La cheffe intérimaire de l’APN assure que l’éviction n’a pas été faite «à la légère»
HALIFAX — L’ancienne dirigeante de la plus grande organisation de défense des droits des Premières Nations au Canada, qui s’est retrouvée dans une situation délicate, a vivement critiqué la direction de l’organisation, alors que les chefs ont rejeté ses demandes et voté en faveur d’un processus de remplacement mardi.
RoseAnne Archibald est apparue virtuellement devant des centaines de dirigeants autochtones réunis à Halifax pour l’assemblée générale annuelle de l’Assemblée des Premières Nations, quelques semaines après avoir été destituée par un vote spécial.
Son élection historique en 2021, en tant que première femme à diriger l’organisation, a été marquée par des tumultes, notamment une suspension l’année dernière à la suite de plaintes liées aux ressources humaines et une réintégration lors de l’assemblée générale de l’année dernière.
La tentative de Mme Archibald de se racheter auprès des chefs pour la deuxième fois n’a pas abouti mardi.
Ils ont voté par 143 voix contre 28 en faveur d’une résolution visant à nommer un directeur général des élections qui superviserait l’élection de son remplaçant. Le nouveau chef national exercerait ses fonctions jusqu’en juillet 2027.
Mme Archibald, qui a occupé le poste de cheffe régionale de l’Ontario avant de prendre la tête de l’organisation, a déclaré qu’elle avait été prise pour cible en raison de ses efforts de lutte contre la corruption.
Par le biais d’une vidéo, Mme Archibald a dénoncé le traitement qui lui a été réservé au sein de l’organisation, la qualifiant d’irrespectueuse et d’exemple de «violence latérale».
«Qu’est-ce qui se déclenche dans votre cœur ? C’est la haine, a-t-elle déclaré aux chefs. C’est du ressentiment. C’est basé sur des mensonges, des ragots, des insinuations.»
Mme Archibald a accusé l’organisation d’avoir «déraillé» et a qualifié d’«incomplète» et de «partiale» l’enquête menée par une tierce partie indépendante sur les plaintes déposées contre elle.
Une enquête externe indépendante avait conclu que certains des comportements de Mme Archibald constituaient du harcèlement. Les enquêteurs ont également découvert qu’elle avait enfreint les politiques de l’organisation en exerçant des représailles contre les plaignants et en ne respectant pas la confidentialité de l’enquête.
«Vous n’avez pas lu le rapport», a déclaré Mme Archibald aux chefs.
Après plusieurs minutes de discours, un coprésident de l’assemblée a annoncé qu’en vertu de son règlement, il n’admettrait plus Mme Archibald à son assemblée annuelle.
Cette annonce a été accueillie par des applaudissements dans la salle.
Dans une déclaration publiée avant le rassemblement à Halifax, Mme Archibald a indiqué à ses partisans qu’elle participerait virtuellement à l’événement mardi, mais qu’elle pourrait s’y rendre en personne plus tard dans la semaine. L’événement se déroule jusqu’à jeudi.
Plus tôt dans la journée, Mme Archibald avait demandé en vain aux chefs de rejeter l’ordre du jour de la réunion, et au moins trois chefs ont tenté de faire débattre de sa réintégration. Ces résolutions ont échoué.
Premier discours de la cheffe intérimaire
Joanna Bernard, une cheffe régionale du Nouveau-Brunswick, qui assume temporairement la direction nationale, s’est adressée à l’assemblée pour la première fois depuis l’éviction de Mme Archibald et s’est engagée à rétablir la confiance dans la gouvernance de l’assemblée.
«Nous savons que la décision n’a pas été prise à la légère et qu’elle a été le résultat d’un examen attentif par les dirigeants et les représentants de nos nations», a-t-elle dit. Mme Bernard a ajouté qu’en tant que cheffe par intérim, elle s’était engagée à maintenir la stabilité.
Ce ne sont pas tous les chefs de l’APN qui étaient présents lors du vote de destitution de Mme Archibald lors d’une assemblée extraordinaire, en mode virtuel, le 28 juin. Mais sur les 231 chefs qui ont participé au vote, 71 % ont appuyé son éviction.
Terry Teegee, chef régional de la Colombie-Britannique, a déclaré mardi aux journalistes que même si tous les chefs n’étaient pas présents le 28 juin, ce sont des chefs qui ont pris cette décision, et non les membres du comité exécutif de l’APN, que Mme Archibald a accusés d’avoir orchestré son éviction. «Nous avons suivi les règles (…) et ça a été décidé par les chefs.»
Le fait que Mme Archibald ait été la première femme à occuper le poste de chef national a toutefois refroidi les autres dirigeantes, a admis Joyce Naytowhow McLeod, cheffe de la Première Nation de Montreal Lake, en Saskatchewan. Elle a qualifié de «honteuse» la décision d’évincer Mme Archibald, ajoutant que cela la faisait se sentir «impuissante» dans ses propres fonctions.
«Le message est (…) ‘restez silencieuses, ne vous exprimez pas’. Nous, les femmes cheffes, on entend assez ce genre de discours chez nous.»
Alors que les chefs éliront en décembre la personne qui remplacera de façon permanente RoseAnne Archibald, la cheffe Bernard espère que des «femmes dirigeantes fortes» se présenteront, mais elle a souligné que les chefs des Premières Nations devraient sélectionner un candidat engagé pour l’unité, quel que soit son genre.
Mme Bernard a déclaré aux chefs mardi matin que des travaux étaient en cours pour remédier aux lacunes de l’organisation et «reconstruire le moral du personnel». Elle a souligné les efforts déployés pour renforcer les politiques de dénonciation et de plaintes, le code de conduite et le processus de signalement du harcèlement.
La cheffe intérimaire a promis qu’au final, l’APN voulait offrir un «environnement sûr et favorable, où tous les individus peuvent s’exprimer sans crainte de représailles».
RoseAnne Archibald a soutenu de son côté qu’elle avait été ciblée pour avoir combattu la corruption et exigé un audit financier de l’APN.
Dans son discours mardi, Mme Bernard a exprimé une certaine ouverture à la requête de Mme Archibald pour un audit, affirmant que les états financiers de l’organisation sont vérifiés chaque année, mais elle a rejeté les allégations de l’ancienne cheffe concernant des dépenses problématiques.
Si un comité chargé d’examiner la question estime qu’un audit est nécessaire, «nous suivrons ses directives», a déclaré Mme Bernard.
Avant le début de l’assemblée générale, l’organisation a d’ailleurs annoncé qu’elle partageait les états financiers indépendants et vérifiés des dix dernières années qui, selon l’APN, confirment «l’absence de toute préoccupation financière».
Une grande distraction
Le chef Teegee était quant à lui déçu que toute l’attention portée au leadership de Mme Archibald ait ralenti les progrès dans des dossiers clés, notamment l’accès à de l’eau potable, le logement, la crise de la drogue et le changement climatique. Il ne va pas jusqu’à dire que des dossiers ont complètement déraillé, mais il reconnaît que toute cette agitation a ralenti le travail de l’APN.
Une cheffe de la Nouvelle-Écosse a d’ailleurs exhorté l’assemblée générale à passer à l’action pour aborder des questions plus importantes. «Alors que nous débattons de l’ordre du jour, nous avons des gens de notre communauté qui vivent dans la pauvreté, qui sont assassinés, un dépotoir de Winnipeg qui n’est pas fouillé», a déclaré Annie Bernard-Daisley, coprésidente de l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse.
«Plus nous tardons, moins nous agirons pour notre propre peuple. Laissons notre ego au vestiaire et faisons notre travail.»
La cheffe intérimaire Bernard a affirmé aux chefs, dans son discours d’ouverture mardi matin, que l’éviction de Mme Archibald mettait l’organisation en mode transition, mais elle a rappelé que l’APN avait surmonté de nombreux défis auparavant.
Les chefs des Premières Nations se réunissent jusqu’à jeudi pour discuter notamment de services policiers autochtones, d’autonomie gouvernementale des communautés métisses et d’approvisionnement sécuritaire en eau potable. L’élection de décembre et la nomination d’un directeur général des élections sont aussi à l’ordre du jour, ainsi que des discours de ministres fédéraux.
— Avec des informations de Stephanie Taylor à Ottawa.