La gouverneure générale donne une impulsion à la diplomatie autochtone à l’étranger

OTTAWA — La gouverneure générale Mary Simon utilise ses fonctions pour aider à établir des liens entre les peuples autochtones d’un peu partout dans le monde. Selon les experts, il s’agit d’un effort qui tire parti d’une institution coloniale pour faire progresser la réconciliation à l’étranger et renforcer des siècles de collaboration.

«J’ai eu un dialogue très intéressant», a affirmé Mme Simon en entrevue le mois dernier après un voyage en Finlande.

Le périple visait aussi à faire preuve de solidarité alors que le pays cherche à resserrer ses liens militaires avec d’autres nations occidentales à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Mme Simon, qui est Inuk, a également profité de son séjour pour amener des dirigeants autochtones et tisser des liens avec les Samis, qui sont le peuple autochtone du nord de l’Europe.

«En tant que gouverneure générale autochtone, j’ai pu établir de bonnes relations avec les représentants autochtones en Finlande, avec le peuple sami», a-t-elle fait valoir.

«Nous avons discuté avec eux de la manière dont nous pourrions faciliter davantage les échanges entre les communautés autochtones du Canada et le peuple sami.»

Mme Simon a déclaré que les Finlandais sont «qu’aux premières étapes du travail de leur Commission Vérité et Réconciliation», mais a ajouté qu’ils trouvaient des moyens d’impliquer les jeunes qui pourraient servir de modèle à d’autres groupes autochtones.

La gouverneure générale a déclaré qu’elle abordait également ces questions avec les gouverneurs généraux d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

«Ce sont des pays qui sont également très impliqués et engagés à essayer de se réconcilier avec le passé et à parler de la façon dont cette relation renouvelée peut fonctionner dans leur propre pays», a-t-elle déclaré.

«Position unique»

Les experts estiment que la représentante du roi au Canada peut aider à guider les peuples autochtones et non autochtones du Canada dans une collaboration avec d’autres pays.

«Elle est dans une position vraiment unique pour aider les institutions canadiennes à comprendre comment évoluer pour mieux servir les peuples autochtones», a indiqué Max FineDay, le dirigeant de la société de consultants Warshield, qui conseille les dirigeants autochtones sur les partenariats internationaux.

M. FineDay, qui est Cri et partage son temps entre Ottawa et la Première Nation de Sweetgrass dans le nord-ouest de la Saskatchewan, a déclaré que cela peut s’appuyer sur des siècles d’échanges.

«Nous avons échangé les uns avec les autres et construit nos propres économies avant la colonisation. Nous avons conclu des traités avec d’autres groupes autochtones», a-t-il soutenu.

«Il s’agit d’une évolution naturelle de ce à quoi ressemble la diplomatie autochtone aujourd’hui, à une échelle un peu plus large», a-t-il ajouté.

M. FineDay a suggéré que Mme Simon pourrait utiliser l’institution coloniale de Rideau Hall comme un outil qui aide les communautés à surmonter le mal imposé par le colonialisme.

Déjà, des communautés au Canada échangent sur la revitalisation des langues ou sur la recherche d’un équilibre entre le développement des ressources et la protection de l’environnement, a-t-il déclaré.

M. FineDay croit toutefois que les nations du Canada pourraient aussi partager leur expérience et apprendre des communautés d’autres pays sur des sujets tels que la réaffirmation de l’autonomie en matière de protection de l’enfance ou la gestion de systèmes de soins de santé.

«La gouverneure générale a également une occasion unique et importante pour les peuples autochtones de voir comment d’autres nations proposent des solutions innovantes pour lutter contre le colonialisme», a-t-il dit.

«La gouverneure générale peut mettre en lumière des opportunités là où nos politiciens, nos fonctionnaires, peut-être même nos dirigeants autochtones n’ont pas vu ou n’ont pas pensé à chercher», a-t-il soutenu.

M. FineDay a noté que les peuples autochtones considèrent que leur principale relation de traité est avec la Couronne plutôt qu’avec des politiciens élus, ce qui place Mme Simon dans une position unique en tant que représentant autochtone du roi.

Une longue tradition

Nathan Tidridge, un auteur qui est le vice-président de l’Institut d’études sur la Couronne au Canada, a mentionné que les peuples autochtones ont fait leur propre diplomatie pendant des siècles.

Par exemple, une délégation dirigée par quatre chefs Haudenosaunee (Iroquois) est arrivée à Londres en 1710 pour négocier directement avec la reine Anne au sujet de la défense militaire, dans le cadre d’un traité de 1669. Les Premières Nations ont fréquemment rencontré des représentants britanniques jusqu’aux années qui ont précédé la Confédération, a relaté M. Tidridge.

«Il y a cette longue tradition à la fois très historique, mais aussi moderne, dont Mary Simon fait partie», a-t-il affirmé.

Les provinces canadiennes ont eu au moins cinq lieutenants-gouverneurs qui étaient des Premières Nations ou des Métis, avant que Mme Simon ne devienne la première gouverneure générale autochtone en 2021.

Selon M. Tidridge, les emplois sont nettement différents. Les représentants provinciaux sont choisis par le premier ministre et peuvent faire avancer les politiques sans porter la responsabilité fédérale des relations avec les peuples autochtones.

Le premier représentant d’origine autochtone, l’ancien lieutenant-gouverneur de l’Alberta, Ralph Steinhauer, était cri.

M. Tidridge a souligné que M. Steinhauer s’est prononcé contre un projet de loi qui visait à limiter les revendications territoriales autochtones pour créer des projets de sables bitumineux. Il a même envisagé de refuser la sanction royale à cette législation avant de céder en 1977.

«Ils peuvent pousser un peu plus loin, alors que le gouverneur général doit suivre les conseils du premier ministre», a soutenu Mme Tidridge, affirmant que le travail de Mme Simon s’apparente davantage à une «puissance douce» («soft power»).

MM. FineDay et Tidridge soutiennent tous deux que la Nouvelle-Zélande est plus avancée que le Canada dans son processus de décolonisation. Sa gouverneure générale est Maorie et il y a une plus grande représentation autochtone dans les échelons supérieurs du pouvoir ainsi que dans l’organisation des institutions.

La stratégie indo-pacifique du Canada, publiée l’an dernier, appelle à de plus grands partenariats économiques entre les communautés autochtones du Canada et celles d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de Taïwan.

M. Tidridge surveille attentivement les rôles que joueront les peuples autochtones lors de la cérémonie de couronnement le mois prochain à Londres. D’après lui, le roi Charles a signalé une ouverture à l’incorporation des peuples autochtones et à l’utilisation de son rôle pour inverser les méfaits de la colonisation.

«La Couronne en tant qu’institution a plus d’un millénaire. Elle ne survit pas aussi longtemps sans s’adapter et changer pour répondre aux besoins de la société dans laquelle elle existe.»

Cela pourrait signifier donner aux peuples autochtones une plateforme et mettre en lumière des événements historiques, a estimé M. Tidridge.

«Il y a un besoin d’espaces de conversation plus sûrs. Les gens ont tellement peur en ce moment d’avoir ces conversations vraiment critiques que nous devons en avoir sur une variété de choses autour de la décolonisation, autour de l’État canadien.

«Un pouvoir énorme que la gouverneure générale, les lieutenants-gouverneurs et le roi ont, c’est qu’ils peuvent convoquer ces espaces», a-t-il avancé.