Des théâtres modulent le prix de leurs billets pour rendre les arts plus accessibles

MONTRÉAL — En réponse à la tarification dynamique, qui gonfle le coût des billets de spectacle en fonction de la demande, plusieurs théâtres adoptent une tarification «flexible» ou «sociale», afin de permettre au plus grand nombre de s’offrir des billets, et ce, peu importe leur budget.

Pour sa 39e saison, le Théâtre Prospero a modifié sa grille tarifaire. Ce faisant, les billets du théâtre montréalais oscillent désormais entre 25 $ — le tarif «accessible» — et 50 $ — le tarif «solidaire» — qui permet «à d’autres de bénéficier d’un tarif moindre». Entre les deux, on retrouve le tarif «réduit» de 35$ et le prix «régulier» d’un billet, établi à 42 $.

«Aucune justification» ne sera exigée pour bénéficier d’un tarif moindre que le prix régulier, précise-t-on sur le site du théâtre, l’objectif étant d’éviter que le coût du billet ou le budget disponible ne deviennent «des obstacles aux arts vivants». 

«Ça fait partie d’une réflexion qu’on a commencé à avoir pour rendre le théâtre plus accessible à une variété de publics, explique Philippe Cyr, codirecteur général et directeur artistique du Prospero. On s’est demandé quels gestes poser pour aider, alors que la flambée des prix touche presque tous les postes de dépenses.

«La pandémie a vraiment creusé les disparités financières entre les gens, poursuit-il. On en a beaucoup qui arrivent moins (à la fin du mois) qu’avant, et certains qui joignaient les deux bouts ont été avantagés. On avait envie de répondre mieux à ce qu’on observait autour de nous.»

L’idée de dire adieu aux tarifs établis en fonction de l’âge des spectateurs a donc été retenue. «Ça ne tient plus, mentionne Vincent de Repentigny, l’autre codirecteur du théâtre. Ce n’était pas vrai que les gens qui ont fini l’école ont plus de moyens que des étudiants. On a des gens de 40 ou 50 ans qui ne peuvent pas s’offrir une soirée au théâtre, alors on a décidé de revoir les critères.»

M. de Repentigny avait déjà implanté cette tarification nouveau genre lors du Festival Offta, qui a eu lieu le printemps dernier.

«C’est quelque chose qu’on a vu s’installer dans des événements, mais plus rarement dans des salles de spectacle, indique M. de Repentigny. On a eu envie de tenter l’expérience.»

Le Théâtre Cercle Molière, à Winnipeg, est l’un des premiers à avoir implanté cette nouvelle pratique. Là-bas, il est possible d’assister à une représentation pour aussi peu que 15 $, mais on peut aussi s’offrir un billet à 40 $ quand on en a les moyens. Des billets gratuits sont aussi disponibles pour ceux qui, autrement, ne pourraient pas vivre une expérience culturelle.

«Nous croyons que l’accès à la culture est un droit humain universel, et que le monde des arts de la scène doit être partagé au plus grand nombre. C’est pourquoi notre équipe est fière de présenter ce système innovant et audacieux, qui facilite l’accessibilité et la connexion entre l’œuvre et le public», lit-on sur le site internet du Théâtre Cercle Molière, qui n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Depuis sa saison dernière, la Nouvelle Scène Gilles Desjardins, située à Ottawa, a aussi adopté le principe de billetterie flexible, où les sièges sont offerts de 10 $ à 40 $, avec la possibilité d’obtenir une place gratuitement­. 

«Nous avons adopté cette approche, car [notre théâtre] prend place en plein centre urbain, indique Marie-Pier Lajoie, responsable des communications dans un courriel. (…) Nous voulions offrir un moyen aux gens de ce quartier [King Edward] d’être en mesure de pouvoir assister aux spectacles.»

Conquérir, reconquérir et fidéliser

Le Carrefour international de théâtre, à Québec, avait aussi adopté une tarification «inclusive» lors de sa plus récente mouture.

«Comme bien du monde, avec la pandémie, on avait connu une baisse de fréquentation, et on était dans l’esprit de reconquérir le public», souligne la directrice générale Dominique Violette.

L’organisation s’est inspirée du Cercle Molière, mais aussi d’une pratique qui a cours dans d’autres domaines que celui des arts vivants. «Le concept existait dans le domaine de l’alimentation et le service communautaire, mais pas vraiment en culture», reconnaît Mme Violette.

Avec sa nouvelle tarification, le Carrefour international de théâtre a atteint 80 % de son objectif financier, mais a vu ses ventes en billetterie grimper de 40 % par rapport à 2022, souligne sa directrice générale.

Le fait d’offrir des places à moindre coût a eu pour effet d’occuper davantage de sièges, en particulier par des gens qui autrement, ne seraient pas allés au théâtre, ajoute-t-elle.

«On a remarqué que 37 % de nos spectateurs étaient de nouveaux clients; ça, c’est extraordinaire, note Mme Violette. Là-dedans, il y a des gens qui n’ont pas déboursé pour venir voir un spectacle, mais qui comptent maintenant dans notre clientèle, et qu’on peut fidéliser par la suite.»

L’initiative n’a pas eu que des avantages financiers, souligne-t-elle. «Ça donne du souffle. Ça nous reconnecte à ce qui est le cœur de la mission d’un festival, de rejoindre le public. C’est très stimulant», relève-t-elle.

À peine une semaine après avoir dévoilé la nouvelle tarification, au Théâtre Prospero, on se dit agréablement surpris de la réaction du public.

«Ça nous a même surpris, confie M. de Repentigny. Ça ne fait que quelques jours, mais déjà, en suivant l’évolution de la vente de billets, on voit un équilibre se former entre ceux qui achètent des billets accessibles et ceux qui achètent les billets solidaires.»

La compagnie de théâtre se donne toute la saison pour décider si elle maintient cette nouvelle tarification. «On va voir ce que ça donne une fois que ça ne sera plus tout nouveau, et surtout, on va observer qui se retrouve dans la salle, souligne M. de Repentigny. Notre rôle, comme théâtre, c’est d’abord d’être un passeur, un intermédiaire entre des artistes, leur message et le public.»