Justin Trudeau dit que le président Trump aura besoin du Canada pour son «âge d’or»
MONTEBELLO — Le premier ministre Justin Trudeau fait valoir au président américain fraîchement assermenté, Donald Trump, que Washington aura besoin du Canada pour que son pays entre dans l’«âge d’or» promis durant son discours d’investiture.
Le chef sortant du gouvernement canadien a envoyé mardi ce message indirectement au locataire de la Maison-Blanche alors qu’il s’entretenait avec les journalistes dans le cadre de la deuxième et dernière journée de la retraite de son conseil des ministres, réuni à Montebello, en Outaouais.
«M. Trump est un négociateur habile qui sait que de garder ses partenaires de négociation un peu déséquilibrés, ça peut être payant, mais nous allons rester ancrés dans les faits que, si l’économie américaine va rentrer dans une période de prospérité, d’activité accrue et de croissance, ils vont avoir besoin de plus d’énergie, plus d’acier, plus d’aluminium», a dit M. Trudeau.
Du même souffle, il a confirmé qu’il était d’accord avec l’idée de répliquer, si nécessaire, avec des mesures de représailles équivalant, «dollar pour dollar», aux tarifs de 25 %.
«Ce serait les Canadiens qui paieraient plus pour des achats qu’ils font des États-Unis. C’est pour ça qu’on va choisir les items sur lesquels on va mettre des tarifs, pour que les Canadiens aient d’autres alternatives», a-t-il mentionné, ajoutant qu’Ottawa entendait compenser, si M. Trump passe de la parole aux actes, les entreprises qui seraient touchées.
Si elle sert habituellement à préparer la rentrée parlementaire après les vacances hivernales, la retraite du cabinet qui s’est conclue mardi était axée sur la stratégie commerciale que devra adopter le Canada en réponse au retour de M. Trump à Washington.
M. Trudeau a plaidé que le Canada a déjà l’expérience de tarifs imposés par le président républicain au cours de son précédent mandat, notant néanmoins des différences, cette fois-ci, quant à la volonté de la Maison-Blanche de montrer qu’elle agit vite.
«Je pense qu’on a déjà vu que (…) l’administration Trump va bouger plus rapidement, a émis beaucoup plus de mesures dès la première journée que ce qu’ils ont fait en 2017, mais nous sommes là pour être un partenaire fiable et responsable avec les États-Unis», a affirmé le premier ministre.
Deux sources gouvernementales qui n’étaient pas autorisées à parler publiquement de ces questions ont indiqué précédemment à La Presse Canadienne que, si M. Trump fixait les tarifs à 25 %, la première salve du Canada consisterait en des mesures de riposte d’une valeur d’environ 37 milliards $. Une possible deuxième vague de tarifs douaniers d’une valeur supplémentaire de 110 milliards $ serait aussi sur la table.
Le scénario envisagé inclut des milliards de dollars ciblant des secteurs clés de l’économie américaine, comme les produits de la céramique, du plastique et de l’acier.
Un «partenaire», pas un «abuseur»
En mêlée de presse en après-midi, le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, a fait valoir que les Américains ne s’approvisionnaient pas au Canada «par politesse», mais par nécessité.
«Les chaînes d’approvisionnement qui sont en place présentement nécessitent le Canada», a-t-il fait valoir, écartant le qualificatif «d’abuseur» adopté par le président américain à propos du Canada, parlant plutôt d’un «partenaire stratégique».
«C’est sa façon de communiquer, a renchéri l’ambassadrice du Canada à Washington, Kirsten Hillman. Je crois qu’il faut mettre l’emphase sur le travail que nous avons à faire.»
La menace de M. Trump remonte à novembre, après qu’il eut remporté l’élection présidentielle aux États-Unis.
La surtaxe de 25 % ne s’est finalement pas concrétisée au jour un de l’entrée en fonction du président, mais elle est loin d’être reléguée aux oubliettes. En soirée lundi, dans le Bureau ovale, M. Trump a fait savoir qu’il n’a pas écarté son projet.
Or, dans l’intervalle, un des décrets signés par le président américain porte plutôt sur une étude à être complétée bien après le 1er février, avec une échéance fixée au 1er avril. L’étude doit porter sur des pratiques commerciales que M. Trump considère comme étant injustes.
Le gouvernement canadien y voit une invitation à un «dialogue» avec le Canada, a insisté le ministre Champagne, qui était à Washington la veille à l’occasion de l’investiture du président américain.
L’ex-premier ministre du Québec Jean Charest reste, quant à lui, avec l’impression que l’administration de M. Trump, qui prend encore forme, se retrouve face à un «dilemme» étant donné l’apparente contradiction entre la date butoir du 1er février et celle du 1er avril.
«Ou ce sera un agenda de croissance économique – ce qu’il a déjà annoncé pour réduire les impôts, déréglementer, réduire la taille de l’État – , ou (ce seront) des tarifs, mais des tarifs, c’est le contraire d’un agenda de croissance économique», estime celui qui conseille le gouvernement fédéral en tant qu’expert externe.
Un autre membre du groupe d’experts, Flavio Volpe, qui préside l’Association des manufacturiers de pièces automobiles, a appelé au calme et à ne pas réagir à chaque déclaration de M. Trump.
«Je pense que nous devons juste nous habituer au fait qu’il ne changera pas et qu’il ne s’en va nulle part», a-t-il résumé.
Le ministre Champagne dit, pour sa part, qu’il prend les menaces du président au sérieux, mais qu’Ottawa travaille avec «ce qui est écrit».
«Là, on sait qu’on a devant nous un décret qui demande aux différents secrétaires américains de travailler, par exemple, sur les chaînes d’approvisionnement, sur la Chine, sur la capacité industrielle militaire américaine», a-t-il soutenu en entrevue avec La Presse Canadienne.
Par exemple, le ministre croit qu’Ottawa a l’occasion de vanter les projets de minéraux critiques à Bécancour, au Québec. Il est prévu que le port de cette municipalité soit agrandi pour répondre aux besoins de la Vallée de la transition énergétique qui est en voie de développement. Québec et Ottawa ont annoncé, en novembre dernier, des investissements de 164 millions $ chacun.
Un comité consultatif sur la Chine?
M. Champagne avance par ailleurs l’idée d’un comité consultatif sur la Chine entre le Canada et les États-Unis puisqu’il juge que «les deux pays» sont «les plus alignés (…) sur la révision des investissements chinois».
«Peut-être qu’on a avantage à coopérer davantage pour protéger nos chaînes d’approvisionnement critiques. On l’a vu, par exemple, dans les minéraux critiques, les semi-conducteurs, les jeux vidéo. Donc le Canada est vu (…), dans mes discussions avec les différents intervenants américains, comme vraiment quelqu’un qui comprend bien les enjeux géostratégiques.»
M. Trudeau s’est également montré encouragé par la décision du président républicain de déclarer l’«urgence sur la frontière au sud des États-Unis», mais pas concernant celle que partagent les Américains avec les Canadiens.
Le premier ministre a réitéré que l’entrée de fentanyl aux États-Unis par le Canada est minime, de même que pour les arrivées irrégulières de migrants.
«C’est certain qu’on devrait pouvoir dire 0 % et on va travailler là-dessus, mais ça ne représente pas une urgence.»
Le président Trump a, dans un point de presse tenu mardi en début de soirée, plutôt affirmé que le fentanyl arrive massivement aux États-Unis depuis le Canada, de la même façon, selon lui, que depuis le Mexique.
«Les gens se font tuer et des familles sont détruites», a-t-il dit.
Le gouvernement Canada a promis d’injecter 1,3 milliard $ de nouvelles ressources pour la sécurité aux frontières, dans l’espoir de convaincre M. Trump de laisser tomber son idée de tarifs de 25 %.
M. Trudeau doit rencontrer virtuellement, mercredi, ses homologues des provinces et territoires.