Entre controverses et récupérations: que cache le débat sur le racisme anti-Blancs?
MONTRÉAL — Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche marque l’émergence d’un discours sur un supposé racisme dirigé contre les Blancs aux États-Unis. «Je pense qu’il existe un sentiment anti-Blanc manifeste dans ce pays, et cela ne peut pas être toléré», affirmait le 47e président américain en avril dans une entrevue accordée au magazine «Time».
Et il n’est pas le seul à partager cet avis, s’il faut en croire les résultats d’un sondage réalisé en décembre 2023 par YouGov, une société internationale spécialisée dans les études d’opinion en ligne. Cette enquête, menée auprès de 1500 adultes américains, révélait que les républicains sont davantage convaincus que les Blancs sont aujourd’hui victimes d’une discrimination «plus forte» que celle subie par les Noirs ou les Arabes. Ils se montrent également plus enclins à considérer les crimes haineux visant les Blancs comme un problème «plus préoccupant» que ceux visant les Noirs ou les Arabes.
Pourtant, les chiffres vont dans le sens contraire. Les crimes haineux contre les Noirs étaient, en 2024, plus de trois fois plus nombreux que ceux visant les Blancs, selon le FBI. Par ailleurs, plus de la moitié des personnes accusées de crimes haineux étaient des personnes blanches.
La question fait également écho alors que le successeur de Joe Biden veut mettre fin aux politiques de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). Ces mesures de discrimination positive, qui visent à corriger les inégalités subies par des groupes marginalisés, et leur abolition, justifiée comme étant discriminatoire pour les personnes blanches, alimentent le débat autour de ce que certains appellent le «racisme anti-Blancs».
Quelques cas au Canada
Au Canada et au Québec, cette expression reste tout de même moins courante. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse indique avoir reçu, pour l’année 2024-2025, «quatre plaintes sur le motif de discrimination “race”/couleur de peau “blanc”», ce qui correspondrait à 0,1 % des plaintes. L’organisme précise qu’il évalue si la personne a subi un traitement différent en raison de ce motif – que ce soit «un refus de service, de logement ou un congédiement – et si cette situation a causé un préjudice et porté atteinte à un droit».
En 2022, Frédéric Bastien, ancien professeur au Collège Dawson et ex-candidat à la chefferie du Parti québécois, avait porté plainte devant la Commission des droits de la personne contre l’Université Laval, après avoir été écarté d’un poste prioritairement réservé aux femmes, minorités visibles, Autochtones et personnes en situation de handicap.
«Il était hors de question que je puisse postuler. J’ai été exclu sans même avoir pu soumettre ma candidature. C’est du racisme inversé, c’est du racisme anti-Blancs», avait-il confié à Radio-Canada. M. Bastien est décédé subitement en 2023, sans que l’issue de sa plainte soit connue.
Le traitement de ces plaintes s’appuie sur un principe général, celui voulant que le droit à l’égalité appartienne à tout le monde, rappelle Me Flora Pearl Eliadis, membre du Groupe d’experts en droit de la personne du Barreau du Québec. «Mais en vertu de l’article 15 (2) de la Charte canadienne des droits de la personne, les programmes de promotion sociale destinés à améliorer la situation des “individus ou des groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur (…) ou de leurs déficiences mentales ou physiques”, ne constituent pas, en principe, une violation.»
Ces protections mettent l’accent sur les groupes historiquement défavorisés et les personnes qui ont subi des stéréotypes, explique Me Pearl Eliadis. «Cela ne veut pas dire qu’une personne blanche ne peut pas faire l’objet de discriminations. La question est plutôt de savoir s’il y a des motifs raisonnables et valides pour faire ce genre de distinction.»
Elle évoque, à ce titre, un cas traité lorsqu’elle travaillait pour la Commission des droits de la personne de l’Ontario, où une personne blanche avait été exclue d’un organisme communautaire autochtone, en raison de sa couleur de peau. «La question était de savoir si cet organisme avait mis en place un programme spécial rationnel et valide, en lien avec les besoins et la réalité de la communauté visée.»
En France, la jurisprudence a reconnu en 2014 la circonstance aggravante de racisme dans une agression accompagnée des insultes «sale Blanc» et «sale Français».
Quelques mois après la sortie, en 2023, du documentaire «Garçons, un film de genre» de Manuel Foglia, le débat a été relancé au Québec. Certains extraits ont largement circulé sur les réseaux sociaux, notamment celui où une jeune fille raconte avoir été traitée d’«hostie de blanche» et de «plotte de Gaspésienne». Ces propos ont rapidement été récupérés dans l’espace public et politique, certains les brandissant comme «preuves» d’un racisme anti-Blancs existant dans les écoles montréalaises.
«Comme dans toute école, il y a toujours quelqu’un, quelque part, dans la société, qui va dire une énormité, et ça dépasse même son entendement. Parler de racisme anti-Blancs ici, c’est un peu fort, avait réagi à l’époque le documentariste Manuel Foglia en entrevue à Radio-Canada. Malheureusement, mon film est récupéré et détourné de son sens pour faire les frais de toutes sortes de partisans.»
Un terme contestable et contesté
«Le racisme anti-Blancs n’existe pas… pour les sciences sociales. En revanche, c’est très présent dans le discours public», affirmait en 2018 Éric Fassin, sociologue et professeur à l’Université Paris VIII dans une capsule vidéo pour France Culture. Sa déclaration choc qui continue d’enflammer les débats et de cristalliser les tensions autour d’une notion aussi controversée que politisée.
«Ça m’a valu d’innombrables réactions jusqu’à aujourd’hui, explique M. Fassin, des applaudissements, mais aussi des insultes et des menaces. Cette vidéo m’a valu des réactions hostiles en 2018 de Marine Le Pen (alors présidente du parti français Rassemblement national) et, trois ans plus tard, d’Éric Zemmour (président de Reconquête, un autre parti d’extrême droite), qui avait repris mon image pour annoncer sa candidature à la présidence de la République.»
Pour M. Fassin, la position des sciences sociales est claire: le racisme anti-Blancs, en tant que système d’oppression, n’existe pas. «Ça repose sur un fait empirique. Ce n’est pas juste une opinion de ma part, insiste-t-il. J’avais vérifié sur les bases de données en sciences sociales: il n’y avait aucun article dans les revues scientifiques consacré à l’étude de quelque chose qui s’appellerait le racisme anti-Blancs. Il existe bien sûr des essais polémiques, reposant sur des opinions; mais dans les revues savantes, rien.»
Mais le sociologue et enseignant à Science Po Paris, Tarik Yildiz, ne partage pas cette grille de lecture. «Je trouve ça un peu péremptoire. Les sciences sociales évoluent, c’est une manière de voir les choses, de voir le monde, de le décrire, de le décortiquer. Il n’y a pas de raison que ce ne soit pas un phénomène social. Après, c’est la manière de l’étudier qui peut poser des questions et il faut être ouvert à la critique et à la discussion.»
L’auteur du livre «Le racisme anti-blanc – Ne pas en parler: un déni de réalité» souligne l’importance d’aborder cette question. Bien qu’il ne la considère pas comme un «phénomène massif ou généralisé», il estime néanmoins essentiel de la nommer et de l’analyser, car elle constitue, selon lui, une réalité vécue par certains.
M. Yildiz rapporte avoir recueilli des témoignages de jeunes perçus comme Blancs, qui ont été les cibles de violences verbales, souvent sous forme d’insultes, allant parfois jusqu’à de la violence physique. Selon lui, refuser de reconnaître cette réalité équivaut à un déni. «Je me rappelle de gamins qui disaient: à longueur de journée, on parlait de discriminations, de racisme, mais moi, ce que je subissais était nié.»
Le sociologue prend toutefois soin de distinguer son propos des récupérations politiques. En effet, en France, le terme de «racisme anti-Blancs» reste fortement connoté politiquement comme un concept théorisé par l’extrême droite. «Ce sujet, pendant longtemps, a été un peu la chasse gardée de mouvements peu fréquentables. (…) Les gens ont peur parce qu’ils se disent: si j’en parle, je vais être assimilé à ça.» Il insiste: « Je n’oppose pas les racismes. Je pense qu’il faut les reconnaître tous. Sinon, on laisse la place à ceux qui veulent instrumentaliser ces sujets.»
Une définition en tension
En outre, si le racisme repose notamment sur des atteintes symboliques et sur des désavantages structurels – difficulté d’accès au logement et aux emplois, par exemple – il n’est pas que ça, souligne Éric Fassin. «Il y a aussi toute une histoire: le racisme, ça résonne avec l’histoire coloniale et celle de l’esclavage, mais aussi des persécutions antisémites.»
C’est pourquoi, selon M. Fassin, le racisme anti-Blancs n’existe pas, quel que soit le contexte géographique. Pourtant, nombreux sont ceux qui invoquent l’exemple de l’Afrique du Sud post-apartheid pour défendre l’idée d’un racisme dirigé contre les Blancs. En avril, le président américain est même allé, dans une publication sur X, jusqu’à qualifier la situation dans ce pays de «génocide» contre les Blancs. Une cinquantaine d’Afrikaners ont d’ailleurs été accueillis, lundi 12 mai, aux États-Unis en tant que réfugiés, à la suite de la signature d’un décret par Donald Trump.
Ce genre de discours a d’ailleurs résonné par le passé au Canada, où, en 2009, un Sud-Africain blanc a obtenu l’asile au motif qu’il serait victime de racisme dans son pays d’origine.
«Il serait tout de même difficile de considérer que l’histoire de l’Afrique du Sud est une histoire de racisme anti-Blancs», s’exclame M. Fassin. S’il reconnaît que des violences contre des Blancs existent, il rejette l’idée d’un racisme inversé. «Le fondement de ce racisme, c’est la ségrégation imposée (l’apartheid), et la hiérarchisation raciale qui va avec. Il serait absurde de prétendre qu’en Afrique du Sud, les Noirs sont maintenant au-dessus des Blancs.»
M. Yildiz, adopte, quant à lui, une définition plus large, s’appuyant sur l’hostilité liée à une appartenance supposée à un groupe ethnique ou racial. «Si on admet qu’insulter quelqu’un en l’appelant “sale Noir” est raciste, alors insulter un Blanc de la même manière doit l’être aussi. Il n’y a pas des populations qui, par nature, sont racistes et d’autres qui ne le sont pas», insiste-t-il.
Il défend une approche égalitaire quant aux différents racismes: «Il faut traiter ce sujet comme n’importe quel autre, sans passion, sans haine, mais de manière scientifique. (…) Je pense qu’il faut être vigilant pour ne pas tomber dans le “deux poids deux mesures”. Pour moi, c’est ça l’enjeu, c’est ne pas faire de hiérarchie, ne pas dire qu’une forme de racisme est plus importante que l’autre, par nature. C’est condamnable et on le condamne.»