Le milieu politique est ébranlé par le contrat visant à assassiner Daniel Renaud
MONTRÉAL — La classe politique et le milieu journalistique sont bouleversés par les révélations du quotidien La Presse, vendredi, à l’effet qu’un membre du crime organisé avait mis à prix la tête de son journaliste spécialisé en enquêtes sur le crime organisé, Daniel Renaud.
C’est en prenant connaissance d’extraits des aveux du tueur à gages Frédérick Silva que le quotidien a appris que celui-ci avait offert 100 000 $ à quiconque réussirait à assassiner le reporter, qui couvrait justement son procès pour trois meurtres et une tentative de meurtre en 2021.
Condamné à la prison à vie, Silva a retourné sa veste en 2022 et collabore depuis avec les policiers. Au sujet de ce contrat, il a précisé que les gens du milieu étaient réticents à s’en prendre à un journaliste.
François Legault: «Ça n’a pas de bon sens»
Le premier ministre François Legault, qui a d’abord offert son soutien à Daniel Renaud, n’a pas caché son trouble face à ces révélations. «Ça n’a pas de bon sens qu’au Québec – on n’est pas dans un film – qu’au Québec il y ait un contrat qui soit mis sur la tête d’un journaliste parce qu’il a fait son travail. Ça vient montrer que bon, il faut continuer à regarder avec les policiers ce qu’on peut faire contre le crime organisé, contre des criminels comme M. Silva. Mais ce n’est vraiment pas le genre de Québec qu’on veut», a-t-il déclaré.
Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Éric-Pierre Champagne, un collègue de Daniel Renaud à La Presse, s’est dit secoué par ces révélations. Il a rappelé la tentative d’assassinat du journaliste Michel Auger, atteint de plusieurs projectiles dans le dos dans le stationnement du Journal de Montréal en 2000, un geste qui avait mis énormément de pression sur le crime organisé. «Je pense qu’on croyait peut-être à tort que c’était terminé ça. Et là on voit que finalement ce n’était peut-être pas le cas.» Il a d’ailleurs noté que Frédérick Silva s’était fait dire par le milieu que ce n’était pas une bonne idée.
«Daniel, c’est un des journalistes qui couvre les affaires judiciaires, le crime organisé, mais ça aurait pu être quelqu’un d’autre là. C’est un de ceux qui a le plus couvert le procès de M. Silva et c’est donc vraiment un journaliste qu’on ciblait parce qu’on voulait le faire taire, l’empêcher de continuer à faire son travail. Dans ce sens-là c’est vraiment la profession qui est visée», a-t-il conclu.
Le député de Québec solidaire Vincent Marissal, lui-même un ancien collègue de Daniel Renaud à La Presse, s’est dit «particulièrement choqué ce matin, scandalisé, horrifié, de voir que des journalistes se voient menacés comme ça quand on met une tête à prix, un fort montant comme ça».
«Daniel, c’est un gars super rigoureux, ce n’est pas le gars qui fait le plus de bruit dans une salle de rédaction, mais apparemment il dérange beaucoup. Ça veut dire qu’il fait son travail, mais ce n’est certainement pas une raison pour voir sa tête mise à prix. (…) Personne ne devrait voir sa vie menacée parce qu’il fait son travail (…) mais c’est un rappel que quand on fait ce genre de travail, on est à risque. Il y a des gens qui sont prêts à tout pour continuer leur petite business illicite et puis faire régner la terreur.»
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, lui aussi un ancien journaliste a fait valoir que Daniel Renaud était un reporter sobre qui évite le sensationnalisme. «Si Daniel Renaud a pu être l’objet d’une telle menace, tu ne peux pas faire autrement que de penser aux autres journalistes qui font des enquêtes dans le milieu criminalisé. Et tu penses à notre démocratie aussi et tu te dis qu’il y a encore des criminels qui pensent qu’ils peuvent s’en prendre aux journalistes puis mettre un prix sur la tête, mettre un contrat sur la tête d’un journaliste. Je trouve ça très inquiétant en fait pour notre démocratie. J’ai été vraiment assez consterné et assez ébranlé par ce que j’ai lu ce matin.»
L’opposition unanime
La députée libérale Marwah Rizqy, qui a elle-même fait l’objet de menaces de mort et qui a été placée sous protection policière à un certain moment, a d’abord eu un long silence lourd lorsqu’appelée à réagir. «Le quatrième pouvoir, celui des journalistes déjà qui meurt un petit peu pour des raisons financières, imaginez quand vous et votre famille vous ne vous sentez pas en sécurité pour faire votre propre travail alors que votre travail est non seulement pertinent, il est nécessaire dans une démocratie qui est saine. S’il n’y a plus de contre-pouvoir, s’il n’y a plus personne pour poser des questions, alors on peut fermer les lumières.»
De son côté, le député péquiste Pascal Paradis a offert son soutien au journaliste et à sa famille, ajoutant que «le travail des journalistes dans ce genre de dossier est absolument essentiel partout sur la planète, le travail des journalistes là-dessus est essentiel. (…) Ce qu’on veut, c’est que les journalistes puissent continuer ce travail avec toutes les protections possibles dans le plus grand contexte de sécurité possible. Et ça, ça veut dire qu’il faut se poser la question, donc de la liberté journalistique. Elle est liée aussi à la façon dont on conduit la lutte au crime organisé au Québec.»
Le dossier a fait l’objet d’une motion présentée par le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, et adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Celle-ci rappelle «l’importance du travail des journalistes dans une société libre et démocratique» et «condamne fermement l’intimidation, les menaces ou tout autres gestes posés à l’encontre des journalistes afin de limiter leur liberté de presse» et , finalement, «exprime sa solidarité envers Daniel Renaud, journaliste à La Presse ainsi qu’à l’ensemble de la communauté journalistique».
Les députés fédéraux ont eu le même réflexe, à la Chambre des communes, adoptant à leur tour de façon unanime une motion déposée par la leader adjointe du Boc québécois, Christine Normandin. Cette motion affirme que «la Chambre offre son soutien au journaliste de La Presse, Daniel Renaud, dont la tête a été mise à prix par des membres du crime organisé», et rappelle «que le travail des journalistes est l’un des piliers de notre démocratie et que celui-ci se doit d’être exercé sans crainte de représailles ou de menaces à l’intégrité physique ou morale de celles et ceux qui le pratiquent».