Le Canada doit s’attaquer au négationnisme des tombes anonymes, selon Kimberly Murray

OTTAWA — L’interlocutrice spéciale indépendante sur les tombes anonymes estime qu’il est «urgent» d’envisager des mécanismes juridiques pour permettre au Canada de lutter contre le négationnisme entourant l’existence des pensionnats fédéraux pour enfants autochtones.

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, s’est dit ouvert à une telle solution.

Kimberly Murray a lancé cet appel dans un rapport provisoire publié vendredi, un peu plus d’un an après avoir été nommée à ce rôle consultatif axé sur la manière dont Ottawa peut aider les communautés autochtones à retrouver les corps des enfants morts et disparus dans les pensionnats.

Son rapport final est attendu l’année prochaine et devrait contenir des recommandations.

L’ancienne directrice générale de la Commission de vérité et réconciliation du Canada a passé une grande partie la dernière année à parcourir le pays et à écouter le témoignage de différentes Nations, des experts et des survivants.

Le gouvernement fédéral a créé son rôle alors qu’il cherchait des moyens de répondre aux Premières Nations de tout l’Ouest canadien et de certaines parties de l’Ontario dans leurs recherches pour d’éventuelles tombes anonymes.

Dans son rapport provisoire, Mme Murray a fait part de ses inquiétudes quant à l’augmentation des attaques de «négationnistes» qui défient les Premières Nations lorsqu’elles annoncent la découverte d’éventuelles tombes anonymes.

«Cette violence est prolifique, peut-on lire dans le rapport. Elle se passe par courriel, au téléphone, sur les réseaux sociaux, dans des éditoriaux et même, parfois, lors de confrontations en personne.»

Mme Murray a énuméré plusieurs exemples de cette violence, notamment après que la nation Tk’emlúps te Secwépemc a annoncé avoir découvert ce qu’elle pense être 215 tombes anonymes sur le site de l’ancien pensionnat de Kamloops, en 2021.

Cette annonce a attiré l’attention des médias internationaux et déclenché une vague de choc et de colère à travers le pays, tant dans les communautés autochtones que non autochtones.

Mme Murray a cependant déploré qu’en plus de faire face à une pression médiatique forte, la Première Nation de la Colombie-Britannique ait dû composer avec des personnes qui se sont rendues sur le site directement.

«Des gens se sont présentés au milieu de la nuit avec des pelles pour « voir de leurs propres yeux » si des enfants y étaient enterrés. Des négationnistes ont également attaqué la communauté sur les réseaux sociaux», a-t-elle écrit.

Selon l’interlocutrice spéciale indépendante, le Canada a un rôle à jouer dans la lutte contre ce phénomène et il est nécessaire d’examiner «d’urgence» les outils juridiques qui existent pour s’attaquer à ce problème, y compris les sanctions civiles et criminelles.

«Ils ont des preuves: les photos des enterrements. Ils ont des registres qui prouvent que ces enfants sont morts. Tout ça est sur leurs épaules», a lancé Mme Murray devant une foule rassemblée vendredi dans la Première Nation de Cowessess, en Saskatchewan.

«Le gouvernement du Canada et les églises doivent intensifier leurs efforts», a-t-elle plaidé.

Le ministre ouvert

Le ministre Lametti, qui a nommé Mme Murray à son poste, a assuré qu’il était ouvert à toutes les possibilités pour lutter contre le négationnisme des pensionnats.

Il a mentionné que cela inclut «une solution légale et son interdiction», rappelant que certains pays ont criminalisé la négation de la Shoah pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le gouvernement fédéral a emboîté le pas, l’année dernière, en modifiant le Code criminel pour y préciser qu’une personne pourrait être reconnue coupable si elle encourage délibérément l’antisémitisme «en tolérant, en niant ou en minimisant la Shoah».

La mesure ne s’applique toutefois pas aux conversations privées.

La députée néo-démocrate Leah Gazan a également demandé au Parlement de légiférer pour que le déni des pensionnats soit considéré comme un discours de haine.

«Je reconnais les dommages causés par le négationnisme», a soutenu M. Lametti vendredi alors qu’il se joignait à l’événement dans la Première Nation de Cowessess par vidéoconférence.

La Première Nation de Cowessess a annoncé en juin 2021 qu’un géoradar avait identifié 751 tombes anonymes potentielles dans un cimetière communautaire près d’un ancien pensionnat.

Meilleur accès aux archives

Le rapport provisoire de Mme Murray a également souligné la nécessité d’offrir un meilleur accès aux archives, y compris aux documents très sensibles compilés pour statuer sur les demandes d’indemnisation en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Ils doivent être détruits d’ici 2027, comme l’a décidé la Cour suprême du Canada.

Les dossiers détaillent les abus subis par les survivants. Les survivants peuvent demander des copies de leurs propres dossiers ou consentir à ce qu’ils soient envoyés au Centre national pour la vérité et la réconciliation.

Le rapport de Mme Murray révèle que seuls 30 survivants ont choisi de conserver leurs dossiers.

L’interlocutrice spéciale a fait valoir que leur destruction imminente est préoccupante, car ils pourraient contenir des informations relatives à la mort et à l’enterrement d’autres enfants.

«Avant que ces dossiers ne soient détruits, il doit y avoir un examen indépendant et externe de ceux-ci pour répertorier les noms des enfants décédés et toute information sur leur décès et leur enterrement», a-t-elle écrit.