Nouvelle étape dans le combat juridique opposant Ottawa aux travailleuses du sexe

MONTRÉAL — C’est lundi matin que la Cour supérieure de l’Ontario rendra sa décision au sujet de la demande des travailleuses et des travailleurs du sexe qui exigeaient l’abrogation de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes de l’exploitation (LPCEPA), le tout dans l’optique de décriminaliser ce secteur.

La décision attendue lundi représente la première manche d’une bataille juridique que se livreront probablement pendant plusieurs années le gouvernement fédéral et l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe (ACRLTS).

Celle-ci s’attaque à une réforme des lois qui encadrent le travail du sexe, adoptée en 2014 par le gouvernement de Stephen Harper. Plutôt que de criminaliser la prostitution, ce que la Cour suprême du Canada avait jugé inconstitutionnel quelques mois plus tôt, la réforme législative criminalisait l’achat de services sexuels. La publicité pour ces services et le proxénétisme demeurent aussi interdits et sont punissables par la loi.

Or, soutient l’Alliance, qui fédère 26 organisations canadiennes de soutien et de défense des travailleurs du sexe, comme la loi continue de criminaliser certains aspects de leur travail, les travailleurs et travailleuses du sexe voient leur droit fondamental à la sécurité être violé parce qu’ils sont forcés de travailler dans la clandestinité.

«C’est un ensemble de lois qui a été mis en place avec l’objectif explicite de criminaliser entièrement le secteur pour nous éradiquer, relève en entrevue Sandra Wesley, directrice générale de Chez Stella, un organisme montréalais membre de l’alliance. L’objectif n’est pas la protection des travailleuses du sexe, et on l’a vu avec une augmentation de la violence et d’autres effets néfastes.»

«Cette loi-là met notre vie en danger. On se fait assassiner», ajoute-t-elle.

Décriminaliser pour sécuriser

Selon Mme Wesley, il importe de distinguer le travail du sexe, effectué par des adultes consentants, du trafic humain. D’ailleurs, la contestation constitutionnelle des lois régissant le travail du sexe n’inclut pas les sections qui traitent spécifiquement des mineurs, précise la directrice.

Elle croit que la décriminalisation et donc la reconnaissance du travail du sexe permettrait de diminuer la violence que subissent ceux et celles qui l’exercent.

«Si on accepte que le travail du sexe est un travail, les réponses aux questions d’exploitation sont évidentes, fait-elle valoir. Dans n’importe quel travail, il y a un risque d’exploitation, c’est la nature même du capitalisme. C’est pour cette raison qu’il existe des protections pour les travailleurs et des mécanismes comme les normes du travail pour s’assurer que les travailleurs aient des droits et qu’ils ne soient pas exploités.»

«En continuant de criminaliser l’industrie du sexe, on invite des patrons à nous exploiter, on invite les personnes violentes à nous cibler et on nous prive de notre droit à la sécurité», poursuit-elle.

Droit à l’autonomie

Aux dires de Sandra Wesley, la cause concerne beaucoup plus que les travailleurs du sexe. 

«Notre cause inclut des arguments très complexes sur le droit à l’égalité, donc la discrimination envers les femmes, envers les groupes marginalisés et par rapport à notre autonomie, notre droit de consentir à des relations sexuelles. Et ça, c’est un dossier qui va non seulement affecter les travailleuses du sexe, mais toutes les personnes», dit-elle.

«On vient contrer l’idée que le droit à l’autonomie par rapport à notre corps ce n’est pas simplement le droit de ne pas être violé, ajoute-t-elle. Il inclut aussi un droit affirmatif à consentir à des relations sexuelles et ses nuances et comment on voit le droit des femmes, le droit à l’avortement, qui pourrait même être en danger si le gouvernement avait gain de cause.»

L’une ou l’autre des parties fera assurément appel de la décision devant la Cour d’appel ontarienne, prédit Mme Wesley. Compte tenu de ses lourdes implications, la cause devrait aussi se rendre jusqu’à la Cour suprême du Canada.

«Ce qu’on espère, c’est que le gouvernement fédéral ne pas va pas attendre la décision de la Cour suprême, mais va agir dès maintenant et passer une loi pour décriminaliser le travail du sexe», indique Mme Wesley, qui ne se berce toutefois pas d’illusions.

 «Cet acharnement à défendre la criminalisation du travail du sexe se fait à travers des arguments qui devraient faire honte au gouvernement libéral qui se dit un défenseur des femmes», laisse-t-elle tomber.