Premier projet d’hydrogène vert au Canada: 4 milliards $ à Shawinigan

SHAWINIGAN, Qc — L’entreprise TES Canada investit 4 milliards $ sans aucun fonds public pour construire à Shawinigan une usine de production d’hydrogène «vert», un carburant qui sert à réduire la dépendance aux hydrocarbures dans les transports lourds et l’industrie.

«C’est le premier projet d’hydrogène vert au pays», a indiqué le ministre fédéral François-Philippe Champagne lors de la conférence de presse vendredi matin, à Shawinigan, en compagnie du ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibbon.

Le client principal sera Énergir qui produira d’ici à 2030 un cinquième environ de son «gaz naturel renouvelable» (GNR), soit 115 millions de mètres cubes, avec cet hydrogène.  

«C’est le plus grand projet de décarbonation du Québec pour le Québec», a-t-il poursuivi: en effet, toute la production est garantie par écrit pour fournir les besoins du Québec et permettrait ainsi de réduire de 800 000 tonnes par an les émissions de gaz à effet de serre (GES).   

«Si on veut atteindre nos objectifs de décarbonation, on doit miser sur plusieurs filières d’énergies renouvelables», dont l’hydrogène, a plaidé M. Fitzgibbon. 

La construction des installations devrait créer 1000 emplois et par la suite l’exploitation nécessitera l’embauche de 200 travailleurs. L’usine devrait commencer ses activités en 2028.

Un prix élevé

Il y a tout de même des risques et cette filière en est à ses débuts, a laissé entendre la cofondatrice de TES Canada, France Chrétien Desmarais, fille de l’ex-premier ministre Jean Chrétien et épouse d’André Desmarais, de Power Corporation du Canada. 

En effet, l’hydrogène vert coûte plus cher que les produits qu’il doit remplacer, comme le diesel. 

«On ne peut prédire l’avenir, mais pour l’instant, ça s’en va dans la bonne direction», a-t-elle commenté en mêlée de presse. 

«Au début, j’allais m’asseoir dans certains bureaux pour en discuter. On me disait: ‘je t’entends, reviens dans dix ans’. Maintenant, les gens appellent parce qu’ils savent qu’il y a un problème et qu’il faut agir. (…) Le prix éventuellement va peut-être rejoindre le prix du diesel.»

Elle a même évoqué la possibilité d’une expansion pour accroître la production, qui sera de 68 000 tonnes par an. 

Procédé énergivore

Il faut beaucoup d’électricité pour produire de l’hydrogène, à partir de l’eau, par un procédé d’électrolyse.

L’usine TES Canada produira de l’hydrogène «vert»: c’est ainsi que le carburant est désigné quand il est produit à partir de sources d’énergies renouvelables. Cette usine sera alimentée à 70 % par ses propres parcs éolien et solaire à proximité, et à 30 % par l’énergie d’Hydro-Québec. 

Le projet de parcs éolien et solaire sera assujetti à l’examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

En période de pointe pour Hydro-Québec, l’usine s’engage à être autosuffisante en énergie pour ne pas solliciter le réseau.

L’hydrogène est un gaz hautement inflammable. Ses usages sont nombreux, soit dans son état d’origine ou soit converti en GNR.

Il représente ainsi un «grand potentiel de diminution de GES», a expliqué le professeur Bruno Pollet, de l’UQTR, lors d’une séance de breffage technique.

Il peut alimenter des secteurs industriels où il est actuellement difficile de réduire les émissions de GES, comme les cimenteries. Dans le transport lourd, où les batteries n’ont pas la capacité nécessaire, l’hydrogène devient crucial.

Le Québec vise la carboneutralité en 2050, mais «on doit être réaliste, on ne pourra pas tout électrifier», a argué le ministre Pierre Fitzgibbon.

«Quand on parle de camions lourds qui parcourent de longues distances, l’hydrogène vert offre une solution zéro carbone», a expliqué le directeur général de TES Canada, Éric Gauthier, en conférence de presse. 

«De même, certains procédés industriels ne peuvent pas compter sur l’électrification (…). L’hydrogène vert et ses produits dérivés tels que le gaz naturel renouvelable sont une solution tangible.»

Des clients dans l’industrie du camionnage auraient déjà exprimé leur intérêt, a fait savoir M. Gauthier. 

Sans GES?

Mais comment l’hydrogène converti en gaz naturel peut-il être considéré comme «carboneutre», alors que le gaz naturel émet des GES lors de sa combustion? C’est que le procédé pour faire du GNR requiert du gaz carbonique et récupère donc ainsi des GES.   

L’actionnaire principal de TES Canada est l’entreprise Tree Energy Solutions.

Le projet sera financé par du capital des actionnaires, des emprunts bancaires ainsi que des crédits d’impôt gouvernementaux, a détaillé M. Gauthier. 

UPA

L’Union des producteurs agricoles (UPA) a exprimé ses inquiétudes concernant les superficies des éventuels parcs éolien et solaire qui pourraient gruger des surfaces arables.

«L’organisation est préoccupée par l’implantation de plus d’une centaine d’éoliennes dans une dizaine de municipalités des MRC des Chenaux et de Mékinac», a-t-on affirmé dans un communiqué.

«Dans le contexte, l’UPA Mauricie craint que ces nouvelles infrastructures viennent supprimer des superficies cultivables.»

L’acceptabilité sociale des parcs éolien et solaire constituera un enjeu dans les consultations du BAPE et plusieurs élus municipaux étaient d’ailleurs sur place à l’annonce. 

«Tout le monde dit: ‘pas dans ma cour’, a concédé France Chrétien Desmarais. On comprend, mais après une bout de temps, on a tous une responsabilité sociale de faire arriver les choses. 

«On verra où ça atterrit, mais on a différents scénarios possibles», a-t-elle conclu.