Jaouad Bari: un musulman dans Bellechasse

SOCIÉTÉ. Jaouad Bari est âgé de 36 ans et travaille au sein de l’entreprise Exceldor dans Bellechasse depuis quelques mois. Résident de Saint-Anselme et marocain d’origine, il est aussi musulman.

Jaouad connaissait trois des victimes de la fusillade de dimanche à Québec. En plus d’Aboubaker Thabti qu’il côtoyait occasionnellement puisque les deux hommes travaillaient au même endroit, il avait aussi eu le plaisir de fraterniser dans le passé avec Khaled Belkacemi, ce professeur en génie alimentaire de l’Université Laval et avec Azzedine Soufiane, propriétaire de l’Épicerie-Boucherie Assalam à Sainte-Foy.

Jaouad a décidé de quitter son pays et a choisi le Québec comme terre d’accueil souhaitant explorer de nouvelles possibilités pour sa famille. Détenteur d’une maîtrise en logistique et qualité, il est établi dans Bellechasse depuis seulement huit mois. Son épouse et ses deux enfants, un jeune garçon de 7 ans et une fillette de deux ans et demi, l’ont rejoint il y a moins d’un an.

Il n’a appris la nouvelle de la fusillade que lundi matin. «J’ai reçu des appels chez moi et c’est là que j’ai appris ce qui s’est passé. Ma famille est un peu partout. Mon frère est en France et ma petite sœur en Chine. Ça a été pas mal bouleversant, surtout d’apprendre que cette fois-ci, c’était des musulmans qui étaient les victimes.»

Il avoue avoir du mal à comprendre les événements. «La situation est inexplicable dans ma tête en ce moment. Disons que c’est venu secouer le confort que je commence à peine à ressentir. Je suis un peu seul ici. Ma femme est musulmane, je vais au travail et laisse mes enfants à la maison, ce genre de choses. C’est vraiment la dernière chose à laquelle je m’attendais ici au Canada.»

À la fois victime et coupable?

Comme il n’y a pas de mosquée à proximité, sa pratique est individuelle. «On pratique dans notre propre foyer. Nous essayons de respecter le plus possible les traditions et les règles sauf que ce n’est pas toujours possible en raison du travail. On a un devoir de respecter notre gagne-pain. Je fais ma prière du soir en arrivant à la maison», précise-t-il ajoutant se rendre à Lévis occasionnellement. «C’est à la fois pour la dimension spirituelle, mais aussi comme une sortie.»

La grande majorité des gens de confession musulmane qui sont venus au Québec avaient déjà une bonne vie auparavant selon lui en raison de leur éducation et du métier qu’ils pratiquent soutient M. Bari. «Ils ont simplement choisi de changer le cadre de leur vie pour donner une chance à leur entourage. Ils ont accepté que leur intégration à eux ne soit pas plus fluide que celle des enfants. Ils sont doublement en peine de ce qui s’est passé étant dans un pays d’accueil et se sentant possiblement à la fois victime et coupable de la situation.»

Ce qui fait peur aux personnes de confession musulmane, c’est d’être vu occasionnellement comme une menace par certaines personnes. «Des gens ont eu le réflexe de penser qu’on l’avait mérité ce qui s’est passé», se désole M. Bari.

Un contexte difficile

Est-ce difficile d’être musulman dans Bellechasse? Après une petite hésitation, Jaouad répond finalement que oui. «Au début, je ne l’ai pas senti, car quand je suis arrivé, j’étais tout seul. Quand les gens me voient, certains remarquent une différence par rapport à mon teint. Lorsque ma femme est arrivée, ce fut autre chose, car elle porte le voile. Il arrive que l’on rencontre des gens très accueillants et tolérants par rapport à notre différence. D’autres sont même curieux et nous avons noué des liens avec certains par rapport à cela. Plusieurs sont toutefois indifférents tout simplement, mais certains portent un regard sur vous qui peut être déstabilisant, car on nous fait sentir notre différence. Il y a heureusement plusieurs personnes qui sont agréables.»

Des gens jugent sur l’apparence se désole-t-il. «Cela est possiblement dû à l’ignorance, à une peur de l’inconnu peut-être. On aimerait qu’à travers le temps, le jugement se porte sur le comportement et non l’être. Les relations entre les personnes ici ne sont pas comme au Maroc. Nos enfants auront possiblement moins de difficultés débutant ce processus en bas âge.»

Il est de ceux qui croient que l’événement contribuera peut-être, à long terme, à améliorer les perceptions des gens par rapport aux communautés autres que québécoises. «Il est tragique que ça se soit passé comme ça. La jeune génération grandira espérons-le avec des convictions de tolérance, d’ouverture, d’acceptation et qu’elle se rapproche des autres. La diversité fait la richesse», laisse-t-il entendre en conclusion.