Les lois étatiques sur l’avortement font augmenter la popularité des tests prénatals

WASHINGTON — Dans l’Utah, de plus en plus de patientes en médecine materno-fœtale du Dr Cara Heuser demandent des échographies précoces, dans l’espoir de détecter des problèmes graves à temps pour choisir de poursuivre la grossesse ou d’avorter.

Le constat est semblable en Caroline du Nord, où de plus en plus de patientes en obstétrique du Dr Clayton Alfonso et de ses collègues s’appuient sur des dépistages génétiques précoces qui ne fournissent pas de diagnostics clairs pour faire des choix.

La raison? Les nouvelles restrictions étatiques sur l’avortement font en sorte que le temps presse.

Depuis que Roe c. Wade a été annulé, de nombreux prestataires de soins de santé affirment qu’un nombre croissant de patientes décident du sort de leur grossesse en fonction des informations qu’elles peuvent recueillir avant que les interdictions de l’État n’entrent en vigueur. Mais les premières échographies révèlent beaucoup moins de choses sur l’état du fœtus que celles effectuées plus tardivement. Et les dépistages génétiques peuvent être inexacts.

Lorsqu’on découvre qu’un fœtus a un problème grave, «on est en mode crise», a déclaré Sabrina Fletcher, une doula ayant aidé des femmes qui se retrouvées dans cette situation. «On ne pense pas aux répercussions juridiques et aux dates limites (de l’État), et pourtant, on est forcé de le faire.»

Environ la moitié des États américains interdisent l’avortement ou le restreignent après un certain stade de la grossesse. Dans l’Utah, c’est généralement illégal après 18 semaines ; en Caroline du Nord, après 12 semaines.

Cela laisse des millions de femmes dans environ 14 États sans possibilité de subir des tests de diagnostic de suivi à temps pour pouvoir avorter si elles le souhaitent, selon un article publié en mars dernier dans la revue «Obstetrics and Gynecology». Dans de plus en plus d’États, l’échéance arrive avant les échographies en milieu de grossesse.

«De plus en plus de personnes essaient de découvrir ces choses plus tôt pour essayer de s’adapter aux limites des lois qui, à mon avis, n’ont pas leur place dans la pratique médicale», a déploré Dr Clayton Alfonso, obstétricien-gynécologue à l’Université Duke.

Vérification des problèmes prénatals

Lorsqu’ils sont effectués au bon moment, les médecins affirment que les tests prénatals peuvent identifier les problèmes et aider les parents à décider s’ils souhaitent poursuivre leur grossesse ou se préparer aux besoins complexes du bébé après l’accouchement.

L’un des tests les plus courants est l’échographie de 20 semaines. Il vérifie le cœur, le cerveau, la colonne vertébrale, les membres et d’autres parties du corps du fœtus, à la recherche de signes de problèmes congénitaux. Il peut détecter des anomalies au cerveau, dans la colonne vertébrale ou au cœur, ainsi que des signes de problèmes chromosomiques tels que le syndrome de Down. Des tests de suivi peuvent être nécessaires pour établir un diagnostic.

Le type d’échographies que les patientes reçoivent peut varier en fonction du niveau de risque ainsi que de l’équipement et des politiques propres à chaque cabinet. Par exemple, certaines femmes peuvent subir une échographie au premier trimestre pour estimer une date d’accouchement ou vérifier la présence de plusieurs fœtus. Mais ce n’est pas une pratique courante, car il est trop tôt pour voir en détail de nombreux membres et organes du fœtus, selon l’American College of Obstetricians and Gynecologists.

Il est impossible de détecter des problèmes tels que des malformations cardiaques graves bien avant le milieu de la grossesse, car le fœtus est si petit, a précisé Dr Cara Heuser. Néanmoins, selon elle, de plus en plus de patientes subissent des échographies entre 10 et 13 semaines, pour pouvoir accès à un avortement si elles le désirent.

Les experts affirment qu’il n’existe pas de statistiques sur le nombre exact de personnes optant pour des échographies précoces ou faisant des choix en fonction de celles-ci. Mais certains prestataires de soins de santé déclarent avoir remarqué une augmentation des demandes d’analyses, notamment la conseillère en génétique du Missouri, Chelsea Wagner. Elle conseille des patientes de partout au pays par le biais de la télésanté et discute fréquemment des résultats des échographies et des tests génétiques.

Mme Wagner a déclaré que ces premières échographies ne peuvent pas fournir l’assurance que les patients recherchent, car «on ne peut pas dire à quelqu’un que  »tout semble bon » ou qu’un état de santé est impeccable» après une échographie à 10 semaines.

Les médecins ne peuvent pas non plus établir un diagnostic définitif à partir d’un dépistage génétique, qui est effectué à 10 semaines de gestation ou plus tard.

Ces dépistages, également appelés tests prénatals non invasifs, sont conçus pour détecter les anomalies de l’ADN fœtal en examinant de petits fragments flottant librement dans le sang d’une femme enceinte.

Ils recherchent des troubles chromosomiques tels que les trisomies 13 et 18, qui aboutissent souvent à une fausse couche ou à une mortinatalité, au syndrome de Down ou à des copies supplémentaires ou manquantes des chromosomes sexuels.

La précision de ces tests varie selon le trouble, mais aucun n’est considéré comme un diagnostic.

Natera, l’une des rares sociétés américaines à réaliser de tels tests génétiques, a déclaré dans un courriel que les résultats des tests prénatals sont signalés comme étant soit à «risque élevé», soit à «faible risque» et que les patientes devraient demander des tests de confirmation si elles obtiennent un risque élevé.

Certains peuvent être assez précis, disent les médecins, mais de faux positifs sont possibles. En 2022, la Food and Drug Administration (FDA) a émis un avertissement concernant les dépistages, rappelant aux patientes et aux médecins que les résultats doivent être confirmés par la suite.

«Bien que les tests génétiques de dépistage prénatal non invasifs soient largement utilisés aujourd’hui, ces tests n’ont pas été examinés par la FDA et peuvent faire des allégations sur leurs performances et leur utilisation qui ne sont pas fondées sur des données scientifiques solides», a mis en garde Jeff Shuren, directeur d’un département de recherche de la FDA, dans un communiqué.

L’agence est sur le point de publier un nouveau cadre réglementaire en avril qui exigerait que les dépistages prénatals et des milliers d’autres tests de laboratoire soient soumis à un examen par la FDA.

Une «terrible décision» à prendre

Même avant l’annulation de l’arrêt Roe c Wade, les patientes enceintes étaient parfois perplexes quant à ce que les tests prénatals révèlent – ou non – sur la grossesse ou le fœtus, avance la bioéthicienne Megan Allyse, dont les recherches portent sur les technologies émergentes liées à la santé reproductive des femmes. Elle a ajouté qu’il était important que les médecins examinent les limites de ces dépistages et soulignent que les résultats qu’ils reçoivent ne constituent pas des diagnostics.

Dr Alfonso et Mme Wagner conseillent également de passer des tests de diagnostic. En plus de l’amniocentèse, qui prélève et teste un petit échantillon de cellules du liquide amniotique, ces tests incluent également le PVC, ou prélèvement de villosités choriales, qui teste un petit morceau de tissu du placenta. Les deux comportent un faible risque de fausse couche.

Mais dernièrement, il y a plus d’urgence dans les décisions des patientes dans de nombreux États, a soutenu Mme Wagner.

Cela est dû aux spécificités du calendrier des tests. Cela peut prendre une semaine ou deux pour obtenir les résultats des dépistages génétiques. Le PVC est proposé entre 10 et 13 semaines de gestation, les premiers résultats prenant quelques jours et des résultats plus détaillés environ deux semaines. L’amniocentèse est généralement effectuée entre 15 et 20 semaines, avec un calendrier similaire pour les résultats.

Si un État interdit l’avortement pendant 12 semaines, par exemple, «certaines personnes devront peut-être procéder à un dépistage», a indiqué Dr Alfonso.

Chelsea Wagner a avancé qu’elle avait dû conseiller des patientes qui n’avaient pas les moyens de voyager hors d’un État pour se faire avorter si elles attendaient un test de diagnostic.

«Elles sont obligées d’utiliser les informations dont elles disposent pour faire des choix qu’elles n’auraient jamais pensé devoir faire», a-t-elle déploré.

Certains États limitent l’avortement si tôt que les femmes n’ont pas la possibilité de subir un test prénatal avant la date limite.

Ce fut le cas d’Hannah, 26 ans, dans le Tennessee, où l’avortement est strictement interdit. Une échographie réalisée fin novembre, à environ 18 semaines de gestation, a révélé qu’elle présentait une séquence de bandes amniotiques, c’est-à-dire lorsque de très minces morceaux de membrane amniotique s’attachent au fœtus, provoquant parfois une amputation fœtale ou d’autres problèmes. Dans le cas d’Hannah, les bandes étaient attachées à de nombreuses parties du corps de son petit garçon et déchiraient plusieurs zones de son corps.

Elle a appelé des cliniques de l’Ohio et de l’Illinois à la recherche d’un endroit où interrompre sa grossesse, tandis que le bureau de son conseiller en génétique a téléphoné à environ six établissements. Elle a finalement trouvé une clinique à 4 heures et demie de là, dans l’Illinois, et a subi l’intervention début décembre, à 19 semaines de gestation.

Un ensemble de résultats de l’amniocentèse – qui avait pour but de rechercher la cause du problème – est revenu le lendemain de son avortement, ainsi que d’autres résultats par la suite.

Hannah, qui ne voulait pas que son nom de famille soit utilisé par crainte de réactions négatives, a déclaré qu’il était «horrible» de devoir penser aux délais étatiques et de parcourir de longues distances hors d’un État lorsqu’on fait face à une telle situation. 

Mais elle est reconnaissante d’avoir eu un diagnostic ferme grâce à l’échographie et suffisamment d’informations pour prendre une décision de manière confiante. Elle affirme qu’elle a pris cette décision pour que son bébé ne soit pas «dans la douleur et dans la misère».

«Je sais que certaines femmes n’ont pas cette chance», a déclaré Hannah. Elle a nommé son fils Waylen.