Steve Bussières profite de son entreprise libérée

AFFAIRES. Steve Bussières est une denrée rare chez les entrepreneurs. Celle qui accorde carte blanche à ses employés pour diriger son entreprise, même si elle porte son nom.

Président, mais surtout propriétaire chez Produits Métalliques Bussières Inc. (PMB) à Saint-Henri, il a momentanément quitté son entreprise pour une période sabbatique de huit mois en 2020. Son objectif était simple, un dépaysement de quelques mois. L’arrivée de la pandémie a toutefois modifié les plans d’origine. « Nous avions pris la décision avant la pandémie. Notre plan au départ était d’aller nous établir au Costa Rica pour un an, sauf qu’avec la fermeture des frontières, il n’était pas possible de voyager. Nous avons plutôt décidé de demeurer Canada et de partir en VR. »

Parti en septembre 2020 et revenu en mai 2021, toute la famille a pu prendre part au périple. Sa conjointe étant enseignante en 5e et 6e année, il a pu partir avec ses deux enfants qui avaient justement atteint ces niveaux, sans affecter leur cheminement scolaire. « Les avant-midis étaient réservés à l’école et on pouvait visiter un peu où nous étions en après-midi. Elle connaissait donc déjà les programmes à suivre. »

C’est finalement l’Ouest canadien qui allait devenir l’itinéraire de la famille Bussières qui allait toutefois devoir jongler avec la fermeture des frontières. « La température devenait fraîche. Nous avions prévu passer la période des fêtes dans le coin de Vancouver, où le climat est plus tempéré, tout en ayant espoir que les frontières américaines ouvrent pour se diriger vers le sud, sauf que les mois avançaient et les cas étaient en hausse en Colombie-Britannique. Il était impossible de se déplacer inter-régions. Nous avions heureusement un ami à Calgary (Alberta) où nous avons pu demeurer. »

Après quelques semaines à devoir composer avec des nuits plutôt froides, il fallait maintenant plancher sur d’autres alternatives, explique Steve Bussières. « Les nuits à -18, ce n’est pas l’idéal en VR. On ne pouvait pas continuer comme ça. Comme les frontières du Costa Rica étaient ouvertes, nous avons pu prendre l’avion et nous rendre là-bas au début de décembre 2020. Nous y sommes demeurés trois mois, soit le maximum permis. »

Par la suite, la petite famille a pu se rendre en Floride, les voyages étant permis. « Nous avons pu aller visiter mon père qui y passe l’hiver et de là, nous avons travaillé fort pour faire traverser notre VR de Calgary vers l’état du Montana pour continuer notre périple aux États-Unis. »

Cette démarche a toutefois demandé un peu d’imagination pour utiliser les irrégularités dans les règles en vigueur à ce moment-là. « Certaines compagnies de transport offraient le service pour les Snowbirds de transporter leur véhicule. La loi permettait de prendre l’avion, mais pas de traverser par les voies terrestres. C’était comme ça.  Après avoir cherché dans l’ouest et voir pris un avion pour le Montana, sauf que le douanier avait décidé que ça ne passait pas. »

Le casse-tête pour avoir accès au VR et le faire traverser aux États-Unis allait finalement trouver réponse chez une camionneuse, au Québec. « Elle était sûre de son affaire pour le traverser, mais ça s’est fait par Montréal où les douaniers semblaient plus ouverts. La camionneuse a finalement ramené notre VR que nous avons finalement cueilli à Plattsburgh. Si ça ne fonctionnait pas, on mettait un terme à notre année sabbatique. Nous avons pu passer deux mois de plus aux États-Unis. »

La famille s’est finalement dirigée vers le sud, pour profiter de la chaleur et s’est finalement rendue au Texas, avant de revenir au Québec. Steve Bussières confie que les émotions étaient fortes par moment, les règles sanitaires en vigueur exigeant une certaine logistique. « Quand nous sommes partis, tout était fermé au Québec, mais pas vers l’ouest. Heureusement, les restaurants ont toujours été ouverts, malgré les mesures, et les activités touristiques également. Quand les fermetures ont atteint l’ouest, nous sommes partis au Costa Rica. Nous avons toujours réussi à éviter les mesures extrêmes. Nous avons été parmi les premiers à se faire vacciner aux États-Unis, en mars 2021 et deux doses à trois semaines d’intervalle, puisque nous étions là à ce moment-là. »

Entreprise libérée

Cette opportunité de voyage familial, Steve Bussières la doit au fait qu’il avait choisi préalablement de délaisser ses fonctions de dirigeant principal de son entreprise. Il dit avoir débuté la réflexion d’une année sabbatique en janvier 2017. « J’avais choisi de lâcher-prise sur le modèle traditionnel et hiérarchique où un patron s’entoure de personnes, prend des décisions et déploie son plan stratégique. Nous avions changé les façons de faire en incitant les gens à prendre des décisions et en étant basés sur la confiance. Certains employés vont lentement prendre davantage de leadership et deviendront davantage des coachs ou des conseillers au service des équipes pour qu’elles prennent des décisions. Cela a changé mon rôle et je leur laissais davantage d’espace. »

Tout ce cheminement a permis à Steve Bussières de songer à une pause. Une idée pas si simple alors qu’un entrepreneur se définit souvent par son entreprise et dans ce cas-ci, elle porte son nom. « L’idée m’est venue de quitter l’entreprise pour casser le cordon qui existe généralement et sécuriser l’équipe pour qu’ils gagnent en confiance et pas seulement l’entendre de ma bouche. Quand le patron est là, ils cherchent constamment la validation, alors qu’il fallait qu’ils franchissent cette étape, autant pour eux que pour moi. »

L’itinéraire n’était pas celui qu’il avait choisi au départ. « Mon souhait ou mon rêve était le Costa Rica à temps plein, sauf que la pandémie a bousculé tout ça. Il fallait rester au Canada et l’Ouest canadien était une belle option. J’aurais aimé qu’on puisse traverser la frontière une fois là-bas pour pouvoir voir davantage l’Ouest américain, que je connais un peu, mais comme nous avons traversé dans l’est, nous nous sommes concentrés sur la côte est. Nous avons eu tout de même de belles surprises, car nous n’avions pas d’itinéraire précis. »

Plusieurs personnes ont pu suivre les aventures de la famille Bussières pendant leur voyage, l’ensemble de la famille ayant alimenté une chaine YouTube, « La Famille des Rieurs ». La chaîne est remplie d’anecdotes, d’histoires et d’images de leur périple, particulièrement dans les états de La Louisiane, la Virginie, le Tennessee, le Mississippi et le Texas.

Le retour

Il avoue avoir été légèrement dépaysé à son retour au sein de l’entreprise, celle-ci ayant connu une croissance intéressante pendant son absence. « En huit mois, ils ont connu une hausse record de 50 % de la production, des ventes et une profitabilité record et le niveau d’activité était plus élevé qu’à mon départ. J’étais agréablement surpris. Ils en avaient profité aussi pour acheter et aménager un nouveau centre d’usinage. Ils avaient carte blanche pour le faire. J’avais signé des procurations pour qu’ils puissent emprunter, au besoin. »

Ce succès, il l’attribue entièrement à ses employés qui ont su mener à bien les destinées de PMB, malgré l’absence du patron. « Ils étaient fiers de me montrer les résultats. Je ne voulais pas faire de gestion à distance et le seul lien que j’avais gardé était notre petit journal mensuel que nous avons dans l’entreprise. Avec ça, les nouvelles de l’entreprise, je les avais. J’ai eu quelques discussions avec mon comptable, mais à la base, j’étais en sabbatique. »

Petite anecdote, à son retour, il a eu la surprise de voir que son bureau avait disparu et que l’espace était occupé par des équipements. « Mon bureau était dans l’usine, près des gens. On m’avait suggéré de le déplacer pour améliorer le flot de production. Mes employés avaient carte blanche et effectivement, à mon retour, mon espace avait été dégagé. On m’avait gardé un bureau dans un endroit plus ensoleillé. »

Revenir au sein d’une entreprise après huit mois pourrait rendre plusieurs personnes inconfortables, convient Steve Bussières qui avoue avoir ressenti un certain passage à vide, surtout qu’il se demandait qu’elle contribution il pouvait maintenant apporter à l’entreprise. « Je me suis demandé ce que je pouvais faire, qu’est-ce que je voulais faire et même les employés se demandaient quel rôle je pourrai jouer. Mon souhait n’était pas de m’impliquer comme avant. Je voulais demeurer un conseiller, un coach et non être dans les opérations. Je m’occupe finalement du projet d’agrandissement que nous avons à l’heure actuelle pour répondre à nos besoins d’expansion. C’est ce que l’entreprise a de besoin et ça va m’occuper pour au moins deux ans. »

Il estime avoir tout de même être allé chercher certaines choses pendant son voyage, surtout qu’il ne partait pas avec des intentions précises. « Tu sais qu’un périple comme ça va changer quelque chose en toi, mais tu ne sais pas quoi. Tu vas le découvrir et pas immédiatement. Cette conclusion-là s’écrit encore. J’ai eu la chance d’explorer ce que pouvait être une retraite, soit arrêter de travailler et penser à moi uniquement. Ça finit par manquer de sens. On a besoin de contribuer, de bâtir, aider ou autre chose pour l’entreprise. »

Maintenant âgé de 46 ans, Steve Bussières ne songe pas à la retraite, même si sa période sabbatique lui a permis de constater que son entreprise peut être dirigée par d’autres personnes. « La retraite doit être une suite, une continuité où tu choisis et tu contribues. L’individu aura généralement encore le besoin de bâtir quelque chose, d’aider à sa façon à travers l’entreprise. Ça nourrit. Penser juste à soi fait un temps et finit par ne pas avoir de sens. C’était le temps de revenir. Les enfants avaient besoin de leurs amis et nous aussi. »

Son rôle a maintenant changé au sein de l’entreprise. Il ne jouera plus celui du grand patron qui reprend tout sous son aile. Il a trouvé une façon de contribuer autrement. « J’ai un projet d’agrandir mon chalet, j’aide beaucoup d’autres entrepreneurs et ici dans l’entreprise. Je veux m’impliquer dans la communauté entrepreneuriale et j’adore faire ça. Contribuer à la fois dans l’entreprise et à l’extérieur. »

Voudra-t-il revivre une expérience du genre ? Possiblement, sauf que ses absences du bureau pourraient être sur de plus courtes périodes. « Ma conclusion serait peut-être de pouvoir partir dans des blocs de deux ou trois mois. Partir huit mois ou un an, je l’ai fait une fois. Je le conseille à tout le monde toutefois. Il y a plusieurs façons de voyager. La mienne en était une, tandis que d’autres ont d’autres façons de voir. Une chose est sûre, il faut faire des choix dans la vie et tout est possible. À chaque problème, il y a une solution. »