Des nouvelles mesures qui inquiètent

SAINTE-JUSTINE. De récentes modifications à la loi fédérale sur l’immigration visant à restreindre l’embauche de travailleurs étrangers inquiètent certains dirigeants d’entreprises de la région qui s’étaient tournés vers cette option pour contrer la pénurie de main-d’œuvre spécialisée à laquelle ils sont confrontés depuis de nombreuses années.

En vigueur depuis le 30 avril, ces nouvelles mesures imposées par le ministre fédéral Pierre Poilièvre réduisent, entre autres, la durée des permis de travail qui passent de quatre ans à un an ou deux ans selon le salaire qui sera versé au futur employé, en plus de plafonner à 10 % le ratio de main-d’œuvre étrangère présente au sein de chaque entreprise ou usine. Les critères permettant l’obtention du statut de résident permanent ont aussi été resserrés, surtout en ce qui a trait à la connaissance de base du français. Cette dernière mesure relève toutefois du provincial.

Le président-directeur général de Rotobec, Robert Bouchard, rappelle que l’embauche de travailleurs immigrants, qui s’effectuait notamment par le biais du programme fédéral des travailleurs temporaires, était l’avenue de dernier recours utilisée par son entreprise dont la progression a longtemps été ralentie par un manque de personnel spécialisé, surtout les machinistes et soudeurs.

Si Rotobec emploie actuellement une trentaine de travailleurs étrangers, principalement des Costaricains, la nouvelle norme du 10 % risque de limiter sérieusement le développement de l’entreprise qui ne pourra plus embaucher plus quatre ou cinq autres nouveaux employés immigrants dans un proche avenir, à moins d’assouplissements de la loi. «Notre croissance s’effectue à un rythme de 10 à 15 % par année. Nous sommes bien d’accord avec certaines des mesures préconisées par Ottawa, mais celles-ci sont loin d’être adaptées aux entreprises en région», précise-t-il.

M. Bouchard ajoute que le but de Rotobec est de combler ses besoins en main-d’œuvre spécialisée tout en amenant à Sainte-Justine des employés qui seront dans l’entreprise longtemps et s’établiront en permanence avec leurs familles respectives. «Nous investissons beaucoup dans l’accueil et l’intégration de ces nouveaux employés dans le milieu, ainsi que dans les efforts de francisation qui leur permettront de demeurer ici à long terme», poursuit l’homme d’affaires dont le son de cloche trouve écho chez Plastiques Moore de Saint-Damien qui a récemment embauché quatre opérateurs venant des Philippines.

«Nous embauchons 40 travailleurs et avec nos quatre Philippins, nous avons déjà atteint notre quota de 10 %. Nos intentions ne sont pas d’avoir des travailleurs étrangers temporaires, mais bien permanents. En continuant à leur faire suivre des cours de français, nous espérons qu’ils s’établiront ici en permanence et qu’ils feront venir leur famille à Saint-Damien. Comme chacun a deux ou trois enfants, ce n’est pas à négliger», indique la PDG Marie-Claude Guillemette.

Cette dernière, tout comme Robert Bouchard, dit ne pas être contre l’objectif du fédéral qui souhaite favoriser l’embauche de Québécois d’abord. «Encore faut-il qu’ils soient formés», ajoute-t-elle en mentionnant que le Centre des plastiques de Saint-Damien peine à recruter des élèves venant de la région ou souhaitant travailler de nuit et de fin de semaine. «C’est un des principaux facteurs qui nuisent à l’embauche de personnel chez nous.»

Robert Bouchard rappelle, de son côté, que seulement neuf nouvelles inscriptions au cours de machiniste auraient été enregistrées au CIMIC de Saint-Georges «alors que nous en aurions besoin d’au moins 25.» En sachant cela et en ajoutant la nouvelle mesure fédérale, Robert Bouchard croit qu’une solution pour son entreprise, qui est en pleine croissance, serait de poursuivre son développement ailleurs qu’à Sainte-Justine, notamment au New Hampshire où Rotobec possède une usine.

Réactions politiques

Invité à commenter ces nouvelles mesures dont l’ampleur surprennent et déçoivent autant les employeurs que le gouvernement québécois, le député-ministre Steven Blaney mentionne que l’objectif premier de son gouvernement est de favoriser l’embauche de Québécois et Canadiens sans emploi avant de se tourner vers l’immigration. «Dans la perspective où il y aura plus de 140 000 emplois à pourvoir dans les prochaines années, dont 37 000 en Chaudière-Appalaches, il va falloir aller plus loin que l’immigration. Je souhaite m’associer à tous les intervenants du milieu afin de trouver des solutions à long terme», indique-t-il.

M. Blaney précise que les modifications au programme des travailleurs immigrants temporaires, qui étaient en préparation depuis un an, avaient pour objectif premier de limiter certains abus du passé où des employeurs s’en servaient pour embaucher des employés à faible salaire. Il ajoute que son gouvernement continuera à appuyer les efforts de Rotobec et d’autres entreprises dans le recrutement de main-d’œuvre étrangère, mais dans le cadre d’un programme régulier d’immigration.

Une nouvelle mesure fédérale intitulée «Entrée Express», qui vise à accélérer le processus d’entrée des travailleurs immigrants pour les entreprises à la recherche d’meployés immigrants permanents, a été implantée dans le dernier budget Oliver et seul le Québec n’y aurait pas encore adhéré, souligne-t-on au bureau de M. Blaney.

Des discussions à ce sujet sont toujours en cours entre les fonctionnaires fédéraux et provinciaux, ce que confirme le bureau de la députée-ministre Dominique Vien. Cette dernière, tout comme sa collègue Kathleen Veil, a qualifié cette situation de préoccupante, ajoutant que cette décision du fédéral ne tenait pas compte de la réalité et surtout des besoins de main-d’œuvre des entreprises d’ici. «C’est certain que de telles mesures, si elles sont maintenues, vont fragiliser nos entreprises qui doivent se tourner vers l’immigration pour assurer leur développement. C’est d’autant plus décevant que Rotobec et d’autres entreprises déploient beaucoup d’efforts et d’argent pour bien accueillir et former ces travailleurs, pour les franciser et faciliter leur intégration dans la communauté», précise-t-elle.

Si elle se dit d’accord avec les fondements de la réforme fédérale qui vise à favoriser l’embauche de travailleurs d’ici, Mme Vien croit que celle-ci est plus difficilement applicable dans une région comme Chaudière-Appalaches où le taux de chômage avoisine les quatre ou cinq pour cent et où la main-d’œuvre spécialisée est rare. Elle entend par ailleurs déployer les efforts nécessaires pour permettre à Rotobec de poursuivre son développement à Sainte-Justine, au lieu des États-Unis.