Frampton Brasse dans une impasse

AGROTOURISME. L’entreprise Frampton Brasse doit mettre ses projets de développement en veilleuse depuis une décision défavorable de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) rendue en février dernier.

Les propriétaires de l’entreprise, Paul Poulin et Justine Boucher, souhaitent agrandir leurs installations de production et d’accueil, mettre sur pied un Économusée, mettre à niveau les installations sanitaires et aménager un stationnement plus grand, le tout pour des investissements avoisinant les 850 000 $.

Cette salle, aménagée pour respecter les règles entourant la pandémie n’a pas encore reçu un seul visiteur.

Une autorisation de la CPTAQ est toutefois nécessaire, même si l’entreprise a obtenu tous les appuis nécessaires localement, incluant ceux de la municipalité, de la MRC et de l’UPA Chaudière-Appalaches. Le 29 janvier 2020, la Commission émettait son orientation préliminaire au présent dossier. Elle indiquait alors que cette demande devait être refusée. Après avoir revu partiellement son projet, Frampton Brasse l’a redéposé devant la Commission qui a finalement signifié un refus formel le 19 février dernier, une décision que déplore M. Poulin qui espère maintenant être entendu devant le Tribunal administratif du Québec.

«On souhaite agrandir depuis deux ans. Les gens nous critiquent beaucoup, car on n’a pas suffisamment de salles de  bain pour recevoir autant de gens que ce que l’on reçoit depuis quelques années. On aimerait bien, mais on ne peut pas agrandir ».

Le maire de Frampton, Jacques Soucy, avoue lui aussi être surpris de la décision. « C’est décevant, car les propriétaires ont fait leurs devoirs. Il y a sûrement une révision à faire des règles actuelles qui ne semblent pas uniformes à travers la province, ni même au sein de la commission elle-même. »

Sur le site, on retrouve une salle de dégustation, une boutique et une terrasse, ainsi que la salle de brassage, l’espace de vieillissement et d’embouteillage et l’entrepôt des grains. L’espace de dégustation est ouvert à l’année, compte habituellement 16 employés, et a accueilli environ 30 000 visiteurs en 2018 et 40 000 visiteurs en 2019. L’agrandissement des installations de production permettrait de terminer la nouvelle ligne d’embouteillage et d’étiquetage.

Paul Poulin et Justine Boucher apprécient de se retrouver dans un milieu agricole, tout comme leur clientèle.

Producteurs agricoles malgré tout

M. Poulin et sa conjointe contestent cette situation, surtout parce qu’ils se considèrent producteurs agricoles et disent opérer une ferme brassicole, même si l’orge utilisée pour la fabrication des produits est cultivée sur des terres louées dans le voisinage et que les travaux sont donnés à forfait. « Notre terre n’est pas tellement favorable au développement de grandes cultures. Nous avons semé de l’orge au départ, mais nous n’avions pas un bon rendement. C’était une terre abandonnée lorsque nous l’avons acquis. Personne ne la voulait, parce que démographiquement, ce n’est pas évident. Faire de l’orge ici n’est pas viable, sauf qu’en la transformant, ça devient viable », confient M. Poulin et Mme Boucher.

C’est cet argument qui est toutefois rejeté par la CPTAQ qui estime dans son jugement que « les produits nécessaires à la fabrication de la bière ne sont plus cultivés sur la même propriété où elles sont transformées. La Commission n’est pas convaincue que les propriétaires de la terre agricole concernée peuvent se qualifier comme producteurs agricoles. Cette terre ne compte qu’environ une dizaine d’hectares en culture, ce qui est insuffisant pour leur permettre de gagner leur vie et subvenir aux besoins de leur famille par la seule exploitation de celle-ci. »

M. Poulin ajoute que les terres de l’entreprise servent maintenant à nourrir un troupeau de vaches Highland qui lui, contribue à l’identité de la ferme brassicole. « Nous avons décidé de faire pousser notre foin pour nourrir nos vaches et confier la pousse de notre orge sur ses terres qui sont tout près et qui ont de meilleurs rendements. Ce n’est pas accepté, car ça ne compte pas comme étant notre production. Les locations de terres ne comptent pas. La propriété est en pente, il y a du roc et autres. Ça convient avec nos vaches Highland, ça cadre bien dans le décor et les gens aiment bien l’ambiance que ça donne ».

Dans son argumentation pour expliquer son refus, la Commission ajoute que l’usage recherché n’a pas sa place dans un tel milieu et l’exploitation d’une entreprise industrielle ou commerciale comme celle projetée risque de compliquer la pratique et le développement des activités agricoles actuelles et futures de ce milieu.

« La commission nous suggère quasiment de s’installer dans un parc industriel, sauf que ce ne serait plus une ferme à ce moment-là. On manque d’espace pour recevoir la clientèle. Il y a de l’attente pour servir les gens et de l’attente aux salles de bain. On doit mettre des conteneurs pour avoir un peu de rangement, on n’a pas le choix. Les gens qui ne sont pas capables d’avoir la permission de se construire un petit garage se mettent des conteneurs, sur leur propriété ou sur leur terre. Ce n’est pas très beau, mais c’est légal », ajoute M. Poulin, visiblement à court de solutions.

« Ça a l’air d’être compliqué de faire de l’agrotourisme au Québec, parce que les règles sont difficiles à appliquer. Nous avons déjà une identité de terroir et c’est ce que l’on veut bonifier. Des choses semblables se font ailleurs et des décisions ont été rendues, mais chez nous, ça ne fonctionne pas ».

La Commission répond qu’elle n’a rien contre l’agrotourisme et le démarrage de nouvelles entreprises qui viennent contribuer au développement économique des municipalités et régions rurales. Elle se questionne cependant sur le fait que de telles entreprises doivent absolument se situer en zone agricole, alors qu’elles peuvent très bien s’installer à l’intérieur même de la zone non agricole de la municipalité concernée. « Il n’est pas rare de rencontrer des situations similaires à celle faisant l’objet de la présente demande. Toutefois, la Loi est une loi de zonage d’intérêt collectif où le territoire a préséance sur les aspirations individuelles », cite-t-on dans la décision.

Un avenir incertain

Frampton Brasse a elle aussi subi les contrecoups de la pandémie au cours des derniers mois. « Depuis le 1er octobre que nous sommes fermés. C’est dur de développer dans des conditions comme celles-là. L’agrotourisme, c’est une nouvelle mode, de nouveaux marchés. On pourrait faire quatre fois la production que l’on fait à l’heure actuelle. »

À l’affût des opportunités, Frampton Brasse agit occasionnellement comme brasseur pour d’autres microbrasseries, dont la Contrebande de Saint-Anselme. « Nous avons quelques clients potentiels à ce niveau. Nous avons l’expertise. Nous sommes bien équipés pour faire la base et avons des gens diplômés pour le faire. Ensuite, ce sont nos clients qui s’occupent de leur fermentation. C’est leur recette après tout. »

Cette décision de la CPTAQ affecte inévitablement les possibilités de développement de Frampton Brasse sur son site actuel. Si sa localisation répond bien à son identité de ferme brassicole, M. Poulin estime que le succès de son entreprise passe inévitablement par un agrandissement et des améliorations aux installations actuelles.

Il avoue avoir songé à déménager ses installations ailleurs. L’annonce de la vente de l’église de Saint-Luc a notamment retenu son attention. « J’ai vu l’annonce et j’ai décidé de m’informer. Je ne suis pas allé, parce que ça pourrait me donner des idées. Si on cherchait à sortir d’ici, on trouverait sûrement des intéressés ».

Il attribue son succès aussi au fait que la région de Frampton a beaucoup à offrir et au succès grandissant de l’agrotourisme. « Ici, je suis en bon terme avec tout le monde et on fait toujours ce qu’il faut faire. Le succès de notre entreprise vient aussi de ce qu’il y a autour, le Miller Zoo et les autres attraits de la région. Nous sommes assez bien implantés ici et quitter amènerait peut-être une autre réalité. Aussi, gérer deux sites en même temps, ça peut être compliqué. »

Le maire Soucy constate lui aussi que l’entreprise est un fleuron pour sa localité. « Ce serait malheureux de les perdre. On a travaillé très fort pour les supporter dans leur projet. Une ferme brassicole, ça ne va pas dans un parc industriel. Espérons qu’il y a une solution à l’horizon. »