Un anniversaire infamant: les 100 ans de la Loi fédérale de l’immigration chinoise

OTTAWA — Le Canada n’a pas toujours ce pays accueillant qui se vante de recevoir à bras ouverts les infortunés de ce monde.

Aujourd’hui encore, les préjugés des premières années de la Confédération continuent de ternir la réputation du pays.

Par exemple: il y a 100 ans, le gouvernement fédéral adoptait un projet de loi visant à expulser les immigrants chinois du Canada.

Pourtant, ils avaient grandement contribué à édifier le pays. Plusieurs milliers d’immigrants chinois ont joué un rôle crucial dans la construction du chemin de fer transcontinental du Canadien Pacifique. Ils étaient bien moins payés que les Blancs, on leur donnait les tâches les plus dangereuses. Plusieurs centaines sont morts à cause des accidents, de la maladie, de la malnutrition et du froid.

Quand le Transcontinental a été terminé en 1885, ils ont dû affronter une forte discrimination du gouvernement et de la population.

La Loi de l’immigration chinoise, aussi connue sous le nom de Loi sur l’exclusion des Chinois, a été le point culminant de ce racisme anti-chinois. Non seulement elle empêchait toute immigration, mais elle obligeait ceux déjà installés au pays de s’enregistrer et de porter des papiers d’identités, comme le Certificat C.I. sinon ils risquaient l’emprisonnement ou la déportation.

«[La Loi] visait vraiment à limiter les possibilités pour un immigrant chinois de s’établir de façon permanente au pays. Elle a eu des conséquences sur les familles et sur plusieurs générations de descendants», relate l’historienne Laura Madokoro, de l’Université Carleton, à Ottawa.

Encore aujourd’hui, plusieurs personnes méditent encore sur l’héritage de cette mesure législative.

Aujourd’hui, quand Matthew Yan regarde le certificat de son père, il ressent presque de la pitié. 

«J’ai de la peine pour lui. Il a vécu tout seul pendant toute sa vie», se souvient M. Yan, aujourd’hui âgé de 74 ans.

Jun Yan avait quitté sa famille à un jeune âge. Il avait immigré au Canada pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille qui était demeurée en Chine. Il avait dû payer une taxe de 500 $ visant à dissuader les immigrants chinois à venir s’installer au pays.

«500 $, à l’époque, c’était beaucoup d’argent», dit son fils.

Le gouvernement canadien croyait que les immigrants chinois étaient tous des célibataires, mentionne la Pre Madokoro. Pourtant, comme Jun Yan, plusieurs avaient une famille en Chine.

Jun Yan envoyait aux siens de l’argent. Il est souvent retourné dans son pays. Il s’y est même marié, mais il n’a jamais pu emmener sa femme au Canada. Et comme elle ne pouvait écrire, l’échange de lettres était difficile.

La Pre Madokoro dit que le gouvernement canadien a fait preuve d’une ignorance délibérée au sujet des liens familiaux qui ont été brisés par l’interdiction d’immigrer. «Elle a saboté pour les familles toute occasion de se réunir», déplore-t-elle.

L’isolement familial de Jun Yan ne s’est pas terminé lorsque la loi a été abrogée en 1947. Quand sa première femme est morte, il a en épousé une seconde: celle qui est devenue la mère de Matthew. Une première fille est née en 1940. Il est retourné une dernière fois en Chine, à temps pour assister à la naissance de Matthew en 1949, mais à cette époque, les communistes s’étaient emparés du pouvoir.

Il a pu prendre le dernier bateau à lever l’ancre vers le Canada, deux jours après la naissance de son fils.

«Je n’ai pas pu voir mon père avant ma venue au Canada à l’âge de 21 ans», raconte Matthew. Sa sœur n’a pas eu la même chance et n’a jamais rencontré son père.

L’ancien premier ministre Stephen Harper a officiellement présenté des excuses en 2006 pour les lois discriminatoires qui ont déchiré les familles, comme celle de M. Jun. Les communautés en réclamaient depuis plusieurs décennies.

Un remboursement symbolique a été remis à ceux qui avaient dû payer la taxe d’entrée ou à leur conjointe.

Mais l’héritage de ces politiques demeure encore bien existant, dit la Pre Madokoro.

Elle donne comme exemple la haine contre les Asiatiques, particulièrement les Chinois, pendant la pandémie de COVID-19.

«Pour autant que je sache, il n’y a pas eu de loi interdisant à un groupe entier de s’installer de façon permanente au pays, raconte la Pre Madokoro. Nous avons des différentes structures, différentes hiérarchies pour encadre l’immigration.» 

Selon elle, il est important de ne pas croire que les pages de «ce chapitre sombre» ont été tournées. Il faut tenter de comprendre les tragédies vécues par les familles comme celle de Jun et Matthew Yan et les insérer dans la mémoire collective.

Matthew Yan, qui vit à Calgary, tout comme ses deux filles, dit avoir pardonné au Canada. Il est reconnaissant pour la vie qu’il a vécu au pays.

Quand il regarde les photos du père, il voit un homme bon, qui a fait ce qu’il a pu pour une famille qu’il connaissait à peine. Il lui en est reconnaissant.

«C’est pour ça que je dis aux jeunes de bien prendre soin de leur famille. Rien, mais rien n’est plus importante que la famille.»