Montréal veut des logements abordables; les promoteurs préfèrent les profits

MONTRÉAL — Depuis six ans, la Ville de Montréal est propriétaire des terrains de l’ancien Hippodrome dans l’ouest de la ville. Elle espère y construire un quartier «écomodèle» qui pourrait contribuer à résoudre la crise du logement, mais les promoteurs ont jusqu’à maintenant exprimé peu d’intérêt.

Les ambitions des autorités municipales sont coûteuses, dit Pierre Boivin, président et chef de la direction de la société d’investissement privé Claridge. L’ancien président des Canadiens de Montréal codirige le Groupe d’accélération pour l’optimisation du projet de l’Hippodrome (GALOPH), dont le rôle est d’élaborer un nouveau modèle de lotissement pour l’endroit.

Le modèle précédent mis en place par l’administration de la mairesse Valérie Plante était impossible à réaliser pour les promoteurs, car ces derniers ne pouvaient pas en tirer des profits. «À cause des prix du marché, des coûts de construction et le cadre réglementaire des logements subventionnés, ce modèle économique ne pouvait pas fonctionner», affirme M. Boivin.

Pour certains détracteurs, l’administration Plante n’a pas mis en place un plan clair visant à étendre les infrastructures publiques dont dépend toute future réalisation sur le site de l’Hippodrome. 

C’est un exemple de la difficulté pour les villes canadiennes de venir en aide à leurs pauvres et à défendre des valeurs sociales tout en répondant à la nécessité de construire des nouveaux logements.

Sur son site internet, la Ville de Montréal dit vouloir «faire du futur quartier Namur-Hippodrome un milieu de vie carboneutre axé sur le transport actif et collectif, avec la présence de grands espaces verts». Elle compte y construire 12 500 logements au cours des prochaines années.

Mais jusqu’à présent, l’administration municipale n’a conclu qu’une seule entente. L’Espace La Traversé construira un immeuble comptant de 200 à 250 logements locatifs totalement abordables.

À l’automne 2022, la Ville avait lancé un appel d’offres pour la vente d’une deuxième parcelle de terrain, mais elle n’a reçu aucune soumission. L’appel comportait l’obligation d’avoir 60 % de condos abordables sur une période d’au minimum 30 ans. L’enchère minimale s’élevait à 10 millions $.

La Ville demandait trop, estime l’Institut économique de Montréal, un groupe de réflexion de droite. «Quand on tient compte du prix élevé du terrain et du petit nombre de logements au prix du marché qu’on pourra y construire, c’est très difficile pour les promoteurs de faire de l’argent avec ça, souligne le porte-parole Renaud Brossard. En conséquence, cela ne les intéresse pas. Et au lieu d’avoir un quartier animé comptant 6000 logements, on a un terrain vacant et aucun plan de lotissement en vue.»

L’ancien conseiller municipal, Marvin Rotrand, un opposant à l’administration Plante, exprime ses doutes sur ce qu’il appelle «la vision utopique» de la municipalité. Selon lui, elle n’attirera pas les promoteurs. Il reproche à la Ville d’effrayer le secteur privé en établissant des cibles élevées tout en n’adoptant pas un plan d’infrastructure.

«[L’administration] croit pouvoir dicter des ordres aux promoteurs, mais ceux-ci lui tournent le dos, lance-t-il. La Ville est déconnectée, c’est ça la réalité. Elle ne sait pas comment régler ces problèmes.» 

Pour la Ville de Montréal, les cibles de logements abordables ne sont pas la cause du retard dans le projet de l’Hippodrome. Benoit  Dorais, responsable de l’habitation au comité exécutif de Montréal, reconnaît que les promoteurs souhaitent un plan plus complet pour le secteur.

La Ville a formé le GALOPH à la suite de l’échec du deuxième appel d’offres. Son mandat est de présenter un nouveau plan d’affaires pour attirer les promoteurs privés et satisfaire aux «objectifs sociaux» de la municipalité. Celui-ci devrait être présenté au début de 2024. 

M. Dorais dit être persuadé que le groupe respectera les objectifs de la Ville de Montréal en matière de logements abordables.

«Le groupe a accepté la vision de la Ville de Montréal, souligne-t-il. Il ne nous dira pas que nous avons besoin de moins de logements abordables. Tout le monde dit que nous avons besoin de beaucoup de logements, de beaucoup de logements abordables, de beaucoup de logements sociaux.»

M. Boivin juge lui aussi que la Ville ne devrait pas diminuer ses objectifs, mais il croit qu’un plan efficace nécessitera l’appui de tous les gouvernements et des promoteurs afin de financer un programme de logements subventionnés et d’infrastructures.

«Nous allons tout faire pour briser le moule et créer un nouveau modèle pour ce problème. Sinon, on n’y parviendra jamais», lance-t-il.

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.