Du sirop d’érable à saveurs de spiritueux

ACÉRICULTURE. Guillaume Couture de Saint-Henri est propriétaire d’une érablière de près de 10 00 entailles au Nouveau-Brunswick. La situation chancelante causée par la pandémie de la Covid-19 l’a incité à expérimenter une nouvelle façon de rejoindre les clients.

Son idée est simple : produire un sirop ayant des saveurs de spiritueux. « Le sirop emmagasine énormément les odeurs ambiantes, selon les experts. Si quelqu’un fume dans son érablière, ces gens-là vont le déceler. Lorsqu’un baril a servi à entreposer du whisky, du rhum ou autre chose, l’arôme et le goût de la boisson sont toujours dans le baril. En faisant vieillir le sirop dans le baril pendant six mois, le sirop goûtera ce qu’il y avait dans le baril avant parce que le chêne absorbe ce qui s’y trouvait au départ », explique-t-il.

Le producteur s’est inspiré de la fin de la prohibition aux États-Unis pour concevoir son étiquette.

« Ça se fait beaucoup aux États-Unis, car il y a beaucoup de distilleries là-bas. Comme elles ne peuvent utiliser un baril plus d’une fois, ceux-ci sont vendus ailleurs, dont chez nous au Canada. Toute boisson qui est vieillie en fût de chêne peut servir à cela. Le rhum, le vin, le whisky, etc., doivent être dans le baril une dizaine d’années. Quand il est vidé, il peut me servir et le sirop goûtera ce qu’il y avait dans le baril, mais sans les désagréments comme l’alcool lui-même », ajoute-t-il.

Pour sa première cuvée, il a produit trois variétés, soit à saveur de rhum, de whisky et de brandy. Celles-ci portent la marque de December 1933, en référence à la fin de la prohibition aux États-Unis (5 décembre 1933).

Assurer ses arrières

Le producteur acéricole avoue avoir ressenti une certaine insécurité au printemps avec l’arrivée de la pandémie, d’une part, puis l’instabilité des prix du sirop d’érable sur les marchés. C’est ce qui l’a incité à chercher une alternative et développer autre chose avec son sirop, plutôt  que de se fier aux marchés traditionnels. « Je ne veux pas mettre tous mes œufs dans le même panier. Je ne ferai pas d’argent cette année avec mon projet parce que les investissements de départ sont importants, sauf que je suis allé chercher une confiance dans mon idée. J’étais curieux et j’ai été chanceux, car je l’essayais pour la première fois. J’espérais que ça marche et ça a marché. Après quelques essais, nous avons trouvé la bonne méthode pour le pasteuriser et l’embouteiller. »

Guillaume Couture dit avoir remarqué que la pandémie avait possiblement le dos large et que certaines fluctuations des marchés étaient liées à celle-ci. « J’ai compris cette année que les acheteurs commencent à agir en monopole. Ça devient de plus en plus difficile d’avoir un classement et un prix adéquat. C’est un peu pour ça que j’ai choisi de développer mon idée. »

Guillaume Couture est un passionné des produits de l’érable.

Plusieurs indices lui laissent voir qu’il a possiblement flairé une bonne affaire et qu’il y a un potentiel intéressant pour le produit. « J’essayais d’avoir de l’information et tout le monde était prudent. J’ai compris qu’il devait y avoir quelque chose d’intéressant, puisque tout le monde semblait vouloir protéger ses acquis. C’est risqué, mais quand tu réussis, ça vaut la peine. »

Si sa production de sirop en fût est déjà vendue cette année, ayant été écoulée surtout auprès de son entourage, il espère maintenant pouvoir consacrer près de 10 % de sa production à ce projet qui nécessitera toutefois d’autres efforts. « Je vais devoir me mettre aux normes de la régie pour la prochaine année. Tout l’aspect légal, les étiquettes et autres pour pouvoir vendre dans les épiceries, ça demandera du temps et un bon investissement. C’est la prochaine étape. »

Son produit s’inscrit d’ailleurs dans une certaine tendance où la transformation des produits de l’érable prend de plus en plus d’importance. « Il existe déjà du sirop aromatisé, mais avec des essences et je ne voulais pas faire ça. Ce qui m’a convaincu, c’est quand je suis allé voir mon gars de barils. Il en a ouvert un et j’ai senti l’arôme qu’il y avait à l’intérieur, même s’il n’y avait rien dedans. C’est vraiment particulier. Il ne faut pas être pressé. Ça demande du temps. La saison des sucres dure deux mois et ce procédé-là en demande au moins six de plus. C’est un cycle annuel que l’on doit établir. »

Une nouvelle carrière

Si la production acéricole n’était pas le métier principal de Guillaume Couture il y a quelques années, son intérêt pour le domaine ne fait plus aucun doute. «Mon père avait une petite cabane ici à Saint-Henri et j’ai toujours aimé ça. J’avais de plus en plus de difficultés à travailler dans une usine, alors j’avais besoin d’un nouveau défi et ma conjointe m’a supporté là-dedans. Il y avait une demande en main d’œuvre et j’avais suivi mon cours dans le domaine à Saint-Anselme. Je travaille toujours 300 ou 400 heures pendant l’été sur la construction, ce qui me permet de combler ce qui manque, mais je suis à la veille de ne plus avoir de temps pour faire ça. »

Avoir sa propre érablière représentait toutefois un défi de taille, impossible à réaliser au Québec, selon ses dires. « J’ai travaillé cinq ans pour un producteur sur la propriété que je possède aujourd’hui au Nouveau-Brunswick. J’ai essayé d’acheter ici dans la région, mais c’était trop dispendieux. Pour acquérir une érablière aujourd’hui et espérer en vivre, il faut soit que ta famille en ait une ou que tu ais de bons moyens financiers en partant. Comme je savais que c’était moins cher là-bas, c’est ce que j’ai choisi de faire. »

Guillaume Couture avoue qu’il doit s’éloigner plusieurs semaines au printemps en raison de ses obligations acéricoles, ce qu’il trouve très difficile au niveau familial. Il arrive toutefois à composer avec la situation puisque son métier l’oblige à vivre ainsi. La situation fait toutefois contraste avec une autre époque, celle où il a porté les couleurs de l’Océanic de Rimouski dans la Ligue de hockey junior majeure du Québec pendant deux saisons (de 1997 à 1999).

« Je m’ennuyais beaucoup de ma famille et de mes amis à ce moment-là, mais ça a possiblement aussi déclenché quelque chose chez moi puisque j’aime voyager depuis ce temps-là. J’ai travaillé dans l’Ouest canadien et mon travail est maintenant dans les Maritimes. Quand je reviens chez moi, c’est différent. On l’apprécie davantage. »