Enquête du coroner sur un triple meurtre à Montréal et sur un suicide dans Lanaudière

MONTRÉAL — Alors que la Sûreté du Québec enquêtait sur le suicide à l’hôpital d’un homme qui avait déjà été arrêté pour violence conjugale, la police n’a pas immédiatement pensé à vérifier le bien-être de sa femme et ses deux enfants, qui ont été plus tard retrouvés morts chez eux à Montréal, a-t-on appris lundi à l’enquête de la coroner.

L’enquête sur les meurtres de Dahia Khellaf, 42 ans, et ses deux jeunes fils, Adam, quatre ans, et Aksil, deux ans, en décembre 2019, a débuté lundi au palais de justice de Joliette, dans Lanaudière.

Les trois victimes ont été étranglées par Nabil Yssaad, 46 ans, qui s’est ensuite suicidé en sautant d’une fenêtre d’un hôpital près de Joliette un jour avant que les trois corps ne soient retrouvés chez eux, à une soixantaine de kilomètres de là, à Pointe-aux-Trembles, dans l’est de Montréal.

Le couple était alors séparé et Mme Khellaf avait entamé des procédures de divorce.

En juillet 2022, le coroner Alain Manseau avait rédigé un rapport très critique à l’égard des procureurs et du tribunal impliqués dans le dossier de violence conjugale. Il concluait que le système aurait pu en faire plus pour protéger Mme Khellaf et ses enfants.

Selon le rapport du coroner Manseau, les procureurs du Québec ont abandonné quatre accusations contre Yssaad, dont celle d’avoir agressé et menacé Mme Khellaf, lorsqu’il a accepté de signer un engagement de ne pas troubler l’ordre public, cinq jours avant les meurtres.

Cet engagement de ne pas troubler l’ordre public empêchait Yssaad de contacter Mme Khellaf ou de se trouver à moins de 100 mètres de son domicile. Mais le tribunal n’a ordonné aucun traitement pour des problèmes de santé mentale.

À la suite de ce rapport, le coroner en chef du Québec a déclaré que «des faits nouveaux» étaient apparus qui nécessitaient une enquête plus approfondie, et il a ordonné la tenue d’une enquête publique.

Lundi, au premier jour des audiences publiques, la coroner Andrée Kronström a demandé à un enquêteur de la Sûreté du Québec, Jonathan Perron, si des inquiétudes avaient été soulevées au sujet de Mme Khellaf et des enfants après le suicide d’Yssaad le 10 décembre 2019 dans Lanaudière.

La coroner a noté que la police savait qu’Yssaad s’était rendu jusqu’à Saint-Charles-Borromée dans le véhicule de sa femme, avec deux sièges d’enfants vides sur la banquette arrière. De plus, les policiers savaient que des ordonnances du tribunal lui interdisaient d’être en présence de sa femme.

Après la découverte du corps d’Yssaad dans Lanaudière, l’enquêteur Perron de la SQ a déclaré qu’il avait demandé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) de se rendre au domicile familial pour relayer la nouvelle de son décès et confirmer son identité. Mais l’enquête a révélé que les policiers montréalais étaient repartis bredouilles lorsqu’ils n’ont pas eu de réponse à la porte du domicile montréalais.

«Lorsque j’ai eu le retour du SPVM tard en soirée à mon domicile à l’effet qu’il n’y avait pas de lumière, pas de réponse, là j’ai commencé à avoir un petit doute», a admis l’enquêteur lundi.

Mais il a aussi expliqué à la coroner que les policiers étaient souvent dépêchés pour annoncer des décès et n’entraient pas systématiquement dans les résidences si on ne répondait pas à la porte. «C’est pour ça que je n’ai pas insisté, à la première demande, afin qu’ils pénètrent à l’intérieur du domicile.»

L’enquêteur de la SQ a déclaré qu’il avait demandé au SPVM de retourner le lendemain matin, 11 décembre 2019, et d’enfoncer la porte s’il n’y avait pas de réponse.

Trente minutes plus tard, a-t-il dit, les policiers du SPVM lui ont annoncé qu’ils avaient retrouvé les trois cadavres à l’intérieur du domicile.

Lorsque la coroner lui a demandé si, rétrospectivement, «au meilleur de sa connaissance», le bien-être de la famille devait être pris en compte lors d’un suicide dans un contexte de violence conjugale, M. Perron a répondu: «Oui, effectivement, je crois qu’on devrait s’assurer du bien-être de l’entourage immédiat».

L’enquêteur a par ailleurs déclaré que Yssaad n’avait aucun lien avec l’hôpital près de Joliette ou avec cette municipalité, hormis une connaissance qui vivait à Notre-Dame-des-Prairies, une ville voisine. Les enquêteurs croient qu’il a choisi ce bâtiment parce qu’il était le plus élevé dans les environs.

L’enquête de la coroner Kronström devrait durer plus de deux semaines, au palais de justice de Joliette.