Poutine ne donne aucune nouvelle indication de ses intentions

ZAPORIJJIA, Ukraine — Le président russe Vladimir Poutine a profité d’une grande fête patriotique lundi pour justifier à nouveau sa guerre en Ukraine, mais n’a même pas déclaré une victoire limitée ni signalé la direction du conflit, alors que ses forces continuaient de frapper des cibles à travers le pays avec peu de signes de progrès significatifs.

Le dirigeant russe a supervisé un défilé du Jour de la Victoire sur la Place Rouge, avec des troupes marchant en formation, du matériel militaire et une fanfare pour marquer la victoire de l’Union soviétique face à l’Allemagne nazie. Mais son discours très attendu n’a offert aucune nouvelle idée; il s’en est plutôt tenu aux allégations selon lesquelles l’Ukraine constituait une menace pour la Russie, même si les forces nucléaires de Moscou sont de loin supérieures en nombre et en puissance de feu.

«Le danger augmentait de jour en jour, a-t-il déclaré en surveillant les troupes. La Russie a donné une réponse préventive à l’agression. C’était une décision forcée, opportune et la seule correcte.»

Les dirigeants ukrainiens et leurs partisans occidentaux ont souvent rejeté les affirmations selon lesquelles Kyiv constituait une menace pour son voisin géant.

De nombreux analystes avaient suggéré que M. Poutine pourrait utiliser son discours pour déclarer une sorte de victoire limitée – potentiellement dans la ville portuaire stratégique assiégée de Marioupol – alors qu’il cherche une sortie du conflit qui a déclenché des sanctions punitives de l’Occident et mis à rude épreuve les ressources de la Russie. D’autres ont suggéré qu’il pourrait ordonner une mobilisation nationale pour renforcer les rangs épuisés en vue d’un conflit prolongé.

Il n’y avait «rien de significatif dans le discours de Poutine aujourd’hui, mais il devra prendre une décision concernant la mobilisation dans les semaines à venir», a écrit sur Twitter Rob Lee, qui est chercheur principal au Foreign Policy Research Institute de Philadelphie.

Alors que M. Poutine déposait une gerbe à Moscou, les sirènes des raids aériens retentissaient à nouveau à Kyiv, la capitale ukrainienne. Mais le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré dans son propre discours du Jour de la Victoire que son pays finirait par vaincre les Russes.

«Très bientôt, il y aura deux Jours de la Victoire en Ukraine, a-t-il prédit dans une vidéo publiée à l’occasion de la fête. Nous ne nous sommes jamais battus contre qui que ce soit. Nous nous battons toujours pour nous-mêmes. … Nous nous battons pour la liberté de nos enfants, et c’est pourquoi nous vaincrons.»

Un conseiller de M. Zelensky a également rejeté l’idée que l’Ukraine et ses alliés occidentaux constituaient une menace pour la Russie.

Mykhailo Podolyak a écrit sur Twitter que «les pays de l’OTAN n’allaient pas attaquer la Russie. L’Ukraine n’avait pas prévu d’attaquer la Crimée», dont la Russie s’est emparée en 2014.

L’état-major de l’armée ukrainienne a mis en garde lundi contre une forte probabilité de frappes de missiles pendant le congé, et le ministère britannique de la Défense a prévenu dans son évaluation quotidienne que les forces russes pourraient de plus en plus soumettre les villes ukrainiennes à «des bombardements intenses et aveugles avec peu ou pas de considération pour les victimes civiles», car elles manquent de munitions à guidage de précision.

En fait, plus de 60 personnes auraient été tuées après qu’une bombe russe ait rasé une école ukrainienne utilisée comme abri à Bilohorivka, un village de l’est, ont déclaré des responsables ukrainiens.

Alors que la guerre en est maintenant à sa 11e semaine, des batailles se sont déroulées sur plusieurs fronts, mais la Russie était peut-être la plus proche de la victoire à Marioupol, où les combattants ukrainiens livrent un dernier combat dans une aciérie tentaculaire, dans une bataille qui a mis en lumière certaines des pires souffrances de la guerre.

La capture complète de Marioupol priverait l’Ukraine d’un port vital, permettrait à la Russie de compléter un corridor terrestre vers la péninsule de Crimée et libérerait des troupes pour combattre ailleurs dans le Donbass, qui est maintenant l’objectif déclaré de M. Poutine après son échec à s’emparer de la capitale dès les premiers jours du conflit. La chute de la ville offrirait une victoire symbolique indispensable à la Russie.

Bombardements constants

Les forces russes ont pilonné l’usine au cours du week-end, où l’on estime que jusqu’à 2000 combattants ukrainiens résistent.

«Nous sommes sous des bombardements constants», a déclaré le capitaine Sviatoslav Palamar, le commandant adjoint du régiment ukrainien Azov, qui détenait l’usine.

Le lieutenant Illya Samoilenko, un autre membre du régiment, a indiqué que quelques centaines de soldats blessés se trouvaient à l’intérieur. Il a refusé de dire combien de combattants valides restaient. Il a dit que les combattants devaient creuser à la main pour libérer les gens des bunkers qui se sont effondrés sous les bombardements.

Pendant des semaines, des centaines de civils se sont aussi réfugiés avec les combattants à l’usine, mais les derniers ont été évacués samedi. Dans un convoi conduit par l’ONU et la Croix-Rouge internationale, ils sont arrivés dimanche soir à Zaporijjia, la première grande ville ukrainienne au-delà des lignes de front. Ils ont parlé de bombardements constants, de nourriture en diminution, de moisissures omniprésentes – et d’utilisation de désinfectant pour les mains comme combustible de cuisson.

L’armée ukrainienne a averti que les troupes russes saisissaient «des documents personnels de la population locale sans raison valable» dans des parties de la région de Zaporijjia qu’elles contrôlaient ― prétendument comme un moyen de forcer les habitants à se joindre aux commémorations du Jour de la Victoire.

Alors qu’une résistance ukrainienne plus ferme que prévu, renforcée par les armes occidentales, a enlisé les forces russes, Moscou a réduit ses objectifs de guerre. La Russie lance maintenant des offensives urgentes dans certaines régions du sud de l’Ukraine et du Donbass, où les séparatistes soutenus par Moscou combattent les troupes ukrainiennes depuis des années. Mais les troupes russes ont encore du mal à faire des progrès significatifs, et les forces ukrainiennes et russes se sont battues village par village ces dernières semaines.

Une contre-offensive ukrainienne dans le nord-est près de Kharkiv, en dehors du Donbass mais essentielle à l’offensive là-bas, faisait des «progrès significatifs», selon l’Institute for the Study of War, un groupe de réflexion basé à Washington.

Le port d’Odessa, dans le sud de la mer Noire, a également connu une recrudescence des combats récemment, et des responsables ukrainiens ont déclaré que la Russie avait tiré lundi quatre missiles de croisière contre la ville depuis la Crimée. Aucun civil n’aurait été blessé.

Alors qu’elles luttent pour gagner du terrain, les forces russes ont bombardé à plusieurs reprises des villes et des villages sans discrimination. Environ 90 personnes s’étaient réfugiées dans le sous-sol de l’école de Bilohorivka lorsqu’elle a été attaquée samedi. Les équipes d’urgence ont trouvé deux corps et secouru 30 personnes, mais «il est fort probable que les 60 personnes qui restent sous les décombres soient maintenant mortes», a écrit Serhiy Haidai, le gouverneur de la province de Louhansk, sur l’application de messagerie Telegram.

L’armée ukrainienne a également averti qu’une vingtaine de groupes tactiques de bataillons russes étaient stationnés juste de l’autre côté de la frontière dans la région russe de Belgorod. Ces groupes se composent probablement de quelque 15 000 soldats avec des chars, des batteries de missiles et d’autres armes.

Soutien à l’Ukraine

Alors que le Jour de la Victoire tournait l’attention vers M. Poutine, les dirigeants occidentaux montraient de nouveaux signes de soutien à l’Ukraine.

Les principales démocraties industrielles du Groupe des Sept se sont engagées dimanche à interdire ou éliminer progressivement les importations de pétrole russe.

Les États-Unis, quant à eux, ont annoncé de nouvelles sanctions, coupant la publicité occidentale des trois plus grandes chaînes de télévision russes, interdisant aux sociétés américaines de comptabilité et de conseil de fournir des services et coupant le secteur industriel russe des produits du bois, des moteurs industriels, des chaudières et des bulldozers.

La première dame des États-Unis, Jill Biden, a rencontré dimanche son homologue ukrainienne. Le premier ministre canadien Justin Trudeau a hissé le drapeau de son pays devant son ambassade à Kyiv. Et Bono de U2, aux côtés de son coéquipier The Edge, s’est produit dans une station de métro de Kyiv qui avait été utilisée comme abri anti-bombe, en chantant la chanson des années 1960 «Stand by Me».

Des manifestants ont jeté ce qui semblait être de la peinture rouge, pour symboliser le sang, sur l’ambassadeur de Russie alors qu’il arrivait dans un cimetière de Varsovie pour rendre hommage aux soldats de l’Armée rouge morts pendant la Deuxième Guerre mondiale.

L’ambassadeur Sergey Andreev est venu déposer des fleurs au cimetière des soldats soviétiques, où l’attendait un groupe d’activistes opposés à la guerre de la Russie en Ukraine.

Les manifestants portaient des drapeaux ukrainiens, tandis que certains étaient vêtus de draps blancs enduits d’une couleur rouge, symbolisant les victimes ukrainiennes de la guerre de Russie. D’autres hommes de son entourage ont également été vus éclaboussés de ce qui semblait être de la peinture rouge.