Le ministère de la Défense réexamine des contrats avec Sinclair, liée à la Chine

OTTAWA — Le ministère de la Défense nationale a indiqué jeudi qu’il réexaminait plusieurs contrats octroyés à une entreprise ontarienne qui a des liens de propriété avec la Chine, dans le cadre d’un examen plus large, par le gouvernement, des relations d’Ottawa avec Sinclair Technologies.

«Nous enquêtons sur ces acquisitions et sur la manière dont ces équipements sont utilisés, aux côtés d’homologues d’autres ministères, a écrit jeudi le porte-parole du ministère de la Défense, Daniel Le Bouthillier. Le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de nos infrastructures.»

Cet examen a été annoncé après que Radio-Canada a révélé, mercredi, que Sinclair Technologies, d’Aurora, en Ontario, avait obtenu l’an dernier un autre contrat pour fournir à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) un système de filtrage des radiofréquences. 

La société mère de Sinclair, Norsat International, appartient à la société chinoise de télécommunications Hytera depuis 2017. Le gouvernement chinois détient une participation de 10 % dans Hytera, par l’entremise d’un fonds d’investissement.

Radio-Canada a indiqué jeudi que la GRC avait maintenant suspendu ce contrat, citant le cabinet du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino.

En 2021, la Commission fédérale des communications aux États-Unis a statué que la technologie d’Hytera constituait un risque pour la sécurité nationale. Cette technologie est depuis interdite d’utilisation aux États-Unis à des fins de sécurité publique, de sécurité gouvernementale et de surveillance des infrastructures critiques.

En février dernier, Hytera a été accusée de 21 chefs d’espionnage, après que des responsables américains ont allégué que la société avait volé des secrets industriels à son concurrent américain Motorola Solutions. Hytera a nié les allégations.

Plusieurs contrats à Sinclair

Le ministère canadien de la Défense nationale a octroyé plusieurs contrats à Sinclair depuis une dizaine d’années, dont un l’an dernier pour la fourniture d’antennes aux deux principales bases navales du Canada: à Halifax et à Esquimalt, en Colombie-Britannique. Les autres contrats ont été octroyés avant l’acquisition de Norsat par Hytera en 2017.

La porte-parole de Sinclair, Martine Cardozo, a refusé de commenter jeudi, si ce n’est pour affirmer que l’entreprise d’Aurora est «une entité complètement indépendante». 

Bien que la GRC n’ait pas répondu aux demandes répétées de commentaires, Radio-Canada a cité une déclaration dans laquelle la police fédérale exprimait sa confiance dans la sécurité du système et rappelait que tout entrepreneur impliqué devait obtenir une habilitation de sécurité.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a déclaré aux journalistes à sa sortie de la réunion hebdomadaire du conseil des ministres, jeudi, que l’équipement radio avait été installé par la GRC, qui le surveille et l’entretient également. «Il y a donc des contrôles très directs sur l’équipement lui-même», a-t-il assuré.

M. Mendicino a toutefois ajouté que le gouvernement fédéral examinait ses relations avec Sinclair et la façon dont le contrat de la GRC avait été attribué, afin de s’assurer que les contrôles de sécurité appropriés avaient été effectués.

«Il ne fait aucun doute qu’il existe des inquiétudes très légitimes quant à la manière dont le contrat a été attribué, c’est pourquoi nous l’examinons de très, très près, a déclaré M. Mendicino. De toute évidence, s’il y avait des inquiétudes ou s’il y avait des failles dans ce processus autour du contrat, des mesures très rapides et immédiates devraient être prises pour suspendre ou annuler complètement le contrat.»

«Pourquoi on n’a pas demandé au CST ?»

À la période de questions aux Communes, jeudi après-midi, le leader du Bloc québécois en Chambre, Alain Therrien, a demandé au premier ministre Justin Trudeau comment il pouvait expliquer que son gouvernement avait pu «donner à une compagnie appartenant au gouvernement chinois l’accès aux fréquences secrètes de la GRC». 

«C’est un système de filtrage qui assure la confidentialité des communications du premier ministre et des chefs étrangers en visite au Canada, a soutenu M. Therrien, et personne n’a jugé nécessaire de faire des vérifications de sécurité.» 

M. Trudeau a répondu que les yeux du gouvernement «sont toujours ouverts quand on parle des menaces supposées par des acteurs hostiles» et il a assuré que son gouvernement était «très préoccupé par l’histoire de ces contrats avec Sinclair Technologies». 

Le député bloquiste est revenu à la charge en rappelant au premier ministre que le gouvernement fédéral disposait déjà d’un Centre de sécurité des télécommunications (CST). «Imaginez: personne au gouvernement n’a jugé bon de faire appel à l’expertise du CST», a dit le député de Laprairie.

Le premier ministre a répondu que son gouvernement avait demandé aux ministres et aux fonctionnaires de faire des suivis dans ces affaires.

Interrogée jeudi en mêlée de presse avant la période de questions, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a soutenu que ces contrats «n’auraient jamais dû être signés par la fonction publique, point».

«Ce que j’ai dit dans ma stratégie indo-pacifique [il y a dix jours], c’est qu’on devait s’assurer d’avoir une lentille liée à la sécurité nationale dans tout ce qu’on fait, particulièrement en matière de contrats et d’approvisionnement.»

Au comité parlementaire

Le contrat de la GRC avec Sinclair a également été évoqué lors d’une réunion du comité de la défense nationale de la Chambre des communes, où la conseillère à la sécurité nationale du premier ministre, Jody Thomas, comparaissait pour témoigner sur la sécurité dans l’Arctique.

«Nous examinons ce qui s’est passé avec ce contrat, a assuré Mme Thomas. Les termes de référence pour l’examen que nous faisons, nous sommes justement en train de les créer. Je suis toujours en train de recueillir des informations auprès des ministères concernés.»

La Chine est revenue à plusieurs reprises sur le tapis lors de la réunion du comité parlementaire. Mme Thomas a notamment indiqué que les ambitions de Pékin dans l’Arctique découlaient de son désir de sécuriser des routes maritimes plus courtes vers l’Europe et de tirer parti des vastes réserves de ressources naturelles de la région.

«(Les autorités chinoises) ont un appétit vorace pour les hydrocarbures, les minéraux de terres rares et le poisson, a-t-elle expliqué. Ils voient (l’Arctique) comme un élément essentiel de leur durabilité en tant que nation. Nous devons donc nous assurer que les riches ressources de l’Arctique canadien sont protégées.»