L’ex-juge Jacques Delisle, 88 ans, devra subir un deuxième procès pour meurtre

MONTRÉAL — L’ex-juge Jacques Delisle, qui a passé près d’une décennie derrière les barreaux pour le meurtre de son épouse, Nicole Rainville, en 2009, devra finalement subir le deuxième procès dont il avait réussi à se soustraire il y a un an.

La Cour d’appel vient de renverser l’arrêt des procédures prononcé en avril de l’an dernier dans ce deuxième procès et retourne le dossier en Cour supérieure pour qu’il suive son cours.

Jacques Delisle, aujourd’hui âgé de 88 ans, avait été déclaré coupable de meurtre prémédité par un jury le 14 juin 2012, alors qu’il avait toujours soutenu que sa conjointe s’était suicidée. Le verdict reposait en bonne partie sur le témoignage d’un pathologiste selon qui la trajectoire de la balle dans le cerveau de la victime rendait difficilement soutenable la thèse du suicide.

Démarches persistantes

L’ex-magistrat s’était rendu jusqu’en Cour suprême pour tenter d’en appeler de ce verdict, mais le plus haut tribunal lui avait opposé une fin de non-recevoir en décembre 2013.

Jacques Delisle n’avait pas lâché prise pour autant, demandant en 2015 une révision au ministre de la Justice qui confiait alors le dossier au Groupe de la révision des condamnations criminelles. 

Le rapport de ce dernier, basé sur les analyses de cinq pathologistes et de quatre experts en balistique concluait que le rapport d’autopsie présenté en preuve était déficient et critiquait sévèrement la perte de preuve parce que le cerveau de la victime, les coupes et la documentation photographique n’avaient pas été conservés.

En avril 2021, le ministre ordonnait la tenue d’un nouveau procès «car il était convaincu de l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire s’était probablement produite», rappelle la Cour d’appel. Jacques Delisle avait dès lors pu recouvrer sa liberté.

Arrêt des procédures

Jacques Delisle avait toutefois demandé et obtenu, le 8 avril 2022, un arrêt des procédures ordonné par le juge Jean-François Émond, celui-ci estimant que la perte de cette preuve l’avait privé du droit à une défense pleine et entière. 

Le banc de trois juges de la Cour d’appel, présidé par Martin Vauclair, reconnaît que «le juge n’a pas erré en concluant que la preuve était pertinente et importante et que sa perte résulte d’une négligence inacceptable de l’État».

Cependant, ajoute-t-il, «il a erré quant au caractère déterminant de cette preuve, un résultat irréconciliable avec sa propre conclusion sur la portée des expertises examinées. En effet, malgré les défaillances du dossier d’autopsie, les experts font la démonstration qu’il est possible de présenter, au sujet de la trajectoire du projectile, une preuve probante contraire à celle du pathologiste qui a procédé à l’autopsie initiale. Le préjudice n’est donc pas irrémédiable.»

Une preuve malgré l’absence de preuve

D’après la Cour d’appel, «une directive au jury pourrait constituer une réparation juste et raisonnable. (…) La jurisprudence établit que l’arrêt des procédures n’est pas la réparation appropriée si l’accusé peut néanmoins présenter adéquatement les faits qui soutiennent sa défense.»

«Il est frappant de constater que les experts ont réalisé leurs analyses et opinions à partir de la preuve, en dépit de la preuve perdue, précise le tribunal. Mais il demeure possible de présenter une preuve prépondérante selon laquelle la trajectoire n’est pas celle établie par le pathologiste.»

La Cour reconnaît toutefois que «l’État a contrevenu au droit à une défense pleine et entière de Delisle en raison d’une négligence inacceptable. Cependant, le fait qu’il soit privé de démontrer avec certitude la trajectoire du projectile ne justifie pas un arrêt des procédures.»

Bien qu’elle suggère d’inclure une directive au jury en lien avec la perte de la preuve, «la Cour préfère laisser le juge et les parties déterminer la réparation appropriée ou encore, toute autre réparation qui sera susceptible de pallier la négligence inacceptable de l’État ayant mené à la disparition de la preuve».

Rejoint par La Presse Canadienne, le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’a pas voulu commenter cette décision.