Lloyd Axworthy demande aux pays européens de respecter la Convention d’Ottawa
OTTAWA — L’ancien ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, souhaite que le Canada mène une campagne auprès des pays partageant les mêmes idées afin d’empêcher ses alliés d’Europe de l’Est de se retirer du traité qu’il a contribué à négocier et qui interdit l’utilisation des mines antipersonnel.
Mardi, les ministres de la Défense représentant la Pologne et les trois pays baltes ont déclaré qu’ils «recommandaient à l’unanimité le retrait de la Convention d’Ottawa», entrée en vigueur en 1999, en raison de la menace croissante que représente la Russie pour les États de première ligne de l’OTAN.
Depuis lors, le Canada a dépensé des millions pour contribuer à débarrasser le monde des mines terrestres qui blessent et mutilent massivement des civils et des enfants, notamment en Ukraine.
Mais les ministres de Pologne, de Lituanie, de Lettonie et d’Estonie affirment que la situation sécuritaire sur le flanc oriental de l’OTAN s’est «fondamentalement détériorée» depuis leur signature de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, et que «les menaces militaires contre les États membres de l’OTAN limitrophes de la Russie et de la Biélorussie ont considérablement augmenté».
«Avec cette décision, nous envoyons un message clair : nos pays sont prêts et peuvent prendre toutes les mesures nécessaires pour défendre leur territoire et leur liberté», ont-ils écrit.
Malgré leur intention de se retirer du traité, les ministres ont déclaré qu’ils resteraient attachés au droit humanitaire, notamment à la protection des civils en période de conflit armé.
M. Axworthy, qui a été l’instigateur de la Convention d’Ottawa, a affirmé que se retirer du traité contribuerait à accélérer la désintégration de l’ordre mondial.
«Je suis profondément consterné, a-t-il expliqué lors d’une entrevue avec La Presse Canadienne. C’est le début du démantèlement d’un traité important qui a permis d’épargner un quart de million de victimes au cours des 25 dernières années.»
Il a ajouté que cela pourrait même marquer le début de la fin de «toute une série de questions liées au contrôle des armements et au désarmement».
M. Axworthy partage l’avis des dirigeants de la région selon lequel la sécurité s’est «fondamentalement détériorée» et affirme que le président américain Donald Trump «bascule du côté obscur» en dénigrant ses alliés et en se rapprochant de Moscou.
Il a toutefois affirmé que se retirer de la convention contribuerait à faire du monde un endroit où «les grandes puissances dictent leurs lois» et rendrait la planète moins sûre.
Des tensions possibles au sein de l’OTAN
L’ancien ministre a également expliqué que cette décision créait de nouvelles tensions au sein de l’alliance militaire de l’OTAN et estime que la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, devrait mener une action pour convaincre les alliés de respecter le traité.
Il y a une semaine, il a coécrit une lettre adressée à Mélanie Joly, avec Humanité et Inclusion Canada, lui demandant de prendre des mesures pour tenter de maintenir le traité en vigueur. Il a averti que son élimination «pourrait entraîner un effet domino de non-respect et l’abandon d’avancées durement acquises pour la protection des civils, et conduire à un monde très incertain et dangereux».
Le cabinet de Mélanie Joly a été sollicité pour commenter.
«Notre propre pays a su montrer une direction significative, et nous n’avons pas exclu les grandes puissances ; nous l’avons fait en tant que pays indépendant, a-t-il déclaré. C’est un domaine dans lequel nous avons un leadership, et nous devons l’exercer. »
Mines Action Canada s’est dite «consternée» par la proposition de retirer certains pays du traité, arguant qu’Ottawa devrait tenter de convaincre ses alliés européens que ce retrait ne ferait qu’aider la Russie à affaiblir le monde.
«Cela reflète véritablement une forme de faiblesse, à un moment où nous devons absolument être forts et unis au sein de l’OTAN, a indiqué Erin Hunt, directrice de l’organisation, lors d’une entrevue. Il s’agit d’une initiative phare de la politique étrangère canadienne que certains de nos plus proches alliés abandonnent, sans véritable justification.»
Elle a souligné que des recherches menées par le Comité international de la Croix-Rouge montrent que les mines terrestres ne sont d’aucune utilité pour prévenir la guerre tout comme dans les conflits. C’est pour cette raison que les États-Unis ne produisent plus ces armes.
Mme Hunt a expliqué que cette décision place le personnel des Forces armées canadiennes en service en Lettonie «dans une position très délicate», car les proches alliés d’Ottawa «souhaitent modifier leur adhésion au droit international humanitaire général».
Environ 1900 soldats canadiens servent dans les forces terrestres, aériennes et maritimes pour contribuer à dissuader la Russie d’envahir la Lettonie.
Elle a déclaré que le ministère canadien de la Défense devrait s’efforcer de convaincre ses collègues qu’il existe de meilleures façons de se défendre, soulignant que cette déclaration ne provenait pas des ministères des Affaires étrangères.
«Cette annonce de ces ministres (de la Défense) semble vouloir peser lourd», a soutenu Mme Hunt.
L’Observatoire des mines et des sous-munitions, un organisme international de surveillance, a indiqué dans un rapport publié l’année dernière que des mines terrestres étaient encore activement utilisées en 2023 et en 2024 par la Russie, le Myanmar, l’Iran et la Corée du Nord.
En Finlande, le député qui préside le comité de la défense du pays a déclaré ce mois-ci que le pays devrait se retirer de la Convention d’Ottawa d’ici cet été, invoquant des inquiétudes concernant la Russie et une pétition appelant à une telle décision.
Près d’une trentaine de pays n’ont pas adhéré à la Convention d’Ottawa, y compris certains producteurs et utilisateurs actuels et passés de mines terrestres, comme les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Sud et la Russie.