Troubles neurocognitifs: hausse de 145 % des cas au Québec d’ici 2050

MONTRÉAL — Le nombre de personnes vivant avec des troubles neurocognitifs pourrait bondir de 145 % au Québec d’ici 2050, prévient un nouveau rapport de la Société Alzheimer du Canada dont les conclusions ont été partagées avec La Presse Canadienne avant leur dévoilement lundi.

Cela signifie que plus de 360 000 personnes auront développé un trouble neurocognitif dans la province d’ici 2050, selon le rapport.

À l’échelle du Canada, c’est une augmentation de 187 % qui est prévue à ce même horizon, pour un total de plus de 1,7 million de personnes vivant avec la maladie.

«On sait maintenant à quoi on fait face, a dit Sylvie Grenier, la directrice générale de la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer. On l’annonce depuis plusieurs années, mais là c’est décrit, nous avons les chiffres. Il faut maintenant travailler pour faire en sorte qu’on accompagne ces gens-là, qu’on fasse en sorte que leur qualité de vie soit maintenue.»

Le nombre de personnes d’origine africaine vivant avec des troubles neurocognitifs au Québec devrait passer de 1460 à 11 490 d’ici 2050, soit un bond de 687 %. La hausse anticipée sera de 683 % pour les personnes d’origine asiatique et de 271 % pour les personnes d’origine autochtone.

«Compte tenu de l’évolution des tendances d’immigration, le profil ethnique des personnes âgées au pays est en train de changer, peut-on ainsi lire dans le document. Ce profil en mutation de la population se reflète directement dans les origines ethniques des personnes susceptibles de développer un trouble neurocognitif au cours des 30 prochaines années.»

Les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes par les troubles neurocognitifs. En 2020, environ les deux tiers des personnes vivant avec un trouble neurocognitif au Canada étaient des femmes. Et si les tendances actuelles se maintiennent, d’ici 2028, ce sont plus de 100 000 femmes qui recevront un diagnostic de trouble neurocognitif chaque année au Canada.

Un peu plus de 91 500 personnes vivant avec des troubles neurocognitifs en 2020 au Québec étaient des femmes; on pourrait en recenser plus de 225 000 d’ici 2050, précise l’étude «Les multiples facettes des troubles neurocognitifs au Canada».

«Maintenant qu’on a ça devant nous, on doit agir», a laissé tomber Sylvie Grenier.

Peuples autochtones et autres

Bien que le rapport mette en lumière les défis qui attendent le Québec et le Canada en général, il jette aussi un éclairage instructif sur la situation qui prévaut au sein de différentes sous-populations, qu’il s’agisse des personnes d’origine autochtone, africaine ou asiatique.

Comme c’est le cas pour l’ensemble de la population, le vieillissement de la population s’accompagne d’une augmentation des risques de troubles neurocognitifs dans les communautés autochtones, précise ainsi le document.

L’étude souligne par ailleurs que «la colonisation est une cause profonde associée au risque de troubles neurocognitifs et d’autres problèmes de santé chez les populations autochtones».

Le legs de la colonisation, précise-t-elle, entretient notamment «un désavantage socio-économique qui limite les choix sains (régime alimentaire, activité physique, prise des médicaments, etc.), augmente les niveaux de stress et diminue la capacité à prendre soin de soi et à changer pour adopter un comportement sain».

Le contexte socio-économique, poursuivent les auteurs de l’étude, peut avoir un impact important sur des facteurs de risque modifiables de troubles neurocognitifs, comme le diabète, le faible niveau d’éducation, les blessures à la tête, les maladies cardiovasculaires, la consommation d’alcool, les traumatismes infantiles, l’hypertension à mi-vie, l’obésité, la sédentarité et le tabagisme.

Le revenu, l’emploi, la sécurité alimentaire, le logement et l’exclusion sociale sont également mis en cause.

«En raison des nombreux impacts du colonialisme, les populations autochtones du Canada sont exposées à un risque accru de troubles neurocognitifs associés aux déterminants sociaux de la santé — les conditions dans lesquelles les gens naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent — et sur lesquels les individus n’exercent que peu de contrôle», peut-on lire dans le document.

D’autres passages du rapport trouvent un écho particulier dans le contexte québécois, où les relations des membres de la communauté autochtone avec le système de santé de la province ont souvent fait la manchette depuis quelques années, habituellement pour les mauvaises raisons.

Le document prévient ainsi que «les peuples autochtones du Canada font face à un éventail d’obstacles les empêchant d’accéder à de bons soins et, par extension, à de bons soins pour les troubles neurocognitifs».

La pauvreté; les différences culturelles et linguistiques; le racisme et le manque de sécurité culturelle dans les soins de santé; la méfiance à l’égard des prestataires de soins de santé; la stigmatisation associée aux troubles neurocognitifs; et la distance qui sépare les communautés des centres de soins sont autant de facteurs qui empêchent les populations autochtones d’avoir accès aux soins dont elles ont besoin, précise l’étude.

«Le racisme vécu sur plusieurs années est une forme de stress psychosocial qui provoque des changements structurels dans la physiologie du cerveau et accélère son vieillissement et le déclin de la mémoire», rappellent les auteurs de l’étude.

L’Ontario est la province canadienne où le nombre de personnes autochtones vivant avec un trouble neurocognitif augmentera le plus d’ici 2050; le Québec arrive en deuxième place.

Des liens à tisser

On dispose malgré tout de peu de données concernant l’impact des troubles neurocognitifs sur les populations autochtones. Quelques études réalisées au fil des ans, et notamment en Alberta, ont témoigné de taux de troubles neurocognitifs plus élevés au sein de populations autochtones, et d’une augmentation plus rapide de ces taux.

Sylvie Grenier, qui dirige la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer, admet que des liens doivent être tissés.

«On n’est pas impliqués dans les communautés (autochtones), elles ne viennent pas vers nous, et on sait pourtant que ces gens-là sont aussi touchés, a-t-elle dit. Donc je travaille déjà depuis quelque temps à créer des liens avec ces communautés-là, pour faire en sorte qu’on va travailler avec elles. On veut pouvoir créer des liens et travailler à les accompagner dans leur culture. On ne fera pas pour eux, mais on veut faire avec eux.»

Le but, a-t-elle ajouté, est de s’assurer que «personne ne cheminera seul». On doit donc comprendre comment on peut rejoindre le plus de gens possible, «pour être capable d’informer, d’outiller les communautés à prendre soin de leurs aînés, puis aussi de faire en sorte qu’on maintienne leur qualité de vie, qu’il y ait un impact moins grand».

«On va s’assurer de travailler avec les intervenants de leurs communautés pour faire en sorte qu’ils soient eux en mesure d’accompagner leurs gens», a dit Mme Grenier.

D’autant plus, poursuit-elle, qu’on sait maintenant que de saines habitudes de vie ― comme l’activité physique, l’alimentation, l’absence de tabagisme et autres ― peuvent retarder d’une dizaine d’années l’apparition des premiers symptômes. Il importe donc que toute la population, autochtone ou non, ait accès aux ressources et aux informations nécessaires à cette fin.

Il y a 40 ans, ajoute Mme Grenier, un diagnostic de cancer était une «fatalité» et les chances de guérison étaient minces. C’est un peu la situation dans laquelle se trouve la maladie d’Alzheimer aujourd’hui: la guérison n’est pas possible, mais cela ne veut pas pour autant dire que les patients sont condamnés à la passivité.

«Ça n’aide pas de ne pas aller consulter parce qu’on préfère ‘ne pas le savoir’, a-t-elle dit. Plus tôt on a un diagnostic, plus tôt on peut intervenir dans le parcours de la maladie et travailler avec les gens, les accompagner pour faire en sorte qu’on maintienne leur qualité de vie. La vie ne s’arrête pas avec le diagnostic. On a encore du pouvoir sur notre vie à ce moment-là.»

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L’Étude phare est une étude de microsimulation réalisée par la Société Alzheimer du Canada pour mieux comprendre les troubles neurocognitifs dans la population canadienne au cours des 30 prochaines années. Le modèle a utilisé des données publiques de Statistique Canada pour créer des «agents» qui sont une représentation statistique des personnes vivant au Canada.