Françoise David dénonce le recul de la CAQ sur la réforme du mode de scrutin

MONTRÉAL — «Ce gouvernement est beaucoup trop puissant par rapport au nombre de votes qu’il a réellement obtenus. C’est trop.»

C’est sur le ton calme et posé qu’on lui connaît que Françoise David porte ce jugement sans complaisance, qui ne vise pas tant le gouvernement de François Legault lui-même que le mode de scrutin qui lui a donné ce pouvoir et son refus de le réformer malgré ses promesses de le faire.

Dans un entretien à bâtons rompus avec La Presse Canadienne, la cofondatrice de Québec solidaire et ex-députée de Gouin ne cache pas sa déception devant la distorsion de l’élection de 2022 où la Coalition avenir Québec a obtenu près des trois quarts des sièges à l’Assemblée nationale avec une minorité de votes. «N’oubliez pas que ce total de 90 députés (sur 125) a été obtenu avec 41 % des voix. Et avec 41 % des voix, ils ont un pouvoir incalculable. Ça n’a aucun sens, parce que l’autre quasiment 60 % des gens, ils sont très peu représentés. C’est ça, le mode de scrutin qu’on a.»

Virage à 180 degrés

Françoise David a quitté en février dernier le Mouvement démocratie nouvelle – qui milite pour une réforme du mode de scrutin – après y avoir œuvré durant quatre ans, mais la cause lui tient toujours à cœur. L’un des plus grands reproches qu’elle formule à l’endroit du gouvernement caquiste, même s’il y en a d’autres, est d’ailleurs son virage à 180 degrés sur la réforme du mode de scrutin.

François Legault en avait fait une promesse phare lors de la campagne électorale de 2018 à la suite d’un engagement solennel, pris dans les mois précédents avec le Parti québécois et Québec solidaire, alors que la CAQ était encore dans l’opposition. Le projet de loi 39 prévoyant une réforme du mode de scrutin, présenté par son gouvernement en 2019, est finalement mort au feuilleton.

«Ce qui est encore plus frustrant, c’est que M. Legault avait déposé un projet de loi et on a eu un début de commission parlementaire, la partie où on fait des consultations, donc une quarantaine de groupes, d’experts, etc., qui sont venus. C’était rendu très loin. Ça, c’est le plus loin qu’on ne soit jamais allé», soupire Mme David.

Même si elle reconnaît volontiers que cette réforme ait pu être mise de côté durant la pandémie, elle n’a toujours pas digéré la suite. «Quand ils ont tiré la « plogue », il n’y avait aucune raison. Aucune. En fait ils n’en ont même pas donné. Ils ont simplement dit que c’était une réforme qui intéressait seulement une poignée d’intellectuels. Ça, c’est du M. Legault tout craché», peste-t-elle.

«Du grand n’importe quoi»

«C’est faux, c’est fallacieux, c’est du grand n’importe quoi. C’est comme le troisième lien. On en fait un, là on n’en fait plus parce qu’on n’en a pas besoin, mais là dans le fond, on pourrait peut-être en faire un. C’est n’importe quoi. 

«C’est dans ces moments-là que ce gouvernement me déçoit le plus, poursuit-elle sans jamais élever la voix. Un gouvernement qui s’assume, de gauche, de centre ou de droite, à la limite tu dis « ok, les gens l’ont élu et ils savaient sur quoi ils l’élisaient ». Mais un gouvernement qui est incapable d’assumer ses idées, c’est décourageant», ajoute-t-elle.

En contrepartie, précise-t-elle, le pouvoir absolu que détient la CAQ lève le voile sur sa vraie nature. «Évidemment, ça fait l’affaire de M. Legault. Moi, ce que je trouve un peu dramatique c’est que là, on voit le vrai visage de la CAQ émerger: néo-libéral, relativement conservateur socialement, ne voulant pas demander aux plus riches de notre population de contribuer davantage, surtout pas, surtout pas», laisse-t-elle tomber.

Des bonnes notes malgré tout

Ce serait toutefois mal connaître Françoise David que de l’imaginer enfermée dans une partisanerie à tous crins. Elle concède volontiers, par exemple, que la CAQ l’a agréablement surprise durant la crise sanitaire.

«Quand la pandémie est arrivée, c’est vrai que M. Legault a surpris parce qu’il a adopté un certain nombre de mesures – je pense aux femmes victimes de violence entre autres. Il y a eu vraiment une prise de conscience alors que le problème allait en augmentant. Les maisons d’hébergement, les CALACS et tous ont eu des augmentations de budget. Il s’est passé quelque chose sur cette question-là. 

«On voyait qu’il y avait une volonté, oui, de travailler pour les gens. On peut ne pas être d’accord avec toutes les mesures qui ont été prises, mais on sentait cette volonté. À mon avis, c’est pour ça qu’il a été réélu», analyse-t-elle.

Elle a toutefois beaucoup de mal avec ses réflexes identitaires, notamment avec la loi 21 sur la laïcité ou encore avec certains éléments de la loi 96 sur la protection du français. «Il y a du bon, mais il y a aussi des problèmes comme, par exemple, d’exiger qu’au bout de six mois, n’importe quel immigrant soit capable de comprendre ce que le ministère du Revenu lui dit en français, ce qui est ridicule et que tout le monde sait que ça ne se fera pas.»

FFQ: «J’ai de l’espoir»

Elle pose ce même regard équilibré sur la Fédération des femmes du Québec (FFQ), reconnaissant que l’adhésion massive des femmes à l’époque où elle en était présidente s’est sérieusement effritée au cours des dernières années en raison des divergences internes importantes et très publiques motivées par différentes causes dans lesquelles de nombreuses femmes disent ne plus se reconnaître.

Elle rappelle toutefois que ces mouvements sont cycliques. «La Fédération des femmes, avant mon arrivée et celle de l’équipe avec laquelle j’avais travaillé, ne vivait pas une période faste. Il n’y a pas grand monde qui s’en rappelle, mais elle avait perdu le tiers de ses membres. On a remis tout ça en place en mobilisant les femmes avec la Marche Du pain et des roses de 1995 et c’est comme ça qu’on a réussi à se retrouver, à se rassembler, à se parler.» 

Françoise David constate que «la difficulté depuis, je ne sais pas, une dizaine d’années, c’est qu’il y a beaucoup de divergences et peut-être une difficulté à se rallier sur des thèmes communs». Malgré tout, dit-elle, «depuis deux ou trois ans – et j’ai eu l’occasion de rencontrer les nouvelles présidentes – je sens une volonté d’aller rechercher des membres, d’avoir des discussions peut-être plus conviviales, tout en continuant de représenter l’ensemble des femmes y compris celles des minorités». 

«Donc, j’ai de l’espoir. Ça n’est pas une situation facile, j’en conviens, mais j’ai de l’espoir.»

Toujours impliquée

Nous avons rencontré Mme David alors qu’elle participait à une conférence de presse de Québec solidaire réclamant des mesures de protection plus musclées pour les locataires aînés. Le regard vif et le verbe clair du haut des 75 ans qu’elle ne fait pas, elle sourit quand on lui demande pourquoi elle sort de sa retraite. «C’est relatif la retraite. La retraite, c’est de ne plus être obligée de se lever le matin pour aller travailler, mais je m’implique dans toutes sortes de choses depuis ma retraite.»

Son implication ne se dément pas, comme l’indiquent ses années avec le Mouvement démocratie nouvelle. «Maintenant, ce que je fais est à un rythme plus lent, évidemment, qu’avant ma retraite. C’est beaucoup d’appuyer des causes, mais je n’initie rien. Ça ne m’appartient plus. Il y a des jeunes, ils sont bons.»

Elle est toujours prête à signer des lettres, appuyer des causes qui lui sont chères ou à écrire des textes «que, parfois, j’envoie dans les journaux qui ont l’amabilité de les publier». 

Et elle continue de se faire entendre en coulisses, avoue-t-elle. «Quand j’ai des idées, il m’arrive d’appeler des gens. Après ils font ce qu’ils veulent avec mon idée.»