Loi sur les langues officielles: Québec et Ottawa trouvent un compromis

OTTAWA — Les entreprises privées de compétence fédérale en sol québécois ne seront finalement pas forcées de s’assujettir à la Charte de la langue française du Québec, mais ça devrait être tout comme, ou presque, si le projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles est adopté.

Peu avant la fin de l’étude article par article en comité, les libéraux ont présenté vendredi une série d’amendements à leur pièce législative qui constitue un compromis avec la demande du gouvernement du Québec. Tous les partis d’opposition ont voté en faveur.

«Ces amendements démontrent que le régime fédéral peut être équivalent à celui du Québec en ce qui a trait à l’usage du français dans les entreprises et les deux régimes peuvent coexister en collaboration», a expliqué Marc Serré, le secrétaire parlementaire de la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas-Taylor, en présentant le premier amendement.

Le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, s’est réjoui et a qualifié ce dénouement d’«avancée majeure pour la vitalité du français au Québec et au Canada».

«Ça peut difficilement aller mieux en ce moment», a-t-il résumé en entrevue avec La Presse Canadienne où il a confirmé que les amendements que le gouvernement libéral a déposés correspondent «absolument» à ce que les deux ordres de gouvernement ont négocié.

Selon M. Roberge, les régimes linguistiques du Québec et du Canada sont maintenant «très, très semblables, presque miroir». De grands pans de la Charte de la langue française ont été «pratiquement copié-collé» dans la Loi sur les langues officielles, a-t-il illustré.

Dans une déclaration écrite, la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a soutenu avoir toujours eu comme «objectif commun» avec le Québec de protéger le français et que les amendements de vendredi en sont la preuve.

«Nous avons entre les mains un projet de loi robuste qui nous donne les moyens de nos ambitions pour s’attaquer à ce déclin du français et soutenir nos communautés de langue officielle en situation minoritaire et nous sommes impatients que cette loi devienne réalité», écrit-elle.

Lors de l’étude en comité, le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin, a expliqué qu’il comprend que les amendements libéraux sont le fruit de discussions entre le gouvernement fédéral et celui du Québec et qu’il a confiance en ce dernier, décrit comme «les gardiens de la langue française au Québec», mais qu’il trouve «assez particulier» d’avoir reçu en soirée la veille la pile de documents.

«Je veux partager ma joie que les oppositions, on a fait un travail extraordinaire pour mettre de la pression sur le gouvernement du Canada pour l’obliger à fléchir un peu des genoux», a déclaré M. Godin lors des délibérations.

La menace des oppositions

Dans sa version initiale, l’article 54 du projet de loi qui édicte notamment la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale donnait le choix aux entreprises entre la Loi sur les langues officielles et la Charte de la langue française du Québec.

Les trois partis d’opposition, qui forment une majorité au comité, avaient annoncé dans les derniers mois qu’ils appuieraient un amendement qui ne donnerait pas ce choix aux entreprises, ce qui aurait ainsi forcé la main au gouvernement Trudeau.

«C’est le moment que plusieurs personnes attendent au Québec», a soutenu le porte-parole du Bloc québécois en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, lorsque le moment était finalement venu de présenter l’amendement visant à appliquer la Charte de la langue française aux entreprises de compétence fédérale.

«Ça fait un très large consensus au Québec: les centrales syndicales, les grandes villes, tous les ex-premiers ministres, y compris ceux qui étaient pour le Parti libéral l’ont appuyée, a-t-il poursuivi. (…) Tous les partis d’opposition ont dit qu’ils appuieraient ça.»

Or, la porte-parole néo-démocrate en matière de langues officielles, Niki Ashton, a fait volte-face en votant contre l’amendement bloquiste, en expliquant qu’elle veut «respecter la collaboration et la coopération entre deux niveaux du gouvernement».

Au Bloc, on est plus ou moins content du dénouement et ignore si la formation votera en faveur du projet de loi à la Chambre des communes.

«C’est un pas dans la bonne direction», a déclaré en mêlée de presse M. Beaulieu qui aurait préféré, comme «l’immense majorité des Québécois», que son amendement soit adopté.

Mais cette pression des oppositions a été «d’une grande aide», a toutefois insisté le ministre Roberge, qui a refusé de dire si le gouvernement du Québec a fait preuve de réalisme en se disant qu’il aurait été peu probable que le Parlement fédéral accepte au final de déléguer des pouvoirs à une autre juridiction.

Questionné par les journalistes qui voulaient savoir si les libéraux sentaient la soupe chaude, le libéral Marc Serré a confirmé que «comme gouvernement fédéral, on ne voulait pas donner la juridiction des langues officielles». Il croit également que le projet de loi a désormais «une bien meilleure chance de passer au Sénat».

Même son de cloche au NPD où Niki Ashton voit dans cette «unité historique» entre les deux ordres de gouvernement «un message très fort» voulant qu’il faille «passer le projet de loi aussi rapidement que possible».

Les décisions annoncées dans les dernières semaines par Air Canada et la Compagnie des Chemins de fer nationaux (CN) de s’inscrire volontairement auprès de l’Office québécois de la langue française ont grandement facilité les tractations, ont expliqué des responsables du gouvernement du Québec sous le couvert de l’anonymat.

Cela a eu l’effet d’une «traînée de poudre», a illustré l’un d’eux à La Presse Canadienne, ajoutant qu’il a été informé d’un «effet domino» dans le caucus libéral.

Jusqu’à présent, plus de 90 % des 400 entreprises de compétence fédérale sont maintenant inscrites à l’Office québécois de la langue française.