Le rapport de la commission d’enquête sur la tuerie en N.-É. est attendu jeudi

HALIFAX — Le 22 juillet 2020, environ trois mois après qu’un homme armé a assassiné 22 personnes en Nouvelle-Écosse, un cortège de parents en deuil a défilé jusqu’au détachement local de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), réclamant une enquête indépendante et transparente sur cette tragédie.

Nick Beaton, qui a perdu sa femme, Kristen Beaton, enceinte, lors de la tuerie des 18 et 19 avril 2020, portait une pancarte avec une photo de son jeune fils embrassant Kristen. «Ma maman me manque, y lisait-on. Nous méritons des réponses et la vérité.»

Jeudi, M. Beaton et les autres personnes qui insistaient pour obtenir des réponses accueilleront le rapport final de la commission d’enquête fédérale-provinciale, dont le déclenchement avait été annoncé une semaine après la manifestation de juillet 2020 à Bible Hill.

Sandra McCulloch, une avocate qui représente 14 des familles des victimes, déclarait en entrevue mardi que les proches espéraient «des commentaires clairs sur ce qui a mal tourné et sur ce qui aurait dû être mieux fait, ou différemment».

La tuerie a commencé dans la paisible communauté de Portapique lorsqu’un denturologiste de 51 ans de Halifax a agressé sa conjointe, a chargé ses armes à feu illégales dans une réplique d’autopatrouille de la GRC et a commencé à tirer sur ses voisins. Treize personnes sont mortes ce soir-là.

Le tueur a réussi à s’échapper de la région de Portapique et le lendemain matin, 19 avril, neuf autres personnes ont été abattues, dont la policière de la GRC Heidi Stevenson.

Le tireur a finalement été abattu par deux membres de l’équipe d’intervention d’urgence de la GRC dans une station-service à Enfield, environ 13 heures après les premiers assassinats à Portapique et à une centaine de kilomètres au sud.

La commission d’enquête publique avait un large mandat, mais certains observateurs affirment que ce sont les questions de maintien de l’ordre et de violence sexiste qui sont au cœur des travaux.

Communications plus transparentes

Wayne MacKay, professeur émérite de droit à l’Université Dalhousie, à Halifax, rappelle que même si la commission d’enquête se concentre sur la recherche de faits et la formulation de recommandations, elle ne peut pas blâmer ni déterminer une responsabilité criminelle ou civile. 

Par contre, le rapport final pourrait entraîner d’importants changements, en particulier à la GRC, estime le professeur MacKay. Entre autres choses, croit-il, l’enquête ne manquera pas d’exhorter la police fédérale à être plus transparente dans ses communications avec la population.

«Dès la toute première conférence de presse, il y a eu soit de la désinformation, soit de la ‘sous-information’ de la GRC, qui s’est poursuivie tout au long du processus, a-t-il déclaré. Et ils auraient dû alerter plus tôt qu’un homme conduisait une autopatrouille et tirait sur des gens.»

Sur un autre front, M. MacKay croit que l’enquête recommandera que la GRC pose des gestes concrets au sujet de son manque de collaboration avec les divers corps policiers municipaux.

«La GRC, dans ce qui pourrait sembler être presque un acte d’arrogance, a répété à plusieurs reprises: ‘Non, nous maîtrisons la situation’, a rappelé M. MacKay. Il semble y avoir une sorte de supériorité dans la façon dont ils traitent avec les autres corps policiers.»

Violence conjugale 

De plus, la commission d’enquête devrait avoir beaucoup à dire sur la façon dont la GRC traite les plaintes de violence entre conjoints.

L’enquête a permis d’apprendre que Gabriel Wortman avait commencé à tuer des gens après avoir agressé sa conjointe, Lisa Banfield. Des témoins ont affirmé aux procureurs de la commission que ses antécédents de violence contre les femmes s’étendaient sur des décennies. 

Une ancienne voisine de Wortman à Portapique a raconté à la commission qu’elle avait informé la police en 2013 qu’il possédait des armes illégales lorsqu’elle a déposé une plainte concernant un incident présumé de violence conjugale.

Le professeur MacKay estime que la commission avait la possibilité de recommander une refonte de la GRC qui mettrait fin à son rôle de principal corps policier dans la plupart des régions rurales du Canada, hors Québec.

Depuis la tragédie, la GRC a remédié aux lacunes en matière d’équipement et de procédures, mais sa réponse complète au rapport ne sera déployée qu’après la publication jeudi, ont indiqué des officiers supérieurs.

Pas de contre-interrogatoires

La commission a déclaré que son rapport contiendrait sept volumes et couvrirait jusqu’à 3000 pages. Mais Ed Ratushny, professeur émérite à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, estime que la clé sera de savoir si le rapport offre un compte rendu clair de ce qui s’est passé et des recommandations pratiques sur la façon de prévenir de telles tragédies au Canada.

Au cours des audiences, le professeur Ratushny a critiqué les restrictions imposées au contre-interrogatoire de certains témoins, en particulier des policiers — la commission ne voulait pas amplifier le traumatisme vécu lors de la fusillade.

«Je me demande si la crédibilité du rapport pourrait être mise en péril, à certains égards, à cause de l’absence de contre-interrogatoire, comme on le fait habituellement», a-t-il déclaré lors d’un entretien lundi.