Le Bloc forcera un vote sur une rupture des liens entre le Canada et la monarchie

OTTAWA — Qu’il y ait d’autres sujets plus prioritaires ou pas, les élus fédéraux devront individuellement se prononcer sur une motion du Bloc québécois demandant au gouvernement Trudeau de prendre les mesures pour rompre les liens entre le Canada et la monarchie britannique.

À l’occasion de leur première journée d’opposition de la session parlementaire, mardi, les bloquistes forceront leurs confrères à réfléchir au fait qu’au 21e siècle il faut encore se prêter à «l’exercice farfelu» de réciter un serment d’allégeance à «un roi étranger qui est aussi un chef religieux» afin de pouvoir siéger à la Chambre des communes, a expliqué leur chef, Yves-François Blanchet.

«Pourquoi on fait pas une entente – les provinces, le gouvernement fédéral – puis on sort ça de la constitution de ce qui devrait être une république démocratique», a-t-il résumé en entrevue avec La Presse Canadienne.

Mais M. Blanchet ne se fait pas d’illusions et admet s’attendre à une défaite lors du vote puisque le gouvernement fédéral ne veut «surtout pas» ouvrir la constitution – un passage obligé pour rompre les liens avec la couronne et qui nécessite l’approbation des dix provinces, de la Chambre des communes et du Sénat – de peur que chacun dresse sa liste de demandes et que la «canne» soit ensuite difficile à refermer.

Les «vraies» priorités

D’ailleurs, le premier ministre Justin Trudeau a rapidement fermé la porte à tout changement constitutionnel la semaine dernière dans la foulée du refus par des députés du Parti québécois et de Québec solidaire de prêter le serment d’allégeance obligatoire au roi Charles III.

«Il n’y a pas un Québécois qui veut qu’on rouvre la constitution», avait dit M. Trudeau aux journalistes, expliquant que les Québécois veulent que leur gouvernement se préoccupe du coût de la vie, des emplois et des changements climatiques.

Le ministre du Patrimoine canadien et lieutenant pour le Québec, Pablo Rodriguez, avait ajouté durant des échanges houleux aux Communes, jeudi dernier, que le les libéraux veulent, eux, se battre pour «les vraies priorités de tous les Québécois». Il n’avait pas répondu à la question de M. Blanchet qui lui demandait si sa loyauté va «à Charles III ou au peuple».

Les autres partis d’opposition ne sont pas plus chauds à l’idée de modifier le serment d’allégeance, ce qui est une démarche bien plus simple que de transformer le pays en république.

Chez les conservateurs, le lieutenant pour le Québec, Pierre Paul-Hus, avait indiqué la semaine dernière que sa formation politique n’était pas chaude à l’idée de modifier les serments au niveau fédéral. Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, avait pour sa part mentionné être «ouvert à cette discussion», mais que sa priorité était d’aider monsieur et madame Tout-le-Monde à faire face à la hausse du coût de la vie.

«C’est la tête de l’État»

Aux députés qui estiment qu’il y a d’autres chats à fouetter et que le temps des Communes pourrait être mieux investi, le chef bloquiste répond qu’il s’agit pourtant d’un sujet fondamental, que l’on peut «marcher pis mâcher de la gomme en même temps» et qu’il en coûte 70 millions $ à Ottawa chaque année pour maintenir la monarchie constitutionnelle, des fonds qui pourraient servir au logement social, à aider les aînés et à la transition énergétique.

«Quand on dit: “c’est pas important”, c’est la tête de l’État. Quand on va en élection, on vote pour qui va nous diriger. Donc on présume que c’est important. Il y a des dizaines de milliers de personnes dans chaque comté qui vont voter. Ça doit être important. Et pourtant, on admet que le vrai chef au bout de la ligne, c’est un monsieur à Londres qui s’intéresse pas du tout à nous», a-t-il plaidé.

Selon M. Blanchet, un échec lors du vote sur la motion de mardi démontrerait néanmoins aux Québécois qu’ils vivent «dans une institution canadienne qui est désuète» et ils pourraient conclure que «coudonc, ce pays ne nous ressemble pas». Les électeurs vont «prendre acte» de la décision de leur député et en tiendront compte au moment de faire un choix à l’élection suivante, a-t-il poursuivi.

À ce chapitre, le chef bloquiste note une différence entre les Québécois et les autres Canadiens. «Qu’on soit fédéraliste, nationaliste, souverainiste, il reste qu’on sait très bien au Québec qu’on a été conquis par l’Angleterre, (…) tandis que dans l’ensemble du Canada, on est le conquérant, on est celui qui a battu les Français en 1760. Ça part de loin, mais ça laisse une trace», a dit M. Blanchet.

Du «rubber stamping»

Charles III a-t-il du pouvoir au Canada? «Immensément, en théorie. En pratique, pas du tout», répond Patrick Taillon, un professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval.

M. Taillon a expliqué que le roi est le chef de l’État et le chef des armées. C’est donc en son nom que s’exerce le pouvoir au pays. Pour qu’une loi soit adoptée, elle a besoin de la sanction royale. Autrement dit, une loi devient loi parce que le roi le veut.

Cependant, la réalité est que le gouverneur général, qui représente le roi et qui accorde cette sanction royale, est venu à faire au fil du temps du «rubber stamping», a-t-il expliqué.

L’histoire canadienne est façonnée de «conventions constitutionnelles» qui sont devenues politiquement obligatoires avec les années et qui ont fait perdre du pouvoir à la monarchie au pays.

«Les conventions font en sorte que le roi ne pose aucun geste au Canada à moins que [le premier ministre] Justin Trudeau lui demande d’en poser un. Et en pratique, le seul geste que Justin Trudeau lui demande, c’est une fois de temps en temps (…) de procéder à la nomination d’un nouveau gouverneur général», a-t-il expliqué.

Il n’en reste pas moins qu’il n’est pas si complexe d’abolir la monarchie et de transformer le Canada en république, a soutenu M. Taillon. La façon «facile» serait de «couper le cordon» qui fait du gouverneur général un représentant du roi.

La procédure de nomination du gouverneur général pourrait être «canadiannisée» en la confiant à la Chambre des communes, aux deux chambres du Parlement ou encore aux premiers ministres des provinces.

M. Taillon a aussi décrit la méthode «compliquée» qui permet de réunir «ben du monde, notamment les provinces», pour déterminer s’ils veulent un exécutif à deux têtes, soit un chef de gouvernement et un chef d’État comme dans un système parlementaire, ou s’ils préfèrent un système présidentiel, et de quel type, où une personne cumule les deux fonctions.