Voici pourquoi le petit rorqual ne sera pas sauvé

MONTRÉAL — Alors qu’il se trouve à plus de 450 km de son habitat, la vie du petit rorqual de Montréal est menacée, et il est peu probable que des humains l’aident à retrouver son chemin. Pourtant, s’il était un béluga, son sort pourrait être différent. Explications:

L’intrépide cétacé a été aperçu à nouveau vers 11h15 mardi près de la rive où a lieu le Piknic Électronik au parc Jean-Drapeau, après une matinée sans avoir été observé.

S’il veut rester en vie et retourner d’où il vient, il devra se débrouiller seul, car le cadre éthique du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins, qui regroupe une quinzaine d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, l’exclut d’une intervention humaine.

Un cadre éthique bien précis

Le coordonnateur du réseau, Robert Michaud, a expliqué à La Presse Canadienne que le groupe intervient seulement dans certains cas précis.

«On a décidé d’intervenir lorsqu’il y a une cause humaine directe, par exemple si une baleine est prise dans un filet de pêcheur», a indiqué le scientifique.

Des interventions ont également lieu lorsque la situation met en danger les humains.

«Par exemple, s’il y a un phoque qui monte sur une autoroute, qui va dans une cour d’école ou sur une piste d’atterrissage», a énuméré Robert Michaud en précisant que ce sont trois exemples qui se sont produits au Québec.

Le réseau peut aussi intervenir si l’espèce est en voie de disparition, ce qui n’est pas le cas avec le petit rorqual.

«On va alors évaluer la possibilité de faire une intervention, seulement si on peut prédire de façon raisonnable que le sauvetage d’un individu peut avoir un effet positif sur la trajectoire de cette espèce menacée. Est-ce que sauver un individu peut faire la différence?»

Parfois, même si l’espèce est en voie de disparition, les spécialistes des mammifères marins préfèrent ne pas intervenir.

Robert Michaud a rappelé que vers 2010, un béluga a été observé dans le Vieux-Port de Montréal. L’animal n’était pas en santé, au point où les spécialistes «penchaient pour ne pas faire d’intervention». Finalement, ils n’ont pas eu à prendre de décision, car le béluga a quitté les lieux par lui-même. 

Des cétacés téméraires

Dans certains cas, les humains tentent de déplacer des mammifères marins pour leur venir en aide, mais les bêtes, elles, ont d’autres projets en tête.

Celui qui étudie les baleines depuis 25 ans a raconté qu’un jour un jeune béluga s’est aventuré dans la rivière Nippising au Nouveau-Brunswick, un endroit dangereux en raison des bateaux de pêche.

L’équipe de Robert Michaud l’a capturé et transporté en avion jusqu’à Cacouna, près de Rivière-du-Loup. Mais le téméraire mammifère est retourné à l’endroit même où l’équipe l’avait capturé. Robert Michaud croit que le jeune béluga a fini par se faire tuer par une hélice de bateau.

Capturer une baleine: une expédition risquée

Si le rorqual de Montréal venait à être en danger en raison de la présence des humains ou s’il s’empêtrait dans des filets de pêche, l’équipe du chercheur Michaud n’exclut pas de tenter une intervention, mais cette possibilité reste peu probable. 

«Dans certains cas, on peut tenter de repousser ou d’attirer l’animal avec des sons. Ça été tenté avec quelques espèces différentes dans quelques situations différentes, mais c’est, très, très peu efficace», a expliqué le scientifique en racontant le cas d’un rorqual à bosse qui avait été exposé à «des sons assez forts pour tenter de le faire fuir, mais qui avait commencé à sauter, puis il s’est échoué».

Il a mentionné que capturer ce type d’animal avec des filets «n’est pas impossible», qu’il «existe différentes techniques», mais aucune n’est sans risque. 

«Ça n’a pas été fait avec des petits rorquals à ma connaissance, ça été fait avec des bélugas, avec des narvals, avec des dauphins, et avec des grandes baleines dans quelques rares cas.»

L’étudiante au doctorat à l’Université McGill Anaïs Remili, qui étudie la diète de certains cétacés, est également d’avis que capturer une baleine avec des filets est très compliqué et dangereux.

«C’est super difficile parce que, en fait, on doit garder en tête qu’on ne veut pas effrayer l’animal parce qu’un animal effrayé peut avoir un comportement complètement atypique, ce qui pourrait entraîner des risques de collision avec des bateaux ou alors la baleine peut s’échouer. Donc en général, c’est déconseillé», a-t-elle expliqué en insistant sur le «stress immense» que peut causer ce genre d’expédition.

«Est-ce qu’on veut jouer à Dieu?»

Le coordonnateur du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins a rappelé qu’en 1901, deux petits rorquals s’étaient aventurés dans le Vieux-Port de Montréal. Pendant près de 120 ans, il n’y a eu aucune autre signalisation à Montréal jusqu’au moment où une baleine à bosse a passé plusieurs jours à la vue de curieux dans le même secteur, avant de mourir, en juin 2020.

«Chez toutes les espèces, il y a des animaux qui une fois de temps en temps s’aventurent», a souligné M. Michaud dont l’équipe reçoit 700 appels par année depuis 20 ans pour des situations qui impliquent des animaux morts ou en danger.

«Est-ce qu’ on veut jouer à Dieu et sauver tous les animaux qui sont mal pris pour se donner bonne conscience?» a demandé le chercheur en ajoutant que la mort du petit rorqual de Montréal est «prévisible».

«Des animaux qui meurent, il y en a tous les jours, c’est normal, c’est difficile à accepter parfois pour nous les humains, les urbains surtout.»

Il a souligné que si la baleine de Montréal meurt, le réseau est prêt à faire une nécropsie.

«C’est un travail considérable. Puis on va se préparer, donc là on est rendu à cette question-là dans notre processus.»