Goulet et fils: 75 ans bien sonné
AFFAIRES. Elles sont rares les entreprises familiales qui ont réussi à traverser le temps. À une époque où les termes commerces de proximité, pérennité des entreprises, main d’œuvre et relève familiale sont à la mode, les 75 ans du commerce Frs. Goulet et Fils font figure d’exception.
L’entreprise a vu le jour en 1944 à Saint-Gervais et soulignait son 75e anniversaire le 19 octobre dernier. Fondé par François Goulet, le commerce a également permis aux deux fils de ce dernier, Robert et Jean-Claude, de participer à son évolution et d’y gagner leur vie. Le fils de Jean-Claude, Éric, est maintenant aux commandes.
Aujourd’hui âgé de 80 ans, Jean-Claude Goulet est toujours actif chez Goulet et Fils et se présente au travail jusqu’à six jours par semaine. M. Goulet a fait ses premières armes dans le domaine à 14 ans, âge où il confirme avoir vendu son premier tracteur. C’est d’ailleurs l’une des nombreuses anecdotes qu’il a à raconter lorsqu’il illustre son parcours.
«C’est à une personne que je connaissais à Sainte-Hénédine et que j’avais rencontrée. Il m’avait dit que son père serait possiblement intéressé. J’étais allé à vélo. En revenant, je m’étais assis dans la montagne (Saint-Anselme) et je pleurais tellement j’avais peur. Il faisait noir et les routes à l’époque étaient en gravelle. En plus, c’était le vélo de ma sœur et j’avais peur de sa réaction», se souvient-il en riant.
L’évolution du commerce a nécessité beaucoup d’imagination et de débrouillardise, rappelle M. Goulet. L’éventail des produits disponibles sur le marché n’avait rien à voir avec ce qui existe aujourd’hui. «Ce sont les clients qui, souvent, nous demandaient un produit quelconque. Au début, on était niaiseux et innocents, mais on écoutait ce que les gens nous disaient et nous demandaient. Nous avions un prix et si nous étions capables de vendre et de le supporter, on le faisait. Nous avons passé notre vie à collecter. Souvent, des gars venaient le dimanche nous porter 5 $ pour diminuer leur dette au début, c’était courant.»
Il rappelle toutefois que le contexte n’était pas le même. «Le milieu a bien changé. Avant, il n’y avait pas de tracteurs dans les fermes. On échangeait donc des tracteurs pour des animaux. J’ai déjà ramassé un cheval et même un bœuf. Les gens nous payaient comme ils le pouvaient», indique-t-il, ajoutant quelques anecdotes du genre au passage.
«C’était aussi plus simple avant. Dans le temps, quand on préparait un tracteur, on posait deux ou trois lumières et on livrait. Aujourd’hui, les véhicules nécessitent de quatre à cinq jours de préparation», observe-t-il, avouant avoir de la difficulté à suivre toute cette évolution.
Attentif aux propos de son père pendant notre conversation, Éric Goulet fait remarquer que l’évolution technologique de la machinerie agricole s’est faite de façon exponentielle pendant quelques années. «Les gens dans le temps n’avaient pas énormément de formation. Aujourd’hui, on doit aller se former à l’extérieur du pays. Il y a eu un «peak» il y a sept ou huit ans où il a fallu s’adapter, quand les GPS et l’électronique sont sortis. Maintenant, c’est un peu plus stable et on n’a qu’à suivre. Le problème est que tout est en anglais.»
Des personnalités différentes
Nombreuses sont les entreprises qui sont ou surtout, étaient dirigées par des membres d’une même famille. Un choc des idées était inévitable en raison des idées différentes et des caractères en présence. La situation n’a pas été différente chez Goulet et Fils. Jean-Claude Goulet se rappelle avoir eu des discussions animées avec son père et son frère Robert.
À son arrivée aux côtés de son père, Éric Goulet avoue qu’il avait ses craintes, mais que les choses se sont finalement bien déroulées. «Mon père n’a jamais fait d’administration de sa vie, ce qu’il l’intéresse, c’est la vente. J’avais deux possibilités. Aller étudier en aviation au Saguenay ou en administration à Lévis. Mon père m’avait alors invité à travailler avec lui et m’avait promis de bonnes conditions. Il a respecté ce qu’il avait dit et je suis ici depuis 1987. Avant que la roue commence à tourner, ça prend du temps. Là où j’avais plus de forces, c’est dans l’administration et on se complétait bien.»
Le passage des pouvoirs s’est fait de belle façon, rappelle Éric Goulet. «La transition s’est bien faite. Il n’y a jamais eu de long conseil d’administration ici. On réglait nos choses au téléphone ou entre deux clients. Nous avons aussi été bien conseillés pour assurer une transition simple et avantageuse pour les deux. Nous n’avons pas toujours la même philosophie des affaires, mais les choses vont bien.»
Son père Jean-Claude confirme avoir voulu laisser les coudées franches à son fils avec le temps, et encore aujourd’hui. «J’essaie de prendre le moins de décisions possible aujourd’hui. Je fais encore des petites choses. Quand je suis sûr que cela rapporte, je dis ce que je pense par exemple.»
La fin d’une époque ?
Un nom d’entreprise comme Goulet et Fils est possiblement en voie de disparition selon le père et le fils. «Les compagnies ne veulent plus de noms de particuliers. Ce sera dorénavant des noms corporatifs uniquement. Si quelque chose ne va pas, les gens n’auront plus de nom sur lequel se rabattre, par exemple.»
C’est ce qui fait dire à Éric qu’il sera possiblement le dernier Goulet à la barre du commerce. «Mon garçon n’est pas vraiment intéressé, ayant d’autres intérêts et c’est très bien. Aussi, les grandes entreprises d’aujourd’hui, comme John Deere chez nous, ne veulent plus de relèves familiales. Ces grandes entreprises ont une vitesse et ils veulent avancer à leur rythme.»
Comptant près d’une vingtaine d’employés, Goulet et Fils rejoint un bassin tout de même assez large, précise Éric Goulet. «Nos clients sont les gens de Bellechasse, Montmagny, Les Etchemins, mais aussi de Québec et l’Île d’Orléans. La grande nouveauté des vingt dernières années est la clientèle qu’a apportée le volet déneigement. Avant ça l’hiver, on mettait des gens au chômage, car le travail était plus rare. De nos jours, ce n’est plus ça. Il n’y a plus de temps mort.»
Demeurer à Saint-Gervais n’a pas toujours été un acquis, mais était possiblement la meilleure solution. «L’agriculture sera toujours notre fer de lance. Plusieurs bannières nous ont proposé un garage près de l’autoroute 20. Nous sommes au cœur de l’agriculture dans Bellechasse. Oui nous nous serions rapprochés de la ville, mais l’agriculture et nos clients, c’est ici», dit-il en terminant.