Démissions d’élus municipaux: face à la grande désillusion

MONTRÉAL — De plus en plus d’élus municipaux quittent leur poste dans les 18 mois suivant leur élection. Déserteurs, nos élus? Plutôt désillusionnés, soutiennent des observateurs de la scène politique locale.

Selon des données obtenues auprès du Directeur général des élections, à la fin de juin, ce seront 434 municipalités qui auront dû tenir au moins une élection partielle. Pas moins de 69 maires et 505 conseillers municipaux ont dû être remplacés au cours des 18 premiers mois du présent mandat, qui doit se terminer en novembre 2025.

Pour la même période à la suite de l’élection précédente en 2017, 365 conseillers municipaux et 38 maires avaient jeté l’éponge dans 339 municipalités. Un an et demi après l’élection générale de 2013, 302 municipalités avaient dû combler des postes laissés vacants par 30 maires et 347 échevins.

Outre un décès, la maladie ou un déménagement, cet exode s’explique par plusieurs facteurs qui ont souvent comme point commun la déception.

«De nouveaux élus réalisent que la politique est plus lourde qu’ils ne l’imaginaient. Ils sont venus en politique pour faire bouger les choses, mais pour diverses raisons, elles n’avancent pas aussi vite qu’ils le voudraient ou ont des bâtons dans les roues. Ils se lassent et tirent leur révérence», affirme Pierre Delorme, professeur émérite au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.

L’urbaniste Danielle Pilette, également professeure associée au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’École des sciences de gestion de l’UQAM, parle même de «plusieurs sources potentielles de déception». «Des personnes sont amèrement déçues de la politique parce que les enjeux et les solutions varient selon les personnes ou sont confrontées à un manque de collaboration de certains fonctionnaires», élabore-t-elle.

«On voit aussi des gens très impliqués dans le milieu communautaire ou sportif qui font le saut en politique et qui réalisent que c’est un univers beaucoup plus administratif qu’ils ne l’auraient imaginé», renchérit-elle.

Plus de travail, moins de ressources

C’est sans compter que Québec a dévolu de nombreuses responsabilités supplémentaires aux municipalités au cours des dernières années, et ce, sans les compenser adéquatement pour leur permettre de s’en acquitter.

«Le monde municipal s’est considérablement complexifié au cours des dernières années. On demande aux villes de plus en plus sans avoir de ressources pour réaliser les nouveaux engagements qui leur sont confiés», explique M. Delorme. 

Le président de la Fédération québécoise des municipalités et maire de Sainte-Catherine-de-Hatley, Jacques Demers, est du même avis. «La tâche des élus municipaux a beaucoup augmenté, témoigne-t-il. Mais beaucoup de personnes qui se présentent aux élections n’ont pas idée de l’ampleur de la tâche. Possiblement que si on faisait un sondage, on apprendrait que certains se sont portés candidats sans avoir assisté à une séance du conseil.»

L’élu croit que les candidats devraient au minimum se renseigner, ou suivre une formation, pour connaître les tenants et les aboutissants de la fonction.

«C’est un travail très prenant, avec beaucoup de réunions, beaucoup de comités, ajoute M. Demers. C’est une tâche qui devient vite accaparante.»

Il se dit peu étonné que certains mettent une croix sur leur engagement politique pour préserver leur vie familiale, voire s’éviter l’épuisement. 

Peu de reconnaissance, beaucoup d’ingratitude

Les salaires versés aux élus sont aussi insuffisants, estime M. Demers. «On a plusieurs maires et mairesses qui gagnent entre 10 000 $ et 15 000 $ par année et ils travaillent plus qu’à temps plein, illustre-t-il. On a plein de gens dans le municipal qui ne gagnent pas le salaire minimum quand on considère le nombre d’heures qu’ils passent sur des dossiers.»

La transition vers d’autres paliers de gouvernement ou un emploi dans le secteur privé mieux rémunéré explique aussi certaines défections. 

«On observe une mobilité générale de la main-d’œuvre plus grande depuis 2020. Dans certaines institutions, même municipales, ce sont vraiment les portes tournantes… Donc les élus sont touchés aussi par ce phénomène de mobilité professionnelle et peuvent vouloir s’investir ailleurs qu’en politique», relève Mme Pilette.

À ce manque de reconnaissance financière s’ajoute l’ingratitude de certains citoyens, dont plusieurs n’hésitent plus à invectiver, insulter, harceler ou menacer des élus municipaux. Un phénomène en croissance exponentielle, souligne M. Delorme, qui parle d’une situation «généralisée».

«Les élus sont des cibles faciles puisqu’elles se trouvent sur la place publique, rappelle M. Delorme. On peut les retrouver et les contacter facilement.»

«On a des gens qui s’impliquent pour aider leur communauté, mais des membres de celle-ci ne sont pas gentils dans leurs propos et leur approche quand les décisions qui sont prises ne vont pas dans la direction qu’ils auraient souhaitée. Ce n’est pas tout le monde qui est prêt à jouer au bouclier ou au « punching bag »», relève M. Demers.

Parfois, le conflit s’invite plutôt à la table du conseil, ce qui empoisonne les relations entre les élus et peut en forcer certains à quitter.

«[L’incivilité entre élus], c’est sûr que ça fait partie des raisons qui incitent quelqu’un à quitter, reconnaît M. Demers. Je ne sais pas si le phénomène s’est accentué, mais c’est une situation très difficile de devoir côtoyer quelqu’un avec qui tu n’as pas d’affinité, aussi bien au conseil que dans les activités de ta communauté.»

«Personnellement, je trouve que les élus municipaux sont courageux parce que c’est une fonction très exigeante et peu reconnue», résume Pierre Delorme.

«Ce sont des gens très dévoués, poursuit-il, mais on ne peut pas leur en vouloir si après un an et demi, pour un ensemble de raisons qui leur sont propres, ils décident de jeter l’éponge et de démissionner.»

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.