L’Ontario refuse de déclarer que la violence conjugale constitue une «épidémie»

TORONTO — Le gouvernement ontarien refuse de déclarer officiellement que la violence conjugale constitue une «épidémie», comme le recommandait une enquête du coroner sur la mort de trois femmes, toutes assassinées par le même ex-conjoint en 2015.

Le jury à l’enquête du coroner sur les décès de Nathalie Warmerdam, Carol Culleton et Anastasia Kuzyk, dans le comté de Renfrew, a fait cette recommandation il y a un an aujourd’hui. Le jury formulait aussi 85 autres recommandations visant à prévenir des tragédies similaires. La plupart de ces recommandations s’adressaient au gouvernement provincial, qui a maintenant répondu à toutes.

Le gouvernement ontarien reconnaît l’intention de la recommandation de déclarer officiellement que la violence conjugale constitue une «épidémie», mais il plaide qu’il ne s’agit pas d’une maladie infectieuse ou transmissible.

Il admet qu’il s’agit d’un problème grave et affirme qu’il continuera à travailler pour lutter contre la violence conjugale en utilisant une approche concertée et pangouvernementale.

Cette réponse ne convient pas à Kirsten Mercer, une avocate qui représentait End Violence Against Women Renfrew County lors de l’enquête.

«Avec tout le respect, je peux aussi chercher épidémie dans le dictionnaire», a-t-elle répondu.

«Je pense qu’une partie de la raison pour laquelle c’est important est que l’utilisation de ce cadre de santé publique pour comprendre ce qui se passe est une autre façon de dire aux survivants que ce qui leur arrive n’est pas de leur faute. Ce n’est pas un défaut de caractère de leur part. Il s’agit d’un phénomène sociologique. C’est un problème qui touche l’ensemble de la société.»

Plus de 30 municipalités de la province ont déclaré que la violence conjugale était une épidémie. La liste comprend la région de Peel, la région de Halton, Ottawa et le comté de Renfrew.

«Dans un certain sens, oui, c’est peut-être un symbole, mais c’est un symbole important, et c’est parfois le rôle du gouvernement — un symbole, un signal et un engagement de l’ampleur du problème et du type d’approche dont nous avons besoin pour nous y attaquer et le démanteler», a déclaré Mme Mercer.

Une commission indépendante réclamée

Le gouvernement refuse également de mettre sur pied une «commission indépendante sur la violence conjugale» et de créer le rôle de «porte-parole des survivants», pour défendre leurs intérêts au sein du système judiciaire, comme le recommandait le jury de l’enquête du coroner. Le gouvernement estime que cela ferait double emploi avec les systèmes existants dans cette province.

Pamela Cross, avocate et experte en matière de violence à l’égard des femmes qui a témoigné lors de l’enquête, a indiqué que si le type de travail qu’effectueraient une commission et un porte-parole des survivants existait déjà, le jury n’aurait pas recommandé leur création.

«Le jury a entendu trois semaines de témoignages d’experts et est arrivé à cette conclusion», a-t-elle rappelé.

«Je suis offensée par la réponse générale de la province, en particulier par son manque de volonté de s’engager dans l’une ou l’autre des recommandations qui appellent à une responsabilité et à une transparence accrues du gouvernement.»

Néanmoins, le gouvernement a accepté bon nombre des autres recommandations, ou y travaille, dont une pour explorer les moyens de permettre aux gens de savoir si leur partenaire a des antécédents de violence conjugale, similaire à la «loi de Clare» au Royaume-Uni.

Plusieurs ministères travaillent depuis plusieurs mois pour étudier la meilleure approche, y compris si une nouvelle loi est nécessaire ou si l’Ontario pourrait modifier les outils politiques existants, a déclaré le gouvernement dans sa réponse aux recommandations.

Le gouvernement travaille aussi sur un meilleur partage de l’information entre les services de police, les tribunaux et le reste du système judiciaire. Il souhaite revoir la formation des procureurs de la Couronne, du personnel des programmes d’aide aux victimes et aux témoins, de la police et du personnel correctionnel, et augmenter le financement et l’efficacité du Programme d’intervention auprès des partenaires violents, qui vise à donner aux agresseurs des outils pour résoudre les conflits sans violence.

Ordonner un soutien psychologique

Le gouvernement avait publié en février la «première partie» de sa réponse, qui traitait des progrès réalisés sur un peu plus de la moitié des recommandations. 

Il évoquait alors la possibilité de modifier la Loi sur le droit de la famille pour donner aux tribunaux le pouvoir d’ordonner un soutien psychologique aux agresseurs dans le cadre d’ordonnances restrictives en cas de violence conjugale, et d’organiser une conférence sur les approches qui tiennent compte des traumatismes lors des enquêtes sur les violences sexuelles.

Le gouvernement soutient qu’il travaille déjà notamment sur l’examen de futures mises à jour du programme d’études secondaires pour ajouter des informations sur la reconnaissance des relations saines et abusives et la prévention de la violence. 

Il souhaite aussi examiner des améliorations à apporter à la formation sur la violence entre partenaires intimes au sein du système judiciaire, et la formation des policiers sur l’évaluation des risques d’agression familiale.

Le jury de l’enquête du coroner a également formulé plusieurs recommandations au gouvernement fédéral, mais aucune réponse d’Ottawa n’a été reçue jusqu’ici par le bureau du coroner. On recommandait notamment d’étudier la possibilité d’ajouter au Code criminel le terme «féminicide», et sa définition, «afin qu’il soit utilisé, le cas échéant, dans le contexte des crimes pertinents». 

Basil Borutski a été reconnu coupable du meurtre des trois femmes lors d’un carnage d’une heure dans la vallée de l’Outaouais, en 2015.

Selon Statistique Canada, 90 victimes d’homicide ont été tuées en 2021 par un partenaire intime – dont les trois quarts étaient des femmes et des filles. On recensait 84 victimes en 2020 et 77 en 2019.