Des propriétaires de petites salles de concert veulent une réglementation plus souple

MONTRÉAL — Le bar montréalais et salle de concert Turbo Haüs fait tout en son pouvoir pour atténuer le bruit et être un bon voisin, déclare son copropriétaire Sergio Da Silva.

L’endroit, qui diffuse surtout du punk rock, a déménagé en 2018 d’un quartier majoritairement résidentiel au  Quartier des Spectacles. Des milliers de dollars ont été dépensés pour insonoriser le nouvel espace. Il paie chaque mois 3200$ de loyer supplémentaire pour garder les deux appartements situés au-dessus inoccupés.

Ainsi, quand la Ville lui a servi la semaine dernière un avertissement visant à réduire le bruit, le choc a été grand.

«C’est bien de savoir qu’il est illégal d’avoir des spectacles dans le Quartier des Spectacles», a déploré Turbo Haüs dans un message sarcastique largement diffusé sur les réseaux sociaux, accompagné d’une capture d’écran de l’avis de la ville, qui menace d’amendes allant jusqu’à 12 000 $ en cas de non-conformité.

«C’est un peu surprenant et assez frustrant pour être honnête», a déclaré M. Da Silva dans une récente entrevue.

Il est l’un des nombreux propriétaires de clubs qui demandent à Montréal de mettre à jour les règlements sur le bruit et les règles d’aménagement afin de mieux protéger les petites salles – des destinations nocturnes populaires qui se sont retrouvées ces dernières années de plus en plus entourées de nouvelles constructions résidentielles.

Ces salles constituent une voie clé vers le succès pour les artistes émergents, affirme Dan Seligman, directeur créatif du festival de musique POP Montréal. «Le groupe Arcade Fire et le DJ Kaytranada font partie des innombrables artistes qui ont bourlingué entre les clubs et les scènes de la métropole en route vers une plus grande renommée», rappelle-t-il.

«Notre situation serait bien pire sur le plan culturel sans ces lieux», avance-t-il.

M. Da Silva est convaincu que c’est la plainte d’un résident du nouveau bâtiment situé derrière Turbo Haüs qui a entraîné l’avertissement de la ville.

«Le problème ici est qu’il n’y a pas de règles en place pour régir l’arrivée de nouvelles personnes dans les écosystèmes existants», a-t-il déclaré.

Les règles de bruit à Montréal varient selon les arrondissements, mais elles sont généralement subjectives et accordent trop de crédibilité aux plaignants, affirme Jon Weisz, directeur des Scènes de musique alternatives du Québec, une association regroupant une cinquantaine de salles de concert indépendantes.

«(Les fonctionnaires municipaux) sont incroyablement partiaux et laissent ouverte la possibilité que des lieux soient fermés par un voisin mécontent», avance M. Weisz. 

La réglementation de l’arrondissement central de Ville-Marie, où est situé Turbo Haüs, autorise les policiers à déterminer, sans utiliser d’équipement de sonorisation, si le bruit dérange les résidants.

MM. Weisz et Da Silva et d’autres affirment que les plaintes et les amendes persistantes pour bruit perturbent un environnement financier déjà difficile pour les petites salles de concert, qui ont été frappées par la pandémie et une inflation élevée. Ils préviennent que Montréal risque de perdre un élément précieux de sa culture si l’administration de la ville n’agit pas.

«Les règlements sur le bruit de Montréal menacent absolument les lieux indépendants de la ville, a déclaré M. Weisz. Je pense que c’est probablement l’une des plus grandes menaces que je dirais pour l’existence de certains lieux… parce qu’ils travaillent avec des marges très minces.»

MM. Weisz et Da Silva souhaitent que Montréal applique ce qu’on appelle le principe de « l’agent de changement » au développement autour des salles de concert, ce qui obligerait les promoteurs à adapter leurs projets aux conditions de bruit existantes.

Toronto a une telle règle, exigeant que les nouveaux développements dans les quartiers à usage mixte intègrent des éléments de conception ou de construction qui atténuent le bruit des salles de concert. Le règlement s’applique également dans l’autre sens, exigeant une conception d’atténuation sonore dans les nouveaux espaces de musique live. De plus, la ville a un règlement qui oblige les projets résidentiels à proximité des salles de concert à informer les nouveaux résidents du bruit potentiel.

Montréal offre des subventions pour l’insonorisation aux petites salles depuis 2022, mais l’isolation acoustique à elle seule n’élimine pas le risque de plaintes liées au bruit, disent MM. Da Silva et Weisz.

«J’aime être dans un quartier à usage mixte. Je pense que c’est une bonne idée et c’est une bonne utilisation de l’espace, indique M. Da Silva. Il faut revoir la réglementation pour que les gens puissent vivre harmonieusement.»