Ottawa accueille le quatrième tour des négociations visant un accord sur le plastique
OTTAWA — Des négociateurs de 176 pays se réuniront cette semaine à Ottawa pour le quatrième cycle de négociations visant à créer un traité mondial pour éliminer les déchets plastiques en moins de 20 ans.
La capitale canadienne accueille le quatrième des cinq cycles de négociations, dans le but de finaliser un accord d’ici la fin de l’année, un objectif établi par une résolution de l’Organisation des Nations unies (ONU) adoptée en mars 2022.
La prolifération des plastiques a été massive: il s’agit d’un matériau privilégié, notamment à cause de son prix abordable et sa longévité. Leur longue vie signifie toutefois qu’ils ne disparaîtront jamais.
En raison de leur impact sur la nature et les préoccupations croissantes concernant la santé humaine, le monde entier cherche désormais des manières de se débarrasser des déchets plastiques et d’éliminer les produits chimiques les plus problématiques utilisés pour leur fabrication.
Le ministre canadien de l’Environnement, Steven Guilbeault, a joué un rôle crucial dans le lancement des négociations sur le traité sur le plastique en 2022, lorsqu’il a contribué à faire adopter une résolution à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement au Kenya.
Il reste convaincu qu’un traité fort est nécessaire.
«Nous voulons agir le plus rapidement possible pour éliminer la pollution plastique, a-t-il déclaré dans une entrevue avec La Presse Canadienne. L’objectif collectif que nous nous sommes fixé est de le faire d’ici 2040, mais je pense que, du point de vue environnemental et sanitaire, le plus tôt sera le mieux.»
Toutefois, M. Guilbeault hésite encore à prendre une position définitive sur l’éléphant dans la salle des négociations: un plafond sur la production de plastique.
«Nous voulons un traité ambitieux, a-t-il affirmé. Je ne pense pas que ce soit le moment de commencer… à m’enliser dans certaines choses et à dire: »OK, eh bien, ça y est. » Ayons la conversation et voyons où ça nous mène.»
Pour de nombreuses organisations environnementales et sanitaires qui observent les négociations, la meilleure façon de résoudre la crise du plastique est en premier lieu de réduire la quantité produite.
Mais c’est une mesure qu’excluent les industries de production de produits chimiques et de plastique, dont les membres affirment que les solutions de rechange au plastique sont souvent plus chères, plus gourmandes en énergie et plus lourdes.
Karen Wirsig, cheffe de projet pour Environmental Defence, prévient que la production de plastique doublerait d’ici 2050 si rien n’est fait pour la contrôler. Les déchets plastiques pourraient tripler d’ici 2060, a-t-elle averti.
«La pollution plastique est une crise mondiale qui s’empire de jour en jour tant qu’on laisse la production et l’utilisation du plastique incontrôlées, a-t-elle ajouté. La Terre et notre santé ne peuvent pas se permettre qu’on fasse comme si de rien n’était.»
Mauvaise gestion des déchets
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) indique que la production mondiale de plastique est passée de 234 millions de tonnes en 2000 à 460 millions de tonnes en 2019, tandis que les déchets plastiques sont passés de 156 à 353 millions de tonnes.
À l’échelle mondiale, environ la moitié de ces déchets finissent dans les sites d’enfouissement, alors qu’un cinquième est incinéré, parfois pour produire de l’électricité, et que seulement un dixième est recyclé. Plus d’un cinquième est «mal géré», ce qui signifie qu’il se retrouve là où il n’est pas censé être.
Le problème de la mauvaise gestion est bien pire dans les économies en développement, où les programmes de gestion des déchets sont limités, voire inexistants. Dans certaines régions d’Afrique, l’OCDE estime que près des deux tiers des déchets plastiques sont mal gérés, et dans une grande partie de l’Asie, ce serait près de la moitié. Cela se compare à moins d’un dixième dans les pays les plus riches du monde.
À ce problème s’ajoute le fait que les pays riches continuent d’exporter leurs déchets malgré les règles internationales en vigueur pour empêcher cette pratique. L’automne dernier, une enquête de La Presse Canadienne en partenariat avec Lighthouse Reports et des journalistes du Myanmar, de Thaïlande et d’Europe a révélé la présence d’emballages alimentaires en plastique et de pièces de plomberie canadiennes dans des tas d’ordures entourant les maisons et les jardins d’une ville du Myanmar.
Au Canada, selon l’OCDE, plus de 80% des déchets plastiques sont envoyés dans des sites d’enfouissement et seulement 6% sont recyclés. 7% de ces déchets sont considérés comme étant mal gérés.
Le projet de traité ratisse large. Il comprend notamment des discussions sur un plafond de production et sur une réduction des types de produits les plus couramment trouvés dans la nature et ce que l’on appelle les produits chimiques préoccupants.
Un rapport de l’ONU préparé avant le deuxième cycle de négociation, à Paris, en juin dernier, indiquait que plus de 13 000 produits chimiques sont utilisés pour fabriquer des plastiques et que 10 groupes de ces produits chimiques sont hautement toxiques et susceptibles de se libérer de leurs produits. Cela comprend les agents ignifuges, les agents anti-UV et les additifs utilisés pour rendre les plastiques plus durs, imperméables ou résistants aux taches.
La Dre Lyndia Dernis, anesthésiologiste à Montréal et membre de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, a déclaré que la plupart des additifs plastiques sont des perturbateurs endocriniens, qui provoquent plusieurs conséquences, du diabète à l’obésité, en passant par l’hypertension artérielle, l’infertilité, le cancer et les troubles immunologiques.
Dre Dernis a affirmé que le plastique est extrêmement courant en médecine. Par exemple, lorsqu’elle commence une intraveineuse à une personne enceinte, elle dit que le produit contient des phtalates, «un perturbateur endocrinien très bien étudié».
«Au début de la grossesse, le système reproducteur d’une petite fille est en place, y compris tous les ovules pour le reste de sa vie. Cela signifie que lorsque je commence une injection intraveineuse, j’expose trois générations à la fois : la maman enceinte, sa future petite fille, et les enfants de ce bébé», a-t-elle indiqué.
Entre réduction, interdiction et réutilisation
Greenpeace et d’autres groupes environnementaux demandent que la production de plastique soit réduite de 75 % par rapport aux niveaux de 2019 d’ici 2040. Le recyclage, affirment-ils, est un mythe. La plupart de ce que les Canadiens jettent dans leurs boîtes finissent quand même dans les sites d’enfouissement.
Isabelle Des Chênes, vice-présidente des politiques de l’Association canadienne de l’industrie de la chimie, a déclaré que la solution ne réside pas dans l’interdiction ou l’élimination des déchets plastiques.
Selon elle, l’élément clé du traité est plutôt de créer une «économie circulaire» dans laquelle les entreprises conçoivent des produits qui seront réutilisés et recyclés plutôt que jetés.
Cela comprend des investissements dans des équipements permettant de décomposer les plastiques en leurs composés d’origine afin de les réutiliser, ainsi que la normalisation des conceptions pour faciliter le recyclage, a-t-elle affirmé.
Mme Des Chênes a donné l’exemple des sacs de chips, qui sont constitués de couches de différents polymères plastiques, qui diffèrent selon la marque. Il serait plus facile de recycler ces sacs si ces couches étaient standardisées.
M. Guilbeault a promis que la réglementation au Canada exigerait à la fois des quantités minimales de contenu recyclé dans les plastiques et une cohérence dans la conception. Selon lui, ces deux exigences augmenteront le marché du recyclage, qui demeure très limité au Canada. Des mises à jour sur ces promesses pourraient être attendues lors des négociations sur le traité, a-t-il laissé entendre.
Certains efforts nationaux du Canada sont suspendus après que la Cour fédérale a statué l’automne dernier que la décision du gouvernement de désigner tous les plastiques comme «toxiques» était trop large. C’est cette désignation que le Canada utilise pour interdire la production et l’utilisation de certains plastiques à usage unique comme les pailles, les sacs d’épicerie et les contenants à emporter.
Le Canada fait appel de cette décision et Steven Guilbeault a déclaré que l’affaire n’aura aucune influence sur les positions fédérales lors des négociations sur le traité.
Les négociations sur le traité de novembre au Kenya ont vu le projet de texte de l’accord passer de 35 pages à plus de 70. Il contient actuellement beaucoup de répétitions, avec de multiples options sur les éléments reflétant une grande variété de points de vue.
M. Guilbeault aimerait que ce texte soit «propre à 70 %» d’ici la fin du cycle de négociations à Ottawa, laissant les questions les plus difficiles être traitées lors de discussions parallèles au cours de l’été, pour être finalisées en Corée à l’automne.
Les négociations sur le traité à Ottawa débutent mardi et dureront sept jours.