Cour d’appel: les demandeurs d’asile ont droit aux services de garde subventionnés

MONTRÉAL — Les demandeurs d’asile qui détiennent un permis de travail peuvent bel et bien confier leurs enfants à un service de garde subventionné et ainsi bénéficier de la contribution réduite.

Dans une décision unanime, la Cour d’appel a servi un camouflet au gouvernement du Québec en confirmant que son règlement, qui prive les demandeurs d’asile de services de garde subventionnés, est discriminatoire envers les femmes et contrevient, de ce fait, à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La décision, signée par la juge Julie Dutil, vient ainsi confirmer, mais par une interprétation tout à fait différente, celle rendue le 25 mai 2022 par le juge Marc St-Pierre, de la Cour supérieure, qui avait déterminé que la plaignante, Bijou Cibuabua Kanyinda, avait droit aux services de garde. 

Mme Kanyinda, originaire de la République démocratique du Congo, était entrée au Québec avec ses trois très jeunes enfants en octobre 2018 par le chemin Roxham, un point de passage aujourd’hui fermé, et avait présenté une demande d’asile. Avant d’obtenir le statut de réfugiée, Mme Kanyinda avait reçu un permis de travail et avait cherché en vain une place pour ses enfants dans trois garderies.

Ses demandes avaient été refusées parce que le Règlement sur la contribution réduite (RCR) réserve notamment l’accès à ce service aux personnes dont le statut de réfugié est reconnu par Ottawa et non à celles qui sont en attente de la décision fédérale. 

Renversement complet

Le juge St-Pierre n’avait pas reconnu l’aspect discriminatoire, mais avait déclaré inopérant l’article du Règlement qui excluait Mme Kanyinda, jugeant qu’il avait été pris «sans habilitation législative» parce que la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (LSGÉE) «ne prévoit pas expressément un tel pouvoir réglementaire». 

La Cour d’appel, elle, a renversé ces deux prémisses. Elle reconnaît donc, comme prix de consolation au gouvernement du Québec, qu’il avait bel et bien le pouvoir d’adopter le règlement, mais juge cependant que ce règlement est effectivement discriminatoire. 

La juge Dutil tranche donc que «l’exclusion (prévue au règlement sur la contribution réduite de la LSGÉE) des parents demandant l’asile, séjournant au Québec et titulaires d’un permis de travail, constitue une discrimination fondée sur le sexe qui porte atteinte à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne» et «que cette atteinte n’est pas justifiée». 

Puis elle oblige Québec à inscrire au règlement que tout parent demandeur d’asile qui détient un permis de travail est «admissible au paiement de la contribution réduite».

Différence frappante

La différence entre le premier jugement et celui-ci est frappante. Le juge St-Pierre, écrit-on à la Cour d’appel, avait déterminé qu’«il n’y a pas de discrimination fondée sur le sexe puisque rien ne permet de déterminer dans quelle proportion les femmes demandant l’asile assumeraient des frais supplémentaires de garde de leurs enfants». 

Mme Kanyinda, au contraire, avait plaidé, avec l’aide de données scientifiques et du témoignage d’une experte, que si le règlement ne vise pas directement les femmes, «il a une incidence disproportionnée à l’égard de celles-ci (qui) fait en sorte qu’il est discriminatoire par effet préjudiciable puisque les femmes assument de façon disproportionnée, seules ou en couple, les obligations relatives à la garde et au soin des enfants».

Voyant dans le fait que les femmes assument de façon disproportionnée ces obligations «un obstacle à l’intégration au marché du travail, à la francisation et de façon plus large à l’intégration à la société québécoise, (le règlement) a un effet disproportionné pour les femmes qui demandent l’asile».

Incidence négative disproportionnée

Les trois juges de la Cour d’appel lui donnent ainsi raison. «Le juge (St-Pierre) ne pouvait réduire son analyse à la part respective des hommes et des femmes dans le paiement des frais de garde», écrit-on.

Le règlement, reconnaît la Cour, «est à première vue neutre puisque les parents sont des hommes ou des femmes. Toutefois, en excluant les personnes demandant l’asile, il a une incidence négative disproportionnée à l’égard des femmes demandant l’asile, et est ainsi discriminatoire par suite de son effet préjudiciable».

«Il appert de la preuve que Mme Kanyinda a rempli son fardeau, à la première étape, de démontrer l’effet préjudiciable relatif au motif du sexe. Elle a démontré que l’exclusion résultant (du règlement) crée ou contribue à un effet disproportionné sur le groupe de femmes demandant l’asile. 

«À l’étape du second volet de l’analyse, il s’agit de démontrer que (le règlement) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage. Je conclus que c’est le cas en l’espèce», écrit la juge Dutil.

Vrai au-delà de la cause

Elle poursuit, dépassant le cas de Mme Kayinda, que «les femmes subissent un désavantage historique dans le milieu du travail en raison du fait qu’elles assument, de façon disproportionnée, les obligations relatives à la garde et au soin des enfants. La Cour suprême a d’ailleurs reconnu ce fait à de nombreuses reprises. Il en résulte que les femmes ont une participation moindre que les hommes au marché du travail. Le fait que les personnes demandant l’asile sont, de ce seul fait, inadmissibles à la contribution réduite pour les places en garderie subventionnée a manifestement un effet disproportionné sur les femmes de ce groupe.»

«Je conclus que (le règlement) renforce et perpétue le désavantage historique vécu par les femmes qui souhaitent participer au marché du travail. La distinction qu’il crée en excluant les personnes demandant l’asile constitue donc de la discrimination par effet préjudiciable fondée sur le sexe au sens de l’article 15 de la Charte canadienne.»

Un argument difficile à soutenir

L’avocat du gouvernement avait notamment plaidé que l’objectif du législateur d’exclure les demandeurs est de «donner une aide financière aux personnes qui présentent un lien suffisant avec le Québec». Il ajoutait que l’État ne peut tenir pour acquis qu’une personne qui demande l’asile va rester au Québec.

Or, réplique la Cour, parmi les personnes qui ont droit aux contributions réduites on retrouve les travailleurs temporaires, les étudiants étrangers et même les titulaires de permis de séjour temporaire. 

«Ce dernier cas, poursuit-on, est particulièrement frappant puisque ce type de permis est octroyé dans des circonstances exceptionnelles afin de permettre à une personne de demeurer au Canada malgré une interdiction de territoire (…). Ce statut est temporaire et révocable en tout temps.»