Industrie du textile: faire affaire avec le gouvernement, jamais garanti

ÉCONOMIE. Alors que le gouvernement du Québec prêche depuis plusieurs mois l’importance de l’achat local pour contribuer à la relance de l’économie, ce même gouvernement a rapidement délaissé l’industrie québécoise du textile une fois les marchés asiatiques rouverts, ont constaté des entrepreneurs de la région.

C’est à la fin du mois d’octobre que le contrat de fabrication de blouses médicales, obtenu en début de pandémie, s’est terminé pour Confection Katvin de Sainte-Justine. L’entreprise a tout de même repris un rythme de production normal, même supérieur à ce qu’il était avant la pandémie.

Le président Vincent Chabot souligne que 50 000 blouses de protection pour hôpitaux ont été fabriquées à Sainte-Justine, cela sans compter 200 000 masques de protection entre avril et septembre.

M. Chabot ajoute que les commandes pour les 50 000 blouses de protection sont entrées jusqu’en juin, mais déplore qu’à partir de ce moment, les deux paliers de gouvernent ainsi que les hôpitaux aient commencés à bouder les entreprises québécoises du textile.

« Une fois que les produits provenant de l’Asie ont commencé à entrer au pays et que les usines là-bas ont relancé leurs activités, les gouvernements nous ont mis de côté. Ils avaient besoin de nous en avril, mais à partir du mois de juin, aucune nouvelle commande des gouvernements n’est entrée. On ne pouvait pas rivaliser avec la Chine », affirme-t-il en reprenant, à son compte, les paroles de Dany Charest, directeur général de TechniTextile qui relevait ce changement de cap des gouvernements dans un texte publié dans la revue L’Actualité.

« Les gens de TechniTextile ont travaillé très fort afin de réunir les entreprises québécoises du textile, ainsi que les fournisseurs de tissus. Dans les premiers mois, notre efficacité ainsi que nos marges de profit ont beaucoup diminué, car ce n’était pas des produits que nous avions l’habitude de faire. On a engagé de nouvelles ressources pour être capable de livrer la marchandise et il a fallu réaménager notre local pour respecter l’obligation de la distanciation », poursuit-il.

« Est-ce que la qualité est là, je ne sais pas, je ne l’ai pas vu, mais pour le prix, c’est impossible à battre », rappelle M. Chabot qui confirme que les entreprises québécoises du textile comme la sienne sont déçues de la tournure des événements.

Malgré la pandémie et les embûches, Vincent Chabot souligne que 2020 aura été la meilleure année de l’histoire pour Confection Katvin au niveau des commandes clients.

Se réinventer

Après de nombreux revirements de situations, son entreprise a obtenu des contrats de fabrication de jaquettes d’hôpital en sous-traitance, pour le compte de Textiles Patlin de Saint-Paulin, en Mauricie.

«Nous avions  décroché quelques contrats dans le milieu hospitalier. On avait commandé des tissus en bonne quantité, mais un gros joueur de l’industrie est arrivé, a obtenu un gros contrat et a acheté tous les tissus qui étaient disponibles de notre fournisseur, alors on s’est retrouvés avec rien. C’est ce qu’on appelle faire des affaires avec les institutionnels », mentionne-t-il avec un peu d’ironie.

Le fédéral se pointe ?

En soirée mardi (17 novembre), Vincent Chabot nous apprenait que son entreprise avait été sollicitée par des entreprises qui répondent actuellement à un appel d’offres du gouvernement fédéral pour un contrat de fabrication de 50 millions de blousons jetables. « Nous avons beaucoup de travail, mais si on devait avoir des contrats avec eux, ça nous permettrait d’embaucher du personnel supplémentaire », mentionnait-il dans une communication avec La Voix du Sud.

Une année particulière chez Katvin

L’année 2020 n’a pas été de tout repos pour Vincent Chabot et son équipe. Pendant de nombreuses années, Confection Katvin produisait des vêtements de sport pour l’entreprise Louis Garneau de Québec qui, pendant longtemps, a été l’un de ses plus importants clients, une aventure qui s’est mal terminée.

Il y a 13 mois, lorsque le fabricant situé à Saint-Augustin prenait la décision de mettre un terme à sa production en sol canadien pour se tourner vers la sous-traitance, il a fait appel à Confection Katvin pour une part importante de contrats. « D’octobre à mars, nous les avons aidés en finalisant tous les contrats qui devaient être réalisés à Québec. Puis est arrivée l’annonce de l’arrangement avec les créanciers et on n’a plus travaillé avec eux depuis ce temps, vous connaissez la suite, plusieurs mois de travail resteront impayés », mentionne M. Chabot qui souligne que malgré tout, la situation devrait être positive à long terme pour son entreprise.

Il ajoute que si son entreprise a perdu beaucoup d’argent dans cette aventure, elle est moins vulnérable qu’auparavant du fait que la production pour Garneau est répartie entre plusieurs clients différents. «Nous avons une équipe de travail exceptionnelle chez nous, le souci du détail fait de nous la meilleure usine de couture au Québec pour les vêtements sportifs technique de qualité», souligne M. Chabot.

Chez Confection Cliche, la fabrication de jaquettes ou blouses dédiées au domaine de la santé n’a pas été un projet positif pour l’entreprise.

Une expérience peu profitable pour Confection Cliche

Tout comme Confections Katvin, l’entreprise Confection Cliche de Saint-Odilon a répondu à l’appel du gouvernement québécois qui, le printemps dernier, les avait invité à fabriquer des jaquettes d’hôpital pour le réseau de la santé. Malheureusement, le résultat a été loin d’être positif.

« Nous avions une commande pour la fabrication de 30 000 jaquettes de niveau 1. Nous avons acheté le tissu pour les fabriquer, mais comme nous devions reporter le délai de livraison parce que notre fournisseur avait des difficultés d’approvisionnement, ils en ont profité pour annuler la commande », déplore le président Stéphane Cliche qui souligne que son entreprise s’est retrouvée avec 20 000 jaquettes qu’elle écoule, depuis ce temps, dans le privé. « On les vend en bas du prix coûtant pour nous en débarrasser », poursuit M. Cliche, ajoutant qu’en 42 ans, l’entreprise a rarement fait affaire avec le gouvernement.

« Nous remportions des appels d’offres privés pour le gouvernement à l’époque, pour la SQ pour ne nommer qu’eux, et aujourd’hui, les vêtements que nous fabriquions pour les policiers sont fait dans les usines asiatiques », mentionne M. Cliche qui est d’avis que le problème, avec le gouvernement, est la taille de ce dernier.

« Remplir 25 heures de paperasse pour un contrat de 20 000 $ avec le gouvernement, ça ne vaut pas la peine de faire cela selon moi. On préfère poursuivre notre production standard auprès de la clientèle qui nous fait vivre depuis des années. »

Stéphane Cliche souligne que Confection Cliche n’a pas été touchée par le ralentissement qui a frappé l’économie québécoise, au printemps dernier. L’entreprise a fabriqué près de 350 000 masques, aventure qui s’est arrêtée il y a un mois et demi, environ. «Des produits chinois bon marché, il y en a partout dans les épiceries, les dépanneurs et les pharmacies. Quand les produits d’Asie sont entrés de nouveau sur le marché, on savait que c’était le temps d’arrêter.»

Pour le dirigeant, l’achat local doit passer davantage par les individus que par les gouvernements. «C’est certain que ça coûte plus cher de produire au Québec et au Canada. On s’est donné un tissu social, ça coûte de l’argent et c’est correct. Si le gouvernement décidait de mettre au moins un 20 % de tout ce qui est acheté sur une base locale et d’aller à l’importation pour le reste, car c’est moins cher, ce serait correct aussi. Acheter local à tout prix, c’est ridicule, mais ne pas acheter local, c’est ridicule également. »