Tromper son cerveau tout en se berçant d’illusions

MONTRÉAL — À l’image de Chicago, d’Athènes, de Dubai, du Caire, de Shanghai et d’une quarantaine d’autres villes dans le monde, Montréal abrite maintenant son propre Musée de l’illusion, dont les portes ouvrent ce samedi. 

On y retrouve des illusions, mirages et trompe-l’œil, certains classiques et certains inédits, mais dont l’objectif est d’instaurer momentanément le doute dans notre esprit. 

«Une illusion, c’est le point de rencontre entre ce qu’on croit bien connaître et un effet de surprise», explique Ines Nozica, formatrice au Musée de l’illusion de Montréal.

Pendant notre visite du nouveau musée, jeudi, notre guide d’un jour nous présente plusieurs illusions exposées, dont une qui rassemble neuf portraits du célèbre physicien Albert Einstein. 

Mme Nozica nous l’assure: les neuf visages sont identiques; pourtant, ils semblent tous regarder vers un même point convergent, au centre. Autre détail: les visages sont en fait un moulage concave, qui semble devenir convexe quand on se déplace.

«Notre cerveau sait exactement de quoi un visage a l’air, il ne le remet pas en question, explique la formatrice. En ajoutant un élément imprévu, comme la profondeur, notre cerveau est confus et tente de trouver une explication.»

Une question d’interprétation

Comment parvient-on à tromper notre cerveau aussi facilement?

Au dire de Stéphane Molotchnikoff, professeur titulaire au Département de sciences biologiques de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, une illusion d’optique se produit quand il y a discordance entre les informations qui sont captées par nos yeux, donc par notre rétine, et l’interprétation qu’en fait notre cerveau.

«L’œil déconstruit complètement ce qu’on regarde et le cerveau reconstruit cette image, explique-t-il. Et comme la région du cerveau qui procède à cette reconstruction n’est pas isolée des autres, celles-ci peuvent interférer durant le processus, ce qui va donner une perspective différente de ce qu’on a regardé. Il y a donc un conflit entre ce à quoi nous nous attendons et ce à quoi nous sommes confrontés.»

«Quand on explore le monde, on ne voit que des clichés en fait, précise Jocelyn Faubert, professeur titulaire et chercheur à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal. Nos yeux bougent et explorent tout le temps, ce sont des clichés en deux dimensions qu’on voit continuellement sur notre rétine, mais notre cerveau interprète tout ça de façon fluide.»

Les illusions jouent avec la réfraction de la lumière, avec les perspectives ou avec des couleurs, entre autres, pour simuler un mouvement ou tromper notre cerveau, qui essaie simplement d’interpréter ce qu’on lui présente en fonction de ce qu’il connaît dans la réalité, explique M. Faubert.

«C’est ce qui est fascinant: une fois qu’on porte attention et qu’on observe comme il faut, on voit bien qu’il y a quelque chose d’impossible dans l’image en rapport avec la réalité physique», note-t-il. 

Différents cerveaux, différentes perceptions

Ce ne sont pas toutes les illusions qui peuvent être observées par tout le monde, et ce n’est pas tout le monde qui a la capacité de percevoir des illusions, nuancent les scientifiques. 

«Il y a des gens qui perçoivent moins bien certaines illusions que d’autres, reconnaît M. Faubert. Dans le cas des illusions où on peut voir deux images, certaines personnes peuvent passer d’une image à l’autre tandis que d’autres n’arriveront jamais à en voir une deuxième, on ne comprend pas encore pourquoi. On n’a pas d’explication claire pour le moment, outre le fait que ça démontre qu’il y a des différences dans nos constructions respectives de la réalité.»

La perception des illusions peut être utilisée à des fins cliniques. «Quelqu’un qui a reçu un coup à la tête, on dit qu’il voit des étoiles parce qu’il y a eu un choc sur des neurones qui lui font voir quelque chose, même si ce n’est pas présent dans la rétine, illustre M. Molotchnikoff. Quelqu’un qui a une lésion vasculaire peut aussi vivre une activation de connexions [neurologiques] qui créent une illusion.»

L’inverse est aussi vrai, précise le chercheur.

«Ce qui est intéressant pour le scientifique, c’est d’étudier les stratégies que le cerveau utilise pour percevoir, mais aussi les raccourcis qu’il fait pour bien interpréter notre environnement», complète M. Faubert.

Car une fois qu’il a compris qu’il avait été «trompé», notre cerveau corrige l’information pour la percevoir conformément à la réalité, c’est pourquoi il arrive qu’on ne perçoive plus l’illusion, mentionne M. Molotchnikoff. «D’une certaine façon, il remet le compteur à zéro», commente-t-il.

Le cerveau étant «très plastique», il est cependant possible de s’entraîner à détecter plus facilement des illusions.

«On peut l’entraîner à porter attention à certains éléments, indique M. Faubert. Si on indique à quelqu’un de regarder certains détails, il verra peut-être enfin l’illusion, des effets qu’il n’aura pas vus auparavant.»

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.