dans son parti.

«Pour nous, la question était réglée. Ça fait des années qu’on dit qu’on ne veut pas ramener le débat sur l’avortement. Pis là c’est Justin Trudeau qui se sert de ce qui se passe aux États-Unis pour ramener ça à l’avant-plan.»

La candidate antiavortement Leslyn Lewis a terminé troisième dans la course à la direction du Parti conservateur en 2020 et peut compter cette fois-ci encore sur l’appui de groupes voulant restreindre le droit à l’interruption volontaire de grossesse.

Lors du premier débat à la direction du parti, jeudi dernier, elle a accusé Pierre Poilievre, celui qui est considéré comme le meneur dans la course, d’éviter les questions des médias sur l’avortement. M. Poilievre avait indiqué qu’un gouvernement qu’il dirigerait ne déposerait ni n’adopterait de lois restreignant l’avortement.

Tandis que les élus prenaient la parole dans les édifices du Parlement, la Coalition nationale pour la vie, un groupe antiavortement, tenait une conférence de presse devant la Cour suprême du Canada afin d’annoncer la tenue de sa manifestation annuelle à Ottawa prévue jeudi.

«Une vague, ça commence avec les plaques tectoniques sous-marines qui font une fissure. Et là, on a vu une brèche avec l’arrêt Roe v. Wade (…) qui va être renversé, on l’espère. C’est cette craque très profonde qui nous permet d’espérer qu’il va y avoir des remous encore plus forts à l’avenir», a déclaré Georges Buscemi, le président de la Campagne Québec-vie.

Un sondage Léger publié mercredi révélait qu’environ quatre Canadiens sur cinq sont en faveur du droit à l’avortement, tandis que 14 % y sont opposés.