Gaza: les dirigeants israéliens ne s’entendent pas

JÉRUSALEM — Des dissensions apparaissent parmi les hauts responsables israéliens au sujet de la gestion de la guerre contre le Hamas à Gaza. Un membre du cabinet de guerre israélien a mis en doute la stratégie de libération des otages, tandis que le premier ministre a rejeté les appels des États-Unis à réduire l’offensive.

Seul un accord de cessez-le-feu peut permettre la libération des dizaines d’otages encore détenus par les militants islamiques à Gaza, et les affirmations selon lesquelles ils pourraient être libérés par d’autres moyens ne font que répandre des «illusions», a déclaré l’ancien chef de l’armée Gadi Eisenkot, l’un des quatre membres du cabinet de guerre, lors de ses premières déclarations publiques sur le déroulement de la guerre.

Les commentaires de M. Eisenkot, jeudi dernier, étaient le plus récent signe de désaccord entre les dirigeants politiques et militaires sur la direction de l’offensive israélienne contre le Hamas, qui en est maintenant à son quatrième mois.

Déclenchée par un raid sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre, qui a fait environ 1 200 morts, pour la plupart des civils, et 250 otages, l’offensive israélienne a pulvérisé une grande partie de la bande de Gaza, qui compte quelque 2,3 millions d’habitants. Israël a déclaré que plus de 130 otages se trouvaient encore dans la bande de Gaza, mais tous ne seraient pas en vie. 

L’offensive israélienne, l’une des campagnes militaires les plus meurtrières et les plus destructrices de l’histoire récente, a tué près de 25 000 Palestiniens, selon les autorités sanitaires de Gaza, et déraciné plus de 80 % de la population du territoire. 

Le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas, a annoncé vendredi que 142 personnes avaient été tuées et 278 blessées la veille, ce qui porte le nombre total de morts depuis le 7 octobre à 24 762 et le nombre total de blessés à 62 108.

Israël a également interrompu l’approvisionnement de la bande de Gaza assiégée, à l’exception d’un filet de nourriture, d’eau et de carburant. Quelques dizaines de camions transportant des fournitures essentielles entrent désormais chaque jour dans le territoire, ce qui ne représente qu’une fraction du volume d’avant la guerre, qui était d’environ 500 camions. Les États-Unis et les Nations unies ont tous deux déclaré qu’une aide plus importante devait être acheminée. 

La coupure des communications dans le territoire en était à son septième jour vendredi, la plus longue depuis le début de la guerre. L’absence de communications entrave la coordination des livraisons d’aide et des opérations de sauvetage.

Les États-Unis, le plus proche allié d’Israël, ont apporté un soutien militaire et politique important à la campagne, mais ils demandent de plus en plus à Israël de réduire son assaut et de prendre des mesures en vue de la création d’un État palestinien après la guerre ― une suggestion que le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, a vigoureusement rejetée.

S’exprimant lors d’une conférence de presse télévisée nationale jeudi, M. Nétanyahou a réitéré son opposition de longue date à une solution à deux États, arguant qu’un État palestinien deviendrait une rampe de lancement pour des attaques contre Israël.

Israël «doit avoir le contrôle de la sécurité sur l’ensemble du territoire situé à l’ouest du Jourdain», a déclaré M. Nétanyahou, ajoutant : «Cela va à l’encontre de l’idée de souveraineté. Que pouvons-nous faire?»

Les États-Unis ont estimé que l’Autorité palestinienne internationalement reconnue, qui gouverne des zones semi-autonomes en Cisjordanie occupée par Israël, devrait être «revitalisée» et retourner à Gaza. Le Hamas a chassé l’Autorité de Gaza en 2007.

Washington a également demandé que des mesures soient prises en vue de la création d’un État palestinien. Les Palestiniens veulent créer un État à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Ces régions ont été conquises par Israël en 1967.

Un porte-parole du président palestinien Mahmoud Abbas, qui dirige l’Autorité palestinienne, a déclaré jeudi dernier qu’il ne pouvait y avoir «de sécurité et de stabilité dans la région» sans un État palestinien.

M. Nétanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant ont répondu que les combats se poursuivraient jusqu’à l’écrasement du Hamas et que seule une action militaire permettrait d’obtenir la libération des otages.

Le Hamas cherche à mettre fin à la guerre avant de discuter de la libération des otages et a demandé la libération de milliers de Palestiniens emprisonnés par Israël en échange de ceux qui sont retenus prisonniers à Gaza.

Les commentateurs ont commencé à se demander si les objectifs de M. Nétanyahou étaient réalistes, compte tenu de la lenteur de l’offensive et des critiques internationales croissantes, y compris des accusations de génocide devant la Cour mondiale des Nations unies, qu’Israël nie avec véhémence.

Les adversaires de M. Nétanyahou l’accusent de retarder toute discussion sur les scénarios d’après-guerre afin d’éviter les enquêtes imminentes sur les échecs du gouvernement, de maintenir sa coalition intacte et de repousser les élections. Les sondages montrent que la popularité de M. Nétanyahou, qui fait l’objet d’un procès pour corruption, s’est effondrée pendant la guerre.

M. Eisenkot, dont le fils a été tué en décembre à Gaza, a déclaré à l’émission d’investigation «Uvda» sur la chaîne de télévision israélienne Channel 12, jeudi en fin de journée, que «les otages ne reviendront vivants que s’il y a un accord, lié à une pause significative dans les combats». Il a ajouté que des opérations de sauvetage spectaculaires étaient peu probables, car les otages sont apparemment dispersés, beaucoup d’entre eux se trouvant dans des tunnels souterrains. 

Affirmer que les otages peuvent être libérés par d’autres moyens qu’un accord «revient à semer des illusions», a-t-il déclaré.

Dans une critique à peine voilée de M. Nétanyahou, M. Eisenkot a également déclaré que des décisions stratégiques concernant la direction de la guerre devaient être prises de toute urgence et qu’une discussion sur la fin de la guerre aurait dû être entamée immédiatement après le début de celle-ci. 

Il a également rejeté les suggestions selon lesquelles l’armée aurait porté un coup décisif au Hamas. 

Le général Gallant a indiqué que les troupes avaient mis hors d’état de nuire la structure de commandement du Hamas dans le nord de la bande de Gaza, d’où un nombre important de soldats ont été retirés en début de semaine, et que l’accent était désormais mis sur la moitié sud du territoire.

«Nous n’avons pas encore atteint un résultat stratégique, ou plutôt seulement partiellement, a estimé M. Eisenkot. Nous n’avons pas fait tomber le Hamas.»

Le groupe militant a continué à riposter dans toute la bande de Gaza, même dans les zones les plus dévastées, et a lancé des roquettes sur Israël.

Dans son interview, M. Eisenkot a également confirmé qu’une attaque préventive contre la milice libanaise du Hezbollah avait été annulée à la dernière minute au cours des premiers jours de la guerre. Il a indiqué qu’il faisait partie de ceux qui s’étaient prononcés contre une telle attaque lors d’une réunion du cabinet du 11 octobre, au cours de laquelle il s’est retrouvé, selon ses dires, enroué à force de crier.

Une telle attaque aurait été une «erreur stratégique» et aurait probablement déclenché une guerre régionale, a déclaré M. Eisenkot.

L’ancien chef de l’armée a déclaré qu’il se demandait chaque jour s’il devait rester dans le cabinet de guerre, qui comprend M. Nétanyahou, M. Gallant et l’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz. M. Eisenkot est membre du Parlement au sein de l’alliance d’opposition «Unité nationale» dirigée par M. Gantz. Tous deux ont rejoint M. Nétanyahou pour aider à mener la guerre.

«Je sais quelle est ma ligne rouge, a déclaré M. Eisenkot lorsqu’on lui a demandé à quel moment il démissionnerait. Elle est liée aux otages, c’est l’un des objectifs, mais elle est également liée à la manière dont nous devons mener cette guerre.»

La guerre s’est étendue à tout le Moyen-Orient, des groupes soutenus par l’Iran attaquant des cibles américaines et israéliennes. Les combats entre Israël et les militants du Hezbollah au Liban menacent de dégénérer en guerre totale, et les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen continuent de prendre pour cible les navires internationaux malgré les frappes aériennes menées par les États-Unis.

Les États-Unis ont mené jeudi une cinquième frappe contre les rebelles houthis au Yémen, alors même que le président Joe Biden a reconnu que les bombardements des militants n’avaient pas encore mis fin à leurs attaques contre le transport maritime dans le corridor crucial de la mer Rouge.